Québec: les leçons de la lutte à l’aluminerie de Bécancour

Après 18 mois de luttes et sacrifices, les travailleurs de l’aluminerie de Bécancour (ABI) mis en lock-out par les géants de l’aluminium Alcoa et Rio Tinto ont accepté plus tôt ce mois-ci un contrat de travail qui impose des concessions majeures au niveau des emplois, des retraites et de la sous-traitance, ainsi qu’une forte dégradation des conditions de travail.

Cette défaite, qui est le résultat de l’isolement systématique de leur lutte par la direction des Métallos et de la FTQ (Fédération des travailleurs du Québec), comporte des leçons vitales pour toute la classe ouvrière.

1. Une stratégie internationale est nécessaire.

Les travailleurs font face à une offensive patronale menée à l’échelle internationale visant à les faire payer pour la crise du capitalisme par la destruction de leurs emplois, salaires et régimes de pensions, ainsi que le démantèlement des services publics.

Dans le cas d’ABI, les grands patrons de l’industrie de l’aluminium n’ont pas caché le fait qu’un des objectifs principaux du lock-out était d’imposer des changements dans l’organisation du travail pour augmenter l’exploitation des travailleurs face à une compétition accrue sur les marchés mondiaux. Alors que Alcoa et Rio Tinto mettaient en lock-out leurs employés de Bécancour, ils tentaient d’imposer des reculs à leur employés en Australie et aux États-Unis et annonçaient des fermetures d’usine et des suppressions d’emplois en Espagne.

À l’offensive mondiale du grand capital, les travailleurs doivent opposer une réponse unifiée et coordonnée sur une échelle internationale. Cela requiert une rupture avec la politique nationaliste des syndicats qui imposent les reculs exigés par le grand patronat au nom de la compétitivité de «nos» industries.

Tout au long du conflit à ABI, le syndicat des Métallos s’est déclaré prêt à accepter des reculs au niveau des emplois et des plans de pensions, à condition qu’ils soient «négociés». Il était également impliqué dans les politiques protectionnistes de l’élite dirigeante canadienne. Se joignant au gouvernement libéral de Justin Trudeau pour demander à l’administration Trump le retrait des droits de douane sur les produits canadiens de l'acier et de l'aluminium, et l’adoption d’une politique nord-américaine commune de guerre commerciale contre la Chine, les Métallos ont souligné que l'acier et l'aluminium canadiens étaient essentiels à la fabrication des avions et chars de guerre américains.

2. Les travailleurs doivent développer une lutte politique indépendante.

Les travailleurs d’ABI étaient engagés, non pas dans une simple lutte syndicale autour de la convention collective, mais une lutte politique contre tout le programme de guerre de classe de l’élite dirigeante.

Cela fut souligné par l’intervention extraordinaire du premier ministre québécois François Legault, chef de la CAQ (Coalition Avenir Québec), un parti populiste de droite. Legault a ouvertement pris position en faveur de la compagnie en dénonçant les revendications «excessives» du syndicat. Il en a également profité pour dénoncer les salaires «trop élevés» dans tout le secteur manufacturier du Québec – un aveu que la classe dirigeante était engagée dans un assaut frontal sur la classe ouvrière en son ensemble.

La résistance des travailleurs d’ABI aux demandes de concessions faisait partie de la vaste opposition populaire à l’austérité capitaliste qui s’est manifestée à maintes reprises au Canada (par exemple lors de la grève étudiante qui a secoué le Québec en 2012) et à l’échelle internationale – particulièrement depuis 2018, avec le mouvement des «gilets jaunes» en France, la grève des travailleurs de Matamoros au Mexique, les manifestations de masse en Algérie, les grèves d’enseignants aux États-Unis, pour ne citer que ces exemples.

Dans la mesure où les travailleurs d’ABI avaient fait appel au sentiment anti-capitaliste qui anime de vastes sections de travailleurs au Canada, aux États-Unis et outre-mer, leur lutte aurait pu devenir l’étincelle d’une contre-offensive ouvrière pour la défense des emplois, des pensions et des services publics.

Mais c’est la dernière chose que voulaient les appareils syndicaux pro-capitalistes qui ont tout fait pour isoler les travailleurs d’ABI. Sur la base de leur politique nationaliste et pro-capitaliste, le syndicat des Métallos et la FTQ ont canalisé l’énergie militante des membres de la base vers des appels futiles aux actionnaires de la compagnie et divers représentants de l’establishment politique – les maires et députés de la région, et même le gouvernement de droite de la CAQ, dont ils ont facilité l’intervention prévisible en appui ouvert au patronat en le présentant comme un potentiel allié des travailleurs.

Cette stratégie a mené les travailleurs tout droit dans un cul-de-sac. Pour camoufler l’échec lamentable de leur politique, les syndicats se sont tournés vers Québec solidaire (QS), un parti nationaliste des classes moyennes aisées qui prend une posture «de gauche». Durant tout le conflit, QS a relayé la ligne du syndicat des Métallos sans jamais critiquer sa politique protectionniste, son soutien au gouvernement pro-patronal de Justin Trudeau, ni sa stratégie pourrie d’appels à Legault. Le député de QS Alexandre Leduc, lui-même un ancien fonctionnaire syndical, a ensuite endossé l’attaque sur les conditions de travail représentée par l’entente finale sous le prétexte qu’elle contenait «moins de reculs que celle proposée précédemment par l’employeur».

3. Il faut bâtir des comités de la base pour mobiliser la force sociale de la classe ouvrière.

À la stratégie nationaliste des syndicats, il existait une alternative, qui a été élaborée durant le lock-out par le World Socialist Web Site et le Parti de l’égalité socialiste (PES) dans une vingtaine d’articles et déclarations.

Nous avons insisté sur la nécessité pour les travailleurs d'ABI de prendre la direction de leur lutte entre leurs mains en formant des comités de la base, indépendants des syndicats pro-capitalistes. De tels comités auraient pour tâche de rallier l'appui des travailleurs à travers le Canada, les États-Unis et outremer dans une offensive commune contre l’austérité capitaliste et l’assaut patronal sur les emplois et conditions de travail.

Ce programme de lutte acquiert aujourd’hui une importance vitale dans le contexte d’un regain de la lutte de classe sur une échelle internationale – y compris au Canada avec une opposition ouvrière montante contre le gouvernement très-à-droite de Doug Ford en Ontario – qui prend de plus en plus la forme d’une rébellion contre les appareils syndicaux qui défendent avec acharnement le système de profit.

La mobilisation de la force militante des travailleurs doit être basée sur une perspective socialiste, celle d’une offensive mondiale de la classe ouvrière pour réorganiser la société afin de satisfaire les besoins humains et non les profits d’une minorité.

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