Malgré une baisse du nombre de voix

Le parti d'extrême droite AfD remporte l’élection européenne dans l’est de l’Allemagne

Les électeurs de l’est de l’Allemagne ont manifesté leur forte opposition aux partis politiques établis lors de l’élection européenne du 26 mai. Si les médias ont souligné la croissance significative du parti d’extrême droite Alternative pour l’Allemagne (AfD) par rapport aux européennes de 2014, celui-ci a en fait perdu des voix par rapport aux dernières élections législatives de 2017.

Du à une augmentation significative de la participation (13 pour cent de plus qu’en 2014) cette élection, qui se caractérise généralement par le désintérêt, a connu une participation pratiquement identique à celle des dernières législatives. En Saxe par exemple, 2,1 millions d’électeurs se sont rendus aux urnes pour 2,5 millions en 2017. Dans le Brandebourg, 1,2 million de personnes ont voté pour 1,5 million il y a deux ans et en Thuringe 1 million (1,3 million).

Cela a rendu d’autant plus remarquables les pertes majeures de presque tous les partis établis, de l’AfD au Parti de gauche. En Saxe, les chrétiens-démocrates (CDU) ont perdu plus de 200.000 voix. Le Parti de gauche y a perdu environ 150.000 voix, les sociaux-démocrates 100.000, les libéraux-démocrates (FDP) environ 80.000 et l’AfD 150.000. Seuls les Verts ont réussi à augmenter leur score de 100.000 voix. Dans l’ensemble, les partis établis ont perdu quelque 580.000 voix. Les principaux bénéficiaires ont été des petits partis qui ont gagné plus de 150.000 voix par rapport à 2017.

Le prétendu succès de l’AfD, claironné par les médias et l’AfD elle-même, s’avère donc être une image fortement tronquée. Néanmoins, la part du vote pour l’AfD reste élevée malgré ses pertes et représente un réel danger dont l’ensemble de l’establishment politique est responsable. L’AfD est apparu comme le plus grand parti non pas en raison d’un large soutien dans la population, mais du mépris généralisé pour tous les vieux partis.

Cela vaut surtout pour la CDU qui gouverne sans interruption en Saxe depuis 30 ans, dont cinq ans de coalition avec le FDP et les dix dernières années avec le SPD. Le Parti de gauche, une émanation du PDS/SED, l’ex-parti d’État stalinien en RDA (l’ex-Allemagne de l’Est), a été plus grand parti d’opposition pendant toute cette période et gouverne dans de nombreuses municipalités.

Au Brandebourg, les pertes de voix des partis de l’establishment ont été tout aussi dramatiques. Là, le SPD a dirigé durant les 30 dernières années, une série de gouvernements de coalition avec les Verts, la CDU, le FDP et actuellement le Parti de gauche. Au cours des 30 années écoulées depuis la réintroduction du capitalisme, ces partis ont organisé une désindustrialisation sans précédent de la région qui a forcé beaucoup de gens à partir.

Sur les ruines économiques de la Saxe, autrefois fortement industrialisée et qui ne fut pas par hasard le berceau du mouvement ouvrier, s’est développé un secteur à bas salaires dominé par de petites entreprises s’appuyant sur un niveau élevé d’exploitation. La pression à la baisse sur les salaires déjà bas de l’Allemagne de l’Est s’est encore accentuée avec l’élargissement à l’est de l’Union européenne et les processus de déréglementation et de privatisation imposés par les responsables européens, fédéraux et régionaux.

Cela a créé l’environnement social nécessaire à la croissance d’organisations d’extrême droite et fascistes. La tolérance et le soutien à ces organisations par les gouvernements des Lands ont conduit dès 2004 à un résultat record de 9,2 pour cent pour le NPD néo-nazi.

Il n’y a pas eu d’opposition véritable au sein de l’establishment politique à cette évolution. Bien au contraire. L’antifascisme fut criminalisé, faisant même l’objet d’accusations forgées de toutes pièces comme dans le cas du pasteur Lothar König. La police est elle-même un bastion de la politique d’extrême droite. L’association de membres des services de renseignement avec des groupes terroristes de droite, comme le groupe NSU (National-socialisme clandestin), le Groupe Freital et Révolution Chemnitz, est bien connue et couverte par les partis gouvernementaux. Dans une loi adoptée par la CDU et le SPD récemment, les pouvoirs de la police ont encore été étendus.

Les événements de Chemnitz l’année dernière étaient symptomatiques du soutien de tous les partis aux extrémistes de droite.

Fin août 2018, plusieurs milliers de néonazis ont défilé à Chemnitz, ont attaqué des manifestants de gauche, des réfugiés et un restaurant juif. Le ministre-président du Land, Michael Kretschmer, a banalisé les actions des fascistes et les attaques de journalistes par les policiers. Il fut soutenu par le ministre de l’Intérieur Horst Seehofer, le chef du renseignement intérieur Hans-Georg Maassen et le professeur de sciences politiques à la retraite Werner Patzelt, de Dresde.

En mars de cette année, une commémoration a eu lieu au stade de football de Chemnitz pour un extrémiste de droite local, Thomas Haller, avec l’approbation du groupe du SPD au conseil municipal. Plusieurs figures de l’AfD comme Evo Teichmann et Jens Maier ont commencé leur carrière politique au SPD.

Le Parti de gauche n’est pas moins impliqué. De nombreux anciens membres du PDS au parlement du Land ou dans les conseils municipaux ont été actifs dans le mouvement d’extrême droite Pegida depuis sa fondation en 2014 comme Ronald Weckesser, Christine Ostrowski, Monika Aigner, et Barbara Lässig.

Quand ils ne demandent pas ouvertement un vote pour l’AfD, comme Ostrowski, ils font partie de la liste des Électeurs libres de Dresde, qui comprend plusieurs partisans importants de Pegida dont un co-fondateur, Rene Jahn. Antje Hermenau, ancienne cheffe de longue date des Verts en Saxe et aujourd’hui directrice opérationnelle des Électeurs libres en Saxe, fait également partie de cette bande.

Partout où ils détiennent le pouvoir, les partis prétendument de gauche adoptent la politique de l’AfD. Le Parti de gauche en Thuringe et au Brandebourg, et les sociaux-démocrates en Saxe, appliquent la politique d’extrême droite dans la pratique. Les camps de détention pour demandeurs d’asile et le renforcement des pouvoirs de la police ne sont ici que la pointe de l’iceberg.

Le maire de Francfort sur l’Oder, du Parti de gauche, René Wilke, fait appel aux stéréotypes racistes et appelle à des expulsions illégales vers les zones de guerre. Le ministre-président du Parti de gauche, Bodo Ramelow, en Thuringe, a le deuxième taux le plus élevé de déportations de tous les Lands allemands.

Les mêmes questions se posent à la population de l’Allemagne de l’Est que dans le reste de l’Allemagne, en Europe et à l’international. En raison de son histoire spécifique en tant que République démocratique allemande (RDA), la colère envers les mesures d’austérité sans fin et le renforcement de l’appareil répressif de l’État est particulièrement intense. Les partis traditionnels de gouvernement, qui comprennent en Allemagne de l’Est le Parti de gauche, s’effondrent et cherchent leur salut en épaulant ouvertement les forces fascistes.

Ce n’est pas un hasard si l’ancien conseiller principal d’extrême droite de Donald Trump, Stephen Bannon, a promis de se rendre en Saxe pour assister à une campagne électorale complète de l’AfD. Il se retrouvera en bonne compagnie.

Maassen, l’ex-président du renseignement intérieur, prévoit de faire campagne pour la CDU en Saxe et au Brandebourg plus tard cette année. Maassen a blâmé les «radicaux de gauche» du SPD pour la perte de son emploi. Dans le rapport des services secrets dont il est responsable, il n’y a de référence ni à l’AfD, ni à Pegida, ni aux partis associés d’extrême droite. En revanche, on y diffame le Sozialistische Gleichheitspartei en tant que parti extrémiste de gauche.

Dans le rapport des services secrets de Saxe publié le mois dernier, Gordian Meyer, le collègue de Maassen à Dresde, présente une vision idéologique similaire. L'AfD est simplement mentionnée comme cible potentielle des «extrémistes de gauche». D'autre part, le groupe punk rock «anti-État» Feine Sahne Fischfilet a été qualifié d'extrémiste de gauche.

Le rapport des services secrets de Saxe accuse aussi les organisateurs du plus grand concert anti-nazi depuis des années à Chemnitz l’année dernière avec 70.000 participants d’avoir offert une plate-forme aux «extrémistes de gauche» pour que leur «idéologie extrémiste» influence les non-extrémistes. Comme preuve, le rapport cite les cris d’«Alerte, alerte, antifasciste» lancés par la foule.

La demande du Parti de gauche et des Verts d’une dissolution des services secrets en Saxe est une fraude. Partout où ces partis sont au pouvoir, ils travaillent en étroite collaboration avec les services de renseignement et renforcent leurs pouvoirs. Pas plus tard que le mois dernier, au Brandebourg, le Parti de gauche a adopté une mesure visant à augmenter les pouvoirs des services secrets de ce Land.

Toutes les factions de l’establishment politique réagissent à la crise capitaliste en allant fortement à droite. Les différences entre l’AfD et les autres partis bourgeois commencent à disparaître. Cela sera confirmé lors des élections des Lands prévues en Allemagne de l’Est plus tard cette année.

(Article paru d’abord en anglais le 8 juin 2019)

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