Des étudiants bloquent la création d'un groupe de réflexion de droite sur la «Recherche sur la dictature» à l'Université Humboldt de Berlin

La tentative du professeur d'extrême droite et historien de l'Europe de l'Est Jörg Baberowski de créer un groupe de réflexion de droite sur la «Recherche sur la dictature» à l'Université Humboldt de Berlin a échoué. Ce revirement est le résultat de l'opposition massive exprimée par les étudiants et de la campagne de l'IYSSE (International Youth and Students for Social Equality, Etudiants et jeunes internationalistes pour l'égalité sociale - EJIES) qui, ces derniers mois, a révélé la véritable nature du projet et mobilisé l'opposition à celui-ci.

Le 18 juin, le Sénat académique (AS) de l'Université Humboldt devait se prononcer sur le financement du «Centre interdisciplinaire de recherche comparative sur la dictature». Le projet a été explicitement conçu comme un groupe de réflexion pour étudier les «dictatures en tant qu'autres ordres possibles».

Cependant, au début de la séance, on a dit aux membres du Sénat que la motion avait été retirée de l'ordre du jour et qu'on n'établissait plus le centre sur la dictature.

Il s'agit non seulement d'une grave défaite pour Baberowski et ses collègues, mais aussi pour l'administration universitaire sous sa présidente Sabine Kunst, membre du Parti social-démocrate (SPD). L'administration et Kunst ont soutenu et défendu avec véhémence les activités de droite à l'université. L'administration avait espéré établir discrètement le centre sur la dictature dans le dos des étudiants et du grand public.

Aujourd'hui, elle est scandalisée par le fait que sa politique en coulisses ait révélée à la lumière du jour et contrecarrée. Deux jours après l'échec du projet, le porte-parole de presse de l'Université Humboldt, Hans-Christoph Keller, a déclaré au World Socialist Web Site que le centre prévu avait été «largement discuté publiquement et dans les médias ces derniers mois». Il a continué: «Il s'agissait de débats qui se sont largement déroulés en dehors du Sénat académique, dont certains ont pris une tournure aiguë, dans un contexte où le Sénat académique, en tant qu'organe décisionnel proprement dit, ne pouvait pas examiner la question lui-même.»

La publication et la diffusion d'informations sur le centre ont été «très clair »ement désapprouvées et critiquées» par l'administration universitaire, a-t-il dit. «Face à ces développements, cette proposition a rencontré des difficultés si énormes qu'il n'est pas logique de poursuivre le processus.»

Keller indique ouvertement ce qui a sonné le glas du projet de dictature: les "énormes difficultés «d'un débat public et critique. Toute la direction du groupe de réflexion était si clairement de droite et autoritaire qu'aux yeux de l'administration de l'université, il valait mieux la garder sous clé.»

Baberowski a d'abord déposé la motion à l'ordre du jour de l'AS le 15 janvier, annonçant que les dictatures devaient être considérées comme une contre-proposition légitime et attrayante à la démocratie et examinées «de manière neutre». Il a qualifié les dictatures d'«ordres sociaux qui ne sont pas fondés uniquement sur la servitude, la violence et l'oppression», mais qui «représentent des configurations du politiquement possible» qui «doivent être comprises». Dans les temps modernes, elles avaient toujours été des alternatives «qui, dans certaines circonstances, devenaient plus attrayantes»

La proposition a aussi affirmé: «Dans certains pays, les citoyens pourraient en bénéficier spirituellement ou matériellement, car dans des conditions précaires, les sociétés ouvertes ne peuvent se permettre ce que les dictatures réussissent à faire dans d'autres circonstances.»

Le centre a été explicitement conçu comme un groupe de réflexion qui poursuivrait l'objectif d'«élaborer des politiques pouvant être utilisées dans la prise de décision quotidienne.»

«En d'autres termes, Baberowski, qui est connu pour sa banalisation des nazis ("Hitler n'était pas cruel") et son agitation contre les réfugiés ("Merkel devrait fermer les frontières"), veut conseiller les décideurs politiques sur la manière de supprimer l'opposition au virage à droite et au militarisme et aux inégalités sociales», a déclaré l'IYSSE dans son appel aux manifestations.

Baberowski a d'abord essayé de faire avancer son projet droitier en secret en janvier. Mais la demande avait déjà fait l'objet de nombreuses critiques, tant au cours du processus d'examen, où elle a été critiquée avec véhémence par deux des quatre évaluateurs, ainsi que par des étudiants. Avant la réunion de l'AS de janvier, un représentant étudiant a affiché sur Twitter des extraits des documents à l'appui de la proposition et les a commentés de façon critique. L'IYSSE a publié une déclaration sur sa page d'accueil intitulée «Les dictatures en tant qu'autres ordres possibles - pas avec nous» et a fait de l'opposition au projet un thème central de sa campagne électorale au Parlement étudiant. Le quotidien taz a également abordé le sujet et publié un article critique.

Comme d'habitude, Baberowski a réagi par des attaques verbales agressives et des insultes et a été appuyé par plusieurs médias de droite tels que le magazine Cicero, le Frankfurter Allgemeine Zeitung et Der Welt, qui avait fait la promotion de Baberowski plusieurs fois auparavant.

Craignant que la critique généralisée puisse faire tomber le projet, la proposition a d'abord été retirée de l'ordre du jour de l'AS de janvier. La présidente de l'Université Humboldt, Mme Kunst, a attaqué l'étudiant qui avait publié des parties des documents à l'appui de la proposition

et a suggéré qu'à l'avenir l'accès aux documents des séances du SA devrait être plus restreint, empêchant ainsi un débat public dès le début.

Le parlement étudiant a répondu à cette action autoritaire le 25 avril par une résolution ferme condamnant les attaques unilatérales et rejetant le projet de centre sur la dictature. «Il ne s'agit pas de l'exploration scientifique des dictatures, mais de la légitimation d'un régime autoritaire», peut-on lire dans la résolution. Il a été adopté à la quasi-unanimité.

Contre la volonté explicite du corps étudiant, la proposition du centre sur la dictature a néanmoins été remise à l'ordre du jour de l'AS pour le 18 juin. Au cours des semaines précédentes, Baberowski a reçu un soutien politique et médiatique.

Dans une déclaration officielle du ministère de l'Éducation, la ministre de la Science Anja Karliczek, membre de l'Union démocratique chrétienne (CDU), a soutenu le professeur de droite au nom de la «liberté d'expression». Chantant une même partition, Peter-André Alt, président de la Conférence des recteurs allemands et ancien président de l'Université libre de Berlin, dépeint Baberowski dans le Berliner Zeitung comme une victime de «groupes d'étudiants fondamentalistes».

L'hebdomadaire Cicero a même consacré son article de couverture à la chasse aux sorcières menée par des étudiants de gauche et prenant la défense des professeurs d'extrême droite Herfried Münkler et Baberowski.

Mais l'opposition au groupe de réflexion proposé s'est avérée plus forte que l'offensive de propagande de droite. L'IYSSE a distribué des centaines de tracts et d'affiches et a appelé les étudiants à protester contre le centre sur la dictature. Le syndicat des étudiants de l'université Humboldt a informé la presse du vote, a attiré l'attention sur les critiques des étudiants et a averti: «Le professeur Baberowski va recevoir un institut qui va accélérer la banalisation du national-socialisme [le nazisme].»

Les conséquences de l'idéologie de droite et de l'incitation émanant du milieu de Baberowski se voient dans le meurtre récent du politicien de la CDU Walter Lübcke, qui a été la cible de campagnes de haine après s'être prononcé en faveur de l'accueil des réfugiés lors d'un événement public à l'automne 2015.

L'un des incendiaires intellectuels qui, ces derniers mois, a alimenté la haine contre Lübcke est Erika Steinbach, ancienne membre de la CDU et présidente de la Confédération des expulsés. Steinbach, qui dirige aujourd'hui la Fondation Desiderius Erasmus de l'Alternative pour l'Allemagne (AfD) d'extrême droite, a posté plusieurs attaques contre Lübcke au printemps et n'a supprimé que récemment des commentaires sur son site Internet qui le menaçaient ouvertement de meurtre.

Dans sa campagne de haine, Steinbach s'est appuyée sur les tirades anti-réfugiés de son «ami» Baberowski sur Facebook. En mars 2016, Der Welt note dans un article sur Twitter intitulé «La colère inquiétante de Steinbach» qu'elle avait recommandé un commentaire du professeur de Humboldt «avec l'exclamation, très bien!» L'article de Baberowski disait: «La chancelière a annulé la constitution, elle a destitué le parlement, isolé l'Allemagne en Europe, et elle laisse à l'autocrate turc Erdoğan le soin de décider combien d'immigrants vont venir en Allemagne.»

Ce n'est là qu'un exemple parmi d'autres de l'agitation anti-réfugiés de droite de Baberowski, qui lui a valu les éloges des cercles néonazis violents, dont le site américain The Daily Stormer, aujourd'hui dissous. En 2015, Baberowski a qualifié des attaques terroristes d'extrême droite contre des abris pour réfugiés de réaction «naturelle» de la part de citoyens concernés.

Interrogé sur les incendies criminels dans l'émission Kulturzeit, il a déclaré: «Là où de nombreuses personnes viennent de contextes étrangers et où la population n'est pas incluse dans le règlement de tous ces problèmes, cela conduit bien sûr à l'agression.» Il a banalisé les attentats nazis en déclarant: «Je crois qu'au vu des problèmes que nous avons en Allemagne avec l'immigration qui a lieu en ce moment, tout cela est plutôt inoffensif.»

Dans le contexte de telles déclarations, la déclaration de Keller au nom de l'administration de l'Université Humboldt est un scandale. Bien que les implications dangereuses des machinations radicales de droite entourant Baberowski soient indéniables, l'administration de l'université déploie toute son ardeur contre les étudiants qui les découvrent et les combattent. Il faut en tirer les conclusions qui s'imposent.

Les développements à l'Université Humboldt et le soutien apporté à Baberowski par les plus hautes autorités et de nombreux médias montrent à quel point la classe dirigeante a viré à droite. Pour arrêter le retour de la dictature et du fascisme, les travailleurs et les étudiants ont avant tout besoin d'une perspective politique claire dirigée contre les racines de ces maux: le système capitaliste. Le danger de droite ne peut être combattu que sur la base d'un programme socialiste. Nous appelons tous les jeunes et les étudiants à se joindre à la lutte et à devenir membre de l'IYSSE.

(Article paru en anglais le 29 juin 2019)

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