Que faudrait-il faire des 100 milliards de Bernard Arnault ?

La semaine dernière, le milliardaire français Bernard Arnault, PDG et actionnaire majoritaire du groupe de mode de luxe LVMH, est devenu la troisième personne de l’histoire à dépasser la barre des 100 milliards de dollars de richesse personnelle. Seuls Jeff Bezos, PDG d’Amazon (157 milliards de dollars) et Bill Gates, chef de Microsoft (102,9 milliards de dollars) sont plus riches.

La fortune d’Arnault a augmenté de 32 milliards de dollars depuis le début de 2019, soit plus que tout autre milliardaire, ce qui le place avec 100,4 milliards devant Warren Buffett le troisième homme le plus riche du monde,. Cette progression s’explique par une hausse de 40 pour cent du cours de l’action LVMH, après des ventes et un résultat record en 2018 et au premier trimestre de 2019. Ce géant de la distribution contrôle 4.650 magasins et 70 marques dans le monde, dont la marque de vêtements de luxe Luis Vuitton et les parfums Dior.

La fortune d’Arnault est le résultat direct de l’exploitation de milliers de travailleurs de l’habillement et du textile dans le monde qui travaillent dans un réseau d’ateliers de misère a produire des articles de marque vendus pour des centaines ou des milliers d’euros pour le plaisir des riches et des super-riches.

LeGuardian a par exemple publié en 2017 un article sur deux usines roumaines produisant des chaussures et des composants pour sacs à main et valises pour Luis Vuitton et qui estime que leurs 800 travailleurs fabriquent environ 100.000 paires de chaussures par an. Ils perçoivent le salaire minimum local d’environ 232 euros par mois après impôts. Ce qui signifie qu’ils devraient travailler un peu plus de trois mois pour pouvoir payer une seule des paires de chaussures à prix moyen qu’ils fabriquent. Ils devraient aussi travailler 11.494 ans chacun pour gagner ce qu’Arnault a gagné jusqu’à présent en 2019.

La profusion continue des ventes de vêtements, voitures, bijoux, yachts, hôtels particuliers de luxe montre comment l’élite patronale dépense de plus en plus pour ses propres caprices égoïstes, alors même que la grande majorité de la population en France et dans le monde est confrontée à une pauvreté, un chômage et un manque de logement croissants.

Les revenus d’Arnault pour cette année seulement sont si importants qu’ils sont pratiquement incompréhensibles. Son patrimoine a augmenté en moyenne de 1,23 milliard de dollars par semaine. En supposant une moyenne de huit heures de sommeil, il devenait, entre le coucher et le réveil, plus riche de 58 millions de dollars. Sa fortune a augmenté de 2.000 dollars par seconde.

Arnault incarne la domination de la vie économique et politique en France par une oligarchie d’entreprise. Il est propriétaire du quotidien Le Parisien et du quotidien financier Les Échos. Il entretient des liens personnels étroits avec les politiciens de tous les grands partis. En 1995, il aurait été l’un des deux témoins du mariage de Nicolas Sarkozy, avocat d’affaire et futur président de droite.

Sarkozy, Bernadette Chirac (épouse de l’ex-président Jacques Chirac) et Hubert Védrine, responsable du Parti socialiste, ont assisté à la cérémonie de mariage de la fille d’Arnault, Delphine, tenue en 2005 au Château, vieux de 400 ans, d’Yquem à Bordeaux.

Védrine a été ministre des Affaires étrangères du gouvernement de la « gauche plurielle» dirigé par le Parti socialiste (PS) de Lionel Jospin de 1997 à 2002. Auparavant, il a été proche conseiller du président François Mitterrand (PS), dont il est devenu chef de cabinet au début des années 1990. Védrine a rejoint le conseil d’administration de LVMH en 2009 où il est toujours aujourd’hui, personnifiant les liens corrompus entre les politiciens de tous les grands partis et les conseils d’administration d’entreprises qu’ils ont servis fidèlement pendant leur mandat.

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Légende: Bernard Arnault

Arnault a fait fortune à partir des années 1980. Fils d’un magnat de la construction, il s’installe aux États-Unis au début de la décennie et tente sans succès de créer son propre empire commercial dans l’immobilier américain.

S’il est souvent cité comme exemple de l’exode des super-riches hors de France dans la crainte de l’élection de Mitterrand en 1981, c’est en fait le gouvernement Mitterrand qui a joué un rôle clé en l’aidant à créer sa fortune.

En 1984, Arnault achète avec le soutien de l’État français pour la somme symbolique de 1 franc l’entreprise textile française Boussac quasi en faillite qui comprend la marque de parfum Christian Dior. Après s’être publiquement engagé à protéger tous les emplois du fabricant textile, il a vendu en l’espace de cinq ans la plupart des actifs de l’entreprise, licenciant environ 8.000 travailleurs. Sa fortune est directement liée à la désindustrialisation et à l’attaque brutale de la classe ouvrière française dans les années 1980 et 1990 sous le PS, imposée par la bureaucratie syndicale stalinienne.

Arnault est un partisan public du président français Emmanuel Macron. Il a déclaré ce mois-ci au Financial Times que Macron comprenait à juste titre que «la richesse d’un pays se fait par le succès de ses entreprises».

Que ferait-on de 100 milliards de dollars dans une société rationnelle?

Si l’on considère le revenu d’Arnault en termes relatifs, les 32 milliards de dollars qu’il a reçus depuis le début de l’année sont légèrement supérieurs à ce que les Nations Unies ont prétendu nécessaire pour nourrir tous ceux souffrant de la faim dans le monde pendant un an et prévenir toute famine.

De même, on pourrait s’en servir pour doubler le nombre des infirmières en France et augmenter le salaire annuel de l’ensemble des infirmières de 9.000 euros. Cela contribuerait dans une certaine mesure à résoudre la crise permanente du système de santé français qui a déclenché une vague croissante de mouvements sauvages dans tout le pays contre des services d’urgence ayanr atteint le point de rupture.

En supposant que ces deux mesures soient adoptées, la fortune restante d’Arnault serait encore suffisante pour payer les 11 milliards de dollars que l’Organisation mondiale de la Santé estime nécessaires pour réduire de moitié le nombre de personnes qui n’ont pas accès à l’eau potable et dont beaucoup se trouvent dans les pays africains ayant subi une oppression historique de l’impérialisme français et européen. Il y aurait encore assez pour payer les 26 milliards de dollars nécessaires pour donner une éducation à chaque enfant qui en est privé dans le monde.

Ces chiffres constituent un puissant argument en faveur de l’expropriation et de la nécessité d’une réorganisation socialiste de la société. L’emprise de l’élite capitaliste sur la vie sociale est incompatible avec les besoins les plus élémentaires de la classe ouvrière qui produit toute la richesse de la société.

C’est pourquoi le gouvernement Macron a réagi aux protestations des «gilets jaunes» contre les inégalités sociales non pas par des concessions mais en tirant des gaz lacrymogènes, des balles en caoutchouc, des grenades assourdissantes, en utilisant des canons à eau et en lâchant des chiens d’attaque. En France comme dans tous les pays, la classe dirigeante répond à la montée de l’opposition ouvrière en se tournant vers la dictature pour défendre la richesse des super-riches.

La seule politique rationnelle est d'exproprier les richesses mal acquises de l'élite économique et financière en France et à l'étranger, pour les mettre au service des besoins sociaux pressants de la population mondiale. Il s'agit de retirer les grandes entreprises et les grandes banques des mains du secteur privé et de les transformer en services publics, placés sous le contrôle démocratique de la classe ouvrière et organisés selon une planification scientifique afin de garantir à chacun dans le monde un niveau de vie élevé.

(Article paru d’abord en anglais le 26 juin 2019)

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