«Nous sommes en guerre avec une injustice sociale qui ne peut être renversée sans un soulèvement»

Un travailleur de l'automobile d'Oshawa parle de grèves sauvages et de la trahison d'Unifor

Jeudi dernier, les travailleurs ont déclenché une courageuse grève sauvage d'une journée dans deux usines, Syncreon et CEVA Logistics, qui approvisionnent l'usine d'assemblage de General Motors à Oshawa, en Ontario, au Canada. GM prévoit cesser la production à son usine en novembre de cette année, ce qui signifie que des milliers de travailleurs de GM et de nombreux fournisseurs régionaux sont sur le point de perdre leur emploi.

Les travailleurs des usines Syncreon et CEVA, qui sont membres d'Unifor (anciennement le syndicat des Travailleurs canadiens de l'automobile), ont dû faire face à des mois d'obstruction de la part du syndicat au sujet des plans de l'entreprise de jeter les travailleurs à la rue avec le strict minimum légal d'indemnité de départ.

L’usine d'assemblage de GM à Oshawa

La fermeture de l'usine d'Oshawa fait partie d'une vague mondiale d'attaques contre les emplois des travailleurs de l'automobile, des entreprises comme Ford, Fiat Chrysler et GM, Nissan, Jaguar Land Rover et Hyundai effectuant des licenciements sur pratiquement tous les continents. Les ventes ont chuté en Chine, en Inde, en Asie de l'Est et ailleurs au cours de la dernière année, et l'impact des mesures de guerre commerciale a ébranlé les marchés, les analystes du secteur automobile spéculant quotidiennement sur la probabilité croissante d'une nouvelle récession majeure.

La grève à Syncreon et à CEVA, lancée indépendamment du syndicat, a suscité une grande nervosité chez les responsables d'Unifor, qui se sont précipités pour démobiliser les travailleurs, tout en feignant cyniquement de soutenir la grève.

Un travailleur de l'une des usines a récemment parlé à la WSWS Autoworker Newsletter de la colère à l’égard d’Unifor, qui a débordé la semaine dernière, ce qui a entraîné le débrayage. Il a souhaité garder l'anonymat, citant les efforts des entreprises d’ostraciser les travailleurs, jusque dans leurs derniers mois d'activité: «Je ne veux pas être licencié à deux mois de la fin, nous savons que notre entreprise lance des représailles contre le personnel. Les salauds !»

Le travailleur a fait la comparaison entre l'action des travailleurs canadiens et celle des travailleurs à Matamoros, au Mexique, plus tôt cette année. Quelque 70.000 travailleurs de nombreuses usines de sous-traitants automobiles et de maquiladoras (ateliers aux conditions de misère) de l'autre côté de la frontière américaine ont mené une vague de grèves sauvages au début de janvier, au mépris des syndicats pro-entreprises. Les débrayages – qui ont été occultés pendant des mois par les grands médias, les constructeurs automobiles et les syndicats – ont entraîné des pénuries de pièces et des ralentissements de la production dans les usines partout en Amérique du Nord.

La compassion et l'inspiration qui continuent d'animer les travailleurs des États-Unis et du Canada à l'égard de leurs frères et sœurs de classe du Mexique contrastent fortement avec le poison nationaliste que crachent le président d’Unifor Jerry Dias et le président de United Auto Workers Doug Jones, qui ont lancé une campagne anti-mexicaine pour détourner la colère qui est ressentie à l’égard des entreprises qui exploitent les travailleurs des deux côtés des frontières.

L'ouvrier a dit au WSWS: «C'était nous à Syncreon et puis CEVA a suivi. Nous étions tannés des excuses bidon du syndicat, alors les membres en avaient assez après six mois de rien et ont débrayé.

«De façon ridicule, le syndicat a dit qu'il “nous soutenait”, mais ils n'avaient pas le choix parce qu'ils savaient que nous leur ferions de la mauvaise publicité. Ils se sont présentés et ont essayé de nous dire quoi dire aux médias, puis nous ont dit de retourner au travail avant la fin du quart. Une vraie blague! Mais les rumeurs persistaient que nous débrayerions à nouveau vite si nous n'obtenions pas rapidement des résultats du syndicat et de l'entreprise !

«C'est comme ça qu'on fait! Comme au Mexique! J'emmerde le syndicat! Ils n'ont rien fait d'autre que de mal nous représenter depuis l'annonce de la fermeture, et Dias est le plus grand serpent incompétent de tous! Comment un dirigeant syndical peut-il célébrer le fait d'avoir sauvé 300 JOBS CHEZ GM tout en perdant 18.000 membres syndiqués en même temps?! Ces conneries ont été de trop et nous avons pris les choses en main, PAS Unifor! Ce sont des lèche-bottes d'entreprise et rien de plus! Pire que les entreprises et c'est la vérité que nous connaissons maintenant à 100% !!!

«C'est si triste d'apprendre la tragédie et le chagrin causés par ces idiots des entreprises et de la politique. Nous sommes en effet en guerre avec une injustice sociale qui, selon moi, ne peut être renversée sans un soulèvement.

«Depuis janvier, on nous a dit mois après mois que nous obtiendrions une indemnité de départ, alors que le syndicat perdait du temps et de l'influence en notre nom, ce qui n'a rien donné. Pendant que GM faisait des offres et les retirait, Dias faisait de même, sans mises à jour ni progrès. Pendant ce temps, nous avons perdu confiance en l'entreprise et en Unifor. Le syndicat a créé cette division et a essentiellement abandonné, nous évitant. Cette lâche inaction a poussé les membres à ne pas se soucier de la situation au point de débrayer la semaine dernière lorsqu'une réunion dite “de la dernière chance” a eu lieu avec Syncreon US et n'a produit aucun résultat. Une fois que ça s'est su, le bouche-à-oreille s'est répandu, et on en a eu assez et on a débrayé! La compagnie ne se soucie pas de nos 10 ans et plus de service. Nous ne nous sommes pas souciés d'eux. Les deux usines ont débrayé sans instruction d'Unifor. Ils se sont précipités pour dire qu'ils nous soutenaient et ils ont même eu le culot de nous remercier!

«Quoi qu'il en soit, c'est ce que nous avons fait en dernière tentative pour regagner un peu de dignité et de respect de la part du syndicat et de l'entreprise. Les membres ont au moins maintenant l'impression d'avoir fait quelque chose, contrairement à Jerry Dias, qui n'a absolument rien fait au cours des six derniers mois.

«Unifor est une vraie blague, achetée par les entreprises pour contrôler la main-d'œuvre et la soumettre. Mais cette fois-ci, ils ont vraiment montré leurs cartes et nous savions que si nous ne faisions pas quelque chose nous-mêmes, personne ne le ferait.

«Nous attendons toujours de connaître les résultats des pourparlers au plus «haut niveau» de ces deux derniers jours, donc il n’y a eu aucun résultat encore, mais nous entendons dire que ce sont des indemnités respectables qu'Unifor tente d’obtenir.

«J'ai littéralement l'impression que nous n'avions pas le choix dans notre décision parce que tout se terminait de toute façon, alors qu'avons-nous à perdre? C'est essentiellement ce qui s'est passé, et nous espérons qu'au bout du compte, cela fonctionnera.

«Tout au long de cette fermeture, ils [Unifor] se sont exposés de manière flagrante quant à savoir où se trouve leur véritable “solidarité”. Et pour cela, collectivement, nous ne leur ferons plus jamais confiance. Quand nous avons eu besoin d'eux, la plupart des dirigeants d’Unifor ont tourné la tête et se sont enfuis, manquant de respect à leurs membres pour la dernière fois!»

Les travailleurs ne devraient faire confiance à aucune promesse de l'entreprise ou d'Unifor dans les jours à venir. Manifestement troublés par l'initiative indépendante des travailleurs, Dias et les autres feront tout leur possible pour isoler Syncreon et CEVA et insister sur le fait que rien n'est possible sauf quelques dollars supplémentaires dans une indemnité de départ.

Comme aux États-Unis avec UAW, Unifor a tout fait pour convaincre les travailleurs que les fermetures d'usines et les pertes d'emplois sont une affaire conclue ou, au mieux, qu'une poignée d'emplois peuvent être maintenus en échange de concessions supplémentaires obtenues des travailleurs.

Les dirigeants syndicaux craignent les travailleurs qui organisent des occupations d'usines ou des arrêts de travail plus généralisés en Amérique du Nord, d'autant plus que les travailleurs américains font face à la menace de licenciements ou de concessions dans les prochains contrats entre UAW et les trois compagnies automobiles basées à Detroit.

Les travailleurs d'Oshawa ont pris les choses en main. Il s'agit là d’un développement important. Toutefois, il faut consolider et élargir ce processus par la mise sur pied d'un réseau de comités de la base dans l'ensemble de l'industrie de l'automobile et des pièces d'automobile.

Ce qu'il faut avant tout, c'est une perspective et une stratégie internationales pour lutter contre les politiques destructrices et basées sur les profits des sociétés transnationales. Les comités de la base à Oshawa et partout au Canada devraient établir des contacts avec les travailleurs aux États-Unis, au Mexique et ailleurs, afin de coordonner une lutte transfrontalière contre les fermetures d'usines et les mises à pied et de lutter pour des emplois décents et bien rémunérés.

(Article paru en anglais le 9 août 2019)

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