Le populiste français Mélenchon conseille AMLO au Mexique face à l'agitation sociale croissante

Le populiste français Jean-Luc Mélenchon, dirigeant de la France insoumise (LFI), a passé deux semaines au Mexique dans le cadre de réunions de haut niveau dans lesquelles il a rendu hommage au président Andrés Manuel López Obrador (AMLO) comme représentant l’incarnation de son programme nationaliste, qu'il a surnommé la «révolution des citoyens».

Sa promotion et ses conseils auprès du gouvernement de droite d'AMLO étaient associés à des déclarations directes promouvant le capital français et européen. Ce voyage constituait une défense des intérêts de l’impérialisme français dans le contexte des vagues de grèves industrielles au Mexique, des manifestations continues des gilets jaunes en France et de la résurgence de la lutte de classe sur la scène internationale.

Après des discussions individuelles avec AMLO et Martí Batres, cofondateur du Mouvement pour la régénération nationale (Morena), au pouvoir, Mélenchon a reçu le feu vert pour donner des conférences dans les écoles politiques et les séminaires de Morena sur son livre l’Ère du peuple, tout en se concertant avec les députés et les sénateurs de la coalition au pouvoir.

Ses conseils visaient explicitement à développer de nouveaux pièges nationalistes pour les travailleurs et les jeunes cherchant à lutter contre les inégalités sociales et les atteintes aux droits démocratiques.

Mélenchon envisage maintenant d'aller en Argentine pour rencontrer l'ex-présidente péroniste Cristina Fernández de Kirchner, candidate à la vice-présidence aux élections d'octobre. Il rendra visite ensuite à l'ex-président emprisonné du Parti des travailleurs brésilien (PT), Lula da Silva, et fera peut-être une escale à Cuba.

Un blog annonçant sa tournée en Amérique latine répertorie de nombreux groupes populistes «de gauche» et des hommes politiques auxquels il a rendu visite depuis 2017 en Grèce, en Italie, en Russie, en Grande-Bretagne, au Pérou, en Équateur, au Portugal, en Tunisie, en Allemagne et en Espagne pour «créer un club mondial (agora) pour les personnalités engagées dans la bataille pour la transition écologique et sociale [pour sortir] de la mondialisation libérale et productiviste.»

Le 25 juillet, lors d'une réunion avec des sénateurs de la coalition au pouvoir au Mexique, Batres a présenté Mélenchon comme ayant «de nombreux fans ici» - en fait, certains citaient son livre - et un proche collaborateur d'AMLO depuis la fondation de Morena en 2011. Sur fond de la défaite politique de ses partenaires de Syriza en Grèce, qui a perdu l’élection le mois dernier en raison son imposition d’une austérité draconienne, et d'une crise politique dans sa propre LFI, Mélenchon a loué vigoureusement la victoire électorale écrasante d'AMLO l'an dernier.

Néanmoins, il a averti: «Nous avons besoin de votre succès, sinon les gens vont commencer à dire que vous ne pouvez rien changer du tout.»Reconnaissant l'impopularité de l'austérité sociale, de la militarisation et de la répression des immigrés poursuivie par AMLO, un sondage récent de México Elige montrant une chute de sa popularité de 73 pour cent en février à 47 pour cent en juillet, Mélenchon a proposé «une réponse rationnelle.»

«Nous ne pouvons pas sauter d’un extrême à l’autre», a-t-il conseillé aux sénateurs, «en disant si vous voulez venir, faites-le ou partir le cas échéant. Je dirai franchement et sans détour: je ne suis pas partisan de la migration libre. Les frontières ont une fonction vitale en tant que cellule pour structurer et organiser […] Les gens devraient pouvoir rester dans leur pays. S'ils partent, ce n'est ni leur faute ni la nôtre. Nous n'avons rien à voir avec ça. Ce sont eux les responsables - les puissants et leurs politiques.»

« Ne vous inquiétez pas du fait même, je sais que vous pouvez le gérer parfaitement, mais avec ce que les gens ressentent [...] cette même force qui a renversé toutes les autres [forces politiques].»

Cette proposition a déjà été qualifiée de «solution portugaise», faisant référence à la tactique employée par les alliés de Mélenchon dans le Bloc de gauche au Portugal et qui a maintenant été adoptée par Podemos en Espagne. Ces tendances soutiennent les politiques et les gouvernements de droite tout en se lavant les mains de toute responsabilité politique en «se démarquant» formellement des «pouvoirs en place». Dans ce cas particulier, Morena, qui contrôle l'exécutif et les deux chambres législatives, légiférerait fidèlement, approuverait et mettrait en œuvre les diktats des «élites» et des «puissances impérialistes» tout en «répétant que nous ne pouvons pas être tenus responsables de cette situation», selon les mots de Mélenchon.

La semaine dernière, El País s'est entretenu avec des migrants vénézuéliens détenus au centre de détention pour enfants d'Iztapalapa pendant 23 jours. Ce centre a été accusé en juin par une agence gouvernementale de «torture et abus», en raison des mauvaises conditions de détention. Les autorités de Morena y ont détenu 33 100 enfants cette année et en ont déporté 15 500 entre janvier et mai.

Une jeune Guatémaltèque âgée de 10 ans est morte lorsque des Vénézuéliens étaient sur place le 15 mai. «Elle est tombée [d'un lit superposé] vers 16 heures, ont-ils raconté. Elle s'est rendue chez le médecin avec beaucoup de douleur: pleurant sans cesse et se tenant les côtes. Il a juste dit qu'il s'agissait d'une gastrite et lui a donné une pilule. Elle s’y est rendu trois fois encore. Vers 21 heures, nous sommes entrées dans sa chambre et avons vu qu'elle était en train de souffrir, en roulant les yeux, sa peau et visage sans couleur.»

Le traitement déshumanisant des migrants et les menaces de tarifs douaniers et de sanctions de la part de Trump contre le Mexique exigeant une extension de la répression anti-immigrés, notamment par le déploiement de la nouvelle garde nationale d'AMLO, sont massivement opposés au Mexique.

Loin d'appeler à mobiliser les travailleurs mexicains, américains et sur le plan international pour qu'ils s'opposent aux menaces et politiques néocoloniales de Trump «qui ne sont pas de leur faute», Morena criminalise désormais toute opposition. Samedi, le gouverneur de Morena et les législateurs de l’État de Tabasco, le pays d'origine d'AMLO, ont imposé un projet de loi prévoyant des peines de prison pouvant aller jusqu'à 13 ans pour toutes les manifestations, barrages routiers ou autres actions «entravant l'exécution de travaux publics ou privés», à savoir des grèves.

En 2015, Mélenchon avait écrit une chronique décrivant AMLO «comme un maître de la démocratie», tout en dénonçant «l’ancien président français François Hollande [pour avoir] reçu le malhonnête Peña Nieto [l’ancien président mexicain], qui lui a acheté quelques hélicoptères, moins que ceux promis, mais Hollande lui a quand même donné la légion d'honneur.»

Révélant le caractère prédateur de sa promotion des relations franco-mexicaines, Mélenchon a déclaré aux Sénateurs jeudi: «Écoutez, nous ne sommes pas intérêt à l'échec de l'empire en temps de crise, mais nous devons renégocier le retour à une situation rationnelle [...] que ce soit avec les gringos (Américains) et leurs dollars ou avec l’Europe », ajoutant que «L’Amérique se mêle des affaires en Europe d’une manière dangereuse.»

En tant que défenseur des intérêts de l'impérialisme français, cependant, pourquoi Mélenchon s'opposerait-il au déploiement par AMLO de dizaines de milliers de soldats pouvant être utilisés contre l'opposition de la classe ouvrière pour défendre la propriété capitaliste? Les investissements français au Mexique ont augmenté de plus de 50 pour cent depuis 2013.

La FI de Mélenchon a soutenu le programme de dépenses militaires de Macron de 300 milliards de dollars pour 2018-2024 visant la préparation à des guerres contre d'autres grandes puissances. De plus, sur le plan intérieur, la FI propose une garde nationale similaire à celle créée par AMLO, qui a inscrit dans la Constitution le déploiement interne de soldats. Alexis Corbière, député de LFI, a déclaré à l'époque: «Nous sommes favorables à un service citoyen obligatoire de neuf mois, qui serait le socle d’une Garde nationale citoyenne qui permettrait de recréer ce lien entre l’Armée et la Nation.»

Les trajectoires politiques parallèles de Mélenchon et d'AMLO fournissent de précieuses leçons à la classe ouvrière internationale. Mélenchon, après une brève période au sein de l'Organisation communiste internationaliste (OCI) dirigée par Pierre Lambert, peu après sa rupture avec le Comité international de la IVe Internationale (CIQI), a rejoint le Parti socialiste (PS) en 1976 à l'âge de 25 ans. Le PS était un véhicule électoral pour les ex-staliniens, les pablistes, les catholiques sociaux et les anciens responsables du régime collaborationniste de Vichy. Après avoir exercé les fonctions de ministre en 2000-2002 dans un gouvernement du PS favorable à l'austérité, il a réagi aux échecs électoraux en se séparant du PS et en fondant le Parti de gauche en 2009 et LFI en 2016.

AMLO a été un politicien de carrière, fournissant des couvertures populistes «de gauche» à l'establishment bourgeois depuis son adhésion au Parti institutionnel révolutionnaire (PRI) à l'âge de 23 ans en 1976. Des documents des services de renseignement récemment publiés affirment qu'AMLO a financé et soutenu le Parti communiste stalinien dans les années 1970, ce qu'il nie.

Indépendamment de leurs motivations antérieures, ce qui a marqué leur évolution politique a été le programme nationaliste des milieux d’ex-radicaux petit-bourgeois par lesquels ils sont entrés en politique. Ces tendances se sont adaptées aux illusions réformistes dérivées de l'équilibre capitaliste après la Seconde Guerre mondiale et des tendances staliniennes cultivées par Moscou qui avaient assuré cet équilibre en trahissant les luttes révolutionnaires en Europe après la guerre.

Leur politique repose sur un rejet explicite du rôle révolutionnaire de la classe ouvrière. Dans son livre de 2014, l’Ère du peuple,sur lequel il fonde sa stratégie et ses conférences, Mélenchon écrit dans une partie intitulée La gauche peut mourir: « Il n’existe plus aucune force politique mondialisée face au parti invisible de la finance globalisée [ ...]

La réception dévouée réservée à Mélenchon au Mexique témoigne de l'aboutissement de ce qui a été un processus global de putréfaction politique du nationalisme petit-bourgeois. À une époque où la production et la distribution de biens sont organisées par les sociétés transnationales à l’échelle mondiale, sa défense des frontières militarisées et d'un système d'États-nations qui ne repose aujourd’hui que sur le militarisme et la dictature démasque la pseudo-gauche de la classe moyenne dans son ensemble comme étant la dernière ligne de défense de l'impérialisme contre l'unité internationale de la classe ouvrière.

La seule organisation à s'être opposée de manière inconciliable à AMLO, à Mélenchon et à tous les agents nationalistes petit-bourgeois de l'impérialisme est le Comité international de la Quatrième Internationale (CIQI), le mouvement trotskyste mondial, qui lutte seul pour un internationalisme authentique, c'est-à-dire le renversement révolutionnaire du capital mondialisé et tous les États-nations par la classe ouvrière internationale. L'alternative progressiste à la guerre et à la dictature est la construction du CIQI dans la classe ouvrière, en tant que nouvelle direction politique enracinée dans les principes théoriques du marxisme et l'assimilation de toute l'histoire de la lutte pour le socialisme.

(Article paru en anglais le 2 août 2019)

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