Perspectives

Qui voulait la mort de Jeffrey Epstein?

Commençons par énoncer ce qui est évident: la mort violente de Jeffrey Epstein dans une cellule d’une prison de Manhattan empêche un procès ou une négociation des plaidoyers qui risquait d’exposer ceux qui étaient liés à Epstein. Il y avait beaucoup de gens puissants — des associés d’affaires et des facilitateurs politiques — soit ceux qui ont utilisé les services fournis par Epstein soit ceux qui ont bénéficié de trafics variés et d’autres opérations sordides du gestionnaire multimillionnaire.

Les circonstances extraordinaires de la mort d’Epstein ont produit une campagne hystérique des médias. Les efforts acharnés de ces derniers — et du New York Times en particulier — visaient à écarter d’emblée toute hypothèse selon laquelle la mort d’Epstein était autre chose qu’un suicide. Cette campagne empeste d’une opération de dissimulation à un haut niveau. Qu’il ait été étranglé dans une cellule de prison par un tueur à gages ou qu’on l'ait laissé se pendre est presque hors sujet.

La vie d’Epstein a pris fin de manière violente alors qu’il était sous la garde du gouvernement américain. C’est un fait indéniable. Même s’il s’était suicidé, l’acte n’aurait pu réussir sans la complicité directe de ceux qui étaient responsables de sa sécurité.

Et bien qu’Epstein ait été accusé de crimes déplorables, il ne devrait pas être nécessaire de souligner qu’il — oui, même Epstein — avait droit à une défense vigoureuse dans un procès. Que sa mort prématurée empêche le procès d’avoir lieu est une question d’une gravité de premier ordre.

La suspicion d’homicide est clairement justifiée. Que Epstein ait été assassiné — que ce soit par un agresseur ou par la création calculée des circonstances propices à son suicide en prison. Cela est beaucoup plus plausible que le récit officiel de ce qui s’est passé au Centre correctionnel métropolitain ces trois dernières semaines. Selon les responsables de la prison, Epstein a été retrouvé pendu dans sa cellule samedi matin. Ses gardes avaient négligé d’effectuer leur inspection toutes les demi-heures pendant la nuit et n’ont contrôlé leur prisonnier que tardivement, à 6 h 30 du matin.

Cela s’est produit alors que Epstein était sans doute le prisonnier le plus notoire actuellement détenu dans un établissement fédéral. Son arrestation pour trafic sexuel a fait l’objet d’une couverture médiatique saturée dans les médias de New York et nationaux. En outre, il avait été placé sous surveillance anti-suicide depuis le 23 juillet, date à laquelle il aurait été trouvé inconscient dans sa cellule avec des marques sur le cou. Cette surveillance a duré jusqu’au 31 juillet, date à laquelle les dispositions spéciales, y compris la surveillance 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, ont été levées sans explication.

Les avocats d’Epstein et d’autres visiteurs ont déclaré qu’ils ne voyaient aucun signe que le multimillionnaire était de mauvaise humeur ou qu’il risquait de se suicider. Ils ont dit qu’il avait participé aux préparatifs de sa défense — des fois pendant 12 heures par jour.

Le Bureau fédéral des prisons, le procureur général William Barr et l’inspecteur général du ministère de la justice ont ouvert des enquêtes. Tous ont de bonnes raisons de truquer le résultat et de dissimuler ce qui s’est réellement passé. Jusqu’à présent, les autorités ont caché les faits les plus élémentaires au public. Aucune information n’est sortie sur comment, et avec quel matériel, la pendaison d’Epstein a eu lieu. On ne sait pas si un enregistrement vidéo existe de sa cellule qui montrerait le prétendu «suicide» ou bien ferait la lumière sur les circonstances matérielles de sa mort.

Les circonstances juridiques et politiques de la mort d’Epstein sont différentes; elles suggèrent fortement qu’Epstein était devenu un danger pour toute une partie de Wall Street et de l’élite politique, qui avait un motif puissant pour le faire taire.

Les médias se sont empressés de dénoncer tous ceux qui désignent le caractère manifestement concocté de l’histoire officielle comme promoteurs d’une «théorie du complot».

Le New York Times fait la promotion agressive des déclarations officielles de suicide. L’éditorial du journal commence le dimanche: «En se suicidant apparemment dans sa cellule de Manhattan samedi matin, Jeffrey Epstein s’est épargné un long procès qui aurait pu l’envoyer en prison pour le reste de sa vie pour des accusations fédérales de trafic sexuel.»

L’utilisation du mot «apparemment» est complètement déplacée. En l’absence de détails relatifs à ce décès, rien n’est «apparent». Le Times conditionne simplement le public à accepter le récit du suicide sans qu’une enquête criminelle urgente ne soit nécessaire sur la mort d’Epstein, qui doit être considérée comme suspecte.

De plus, pourquoi le Times affirme-t-il que la mort d’Epstein lui a «épargné» un procès? Les rédacteurs en chef disposent-ils d'informations qui confirment leur hypothèse selon laquelle Epstein ne voulait pas d'un procès? Qu'en est-il de la possibilité que sa mort «épargne» d'autres personnes puissantes et influentes de voir leurs liens avec les activités criminelles avérées et présumées d'Epstein, qu'elles soient sexuelles ou financières, portées à la connaissance du public par une longue procédure judiciaire.

L'éditorial continue:

«Le procureur général William Barr a déclaré que l’inspecteur général du ministère de la justice ouvrirait une enquête sur les circonstances du décès de M. Epstein en détention fédérale. Bien que M. Epstein ne fasse jamais l’objet d’une poursuite judiciaire, les enquêtes sur ses crimes et ceux des autres personnes qui lui sont liées doivent se poursuivre. Sa mort prématurée ne devrait pas empêcher les forces de l’ordre de finir le travail qu’elles ont finalement pris au sérieux des années après ce qu’elles auraient dû faire».

C’est du baratin cynique: le Times sait très bien que la mort d’Epstein sans procès ni condamnation mettra effectivement fin à l’enquête. (Techniquement, Epstein meurt en homme innocent, du moins sur les charges les plus récentes). En plus sa mort fait disparaître le risque d'une négociation de plaidoyer, que les avocats d’Epstein auraient certainement tenté de négocier. En échange Epstein aurait offert son témoignage dans les procès visant d’autres personnes qu’il aurait pu impliquer dans le prétendu réseau de trafics sexuels.

Le Times ne soulève pas ces questions évidentes, et encore moins n'exige une enquête criminelle et des audiences publiques sur les circonstances de la mort hautement suspecte d'Epstein.

Tout examen élémentaire des faits montre clairement que la mort d’Epstein doit faire l'objet d'une enquête criminelle. Seulement 24 heures avant sa mort, un tribunal de Floride a divulgué plus de 2.000 pages de documents. C’était dans le cadre d’une poursuite civile intentée par l’une des femmes qui a accusé Epstein de l’avoir réduite en esclavage à l’adolescence dans le cadre de ses abus systématiques de jeunes filles. La femme a intenté une poursuite en diffamation contre la partenaire d’Epstein, Ghislaine Maxwell, qui aurait servi de rabatteuse en recrutant des adolescentes pour le servir.

Maxwell est elle-même un produit du milieu super-riche qui a produit Epstein. Elle est la fille de feu l’éditeur milliardaire britannique Robert Maxwell, qui avait également été la cible de nombreuses allégations de fraude et autres crimes financiers.

Dans une coïncidence macabre, Robert Maxwell est mort dans des circonstances mystérieuses en 1991. Selon l’enquête officielle, il serait tombé de son yacht, le Lady Ghislaine (du nom de sa fille), et son corps nu a été retrouvé flottant dans l’océan Atlantique quelques jours après. La mort a été jugée accidentelle, bien que le suicide et l’homicide aient été largement suggérés à l’époque.

Les documents publiés jeudi nommaient un certain nombre de personnalités politiques et sociales de premier plan comme patrons du réseau d’exploitation sexuelle d’Epstein. Parmi eux, il y avait: deux Démocrates de premier plan,l’ancien chef de la majorité au Sénat, George Mitchell, l’ancien gouverneur et membre du cabinet Clinton, Bill Richardson, un ancien candidat à la présidentielle, et le Prince Andrew, deuxième fils de la Reine d’Angleterre.

Quelle que soit la véracité des allégations contre ces individus, il ne fait aucun doute qu’Epstein a été pendant de nombreuses années une partie intégrante de l’élite financière et politique des États-Unis. Il s’est associé avec d’anciens présidents comme Bill Clinton et de futurs présidents et milliardaires tout aussi corrompus comme Donald Trump.

Epstein était un voisin de Trump à Palm Beach, et il a recruté certaines des filles qu’il a maltraitées à la station balnéaire Mar-a-Lago de Trump. Cette circonstance peut expliquer la réaction extraordinaire de Trump à la nouvelle de la mort d’Epstein. Trump a retweeté la suggestion d’un partisan de droite selon laquelle Bill Clinton aurait donné l’ordre d’assassiner Epstein.

La mort d’Epstein laisse évidemment supposer qu’il s’agit de supprimer une personnalité gênante. Il aurait pu impliquer des dizaines, voire des centaines de personnes puissantes dans le cas où on l’aurait finalement traduit en justice. L’affirmation officielle de suicide rendu possible par la négligence arrangeante des gardiens de prison de bas rang a été accueillie avec incrédulité. La mort d’Epstein évoque des souvenirs du Parrain de Francis Ford Coppola.

L’affaire Epstein, dans toute sa dépravation criminelle, met en lumière l’état de la société capitaliste américaine. Les super-riches s’attaquent aux pauvres et aux vulnérables, en les utilisant à leur guise. Ils se servent de leurs relations pour dissimuler leurs crimes ou, selon les circonstances, pour faire éliminer les anciens amis et associés dont les activités sont devenues un inconvénient ou un danger.

(Article paru d’abord en anglais le 12 août 2019)

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