La grève des urgentistes s’étend à travers la France

La grève du personnel hospitalier contre le projet de loi santé 2022 débutant au mois de mars se radicalise, s’étendant maintenant durablement dans toute la France. Sur les 478 services urgentistes que compte la France, 216 sont en grève.

Les urgentistes dénoncent le projet de loi santé 2022 et la dégradation des conditions de travail du personnel hospitalier et d’accueil des patients organisée depuis des décennies. Afin d’être plus compétitives, les directions des hôpitaux désorganisent les services, créant des pénuries de médecins ou encore fermant temporairement des services.

Face à la montée de la colère, Agnès Buzyn s’est moquée de la détresse du personnel hospitalier en n’annonçant que 70 millions d’euros pour financer des mesures immédiates, permettant notamment la revalorisation de la prime de risque des soignants de 100 euros. Ceci n’a pas calmé la colère des urgentistes. Les grévistes réclament toujours 10.000 emplois supplémentaires, une hausse des salaires de 300 euros net par mois et l’arrêt des fermetures de lits.

Agnès Buzyn a dû quitter précipitamment l’hôpital de La Rochelle le 12 juillet, poursuivie par des grévistes. La ministre de la santé, qui connaît bien l’hôpital pour y avoir exercé son métier de médecin, était venue afin de mesurer l’ampleur de la colère des personnels des urgences face aux conditions auxquelles ils font face.

La population prise en charge aux urgences est passée, entre 1996 et 2016, de 10 à 21 millions. En 2018, selon SAMU-Urgences de France, 180.000 patients ont passé une nuit sur un brancard dans les couloirs des services destinés à les accueillir.

A l'hôpital de Sainte-Foy-la-Grande, dans le nord Gironde, son service d'urgence est fermé entre 18 h30 et 8h30 du 1er au 31 aout. Les patients ayant besoin de soins dans ces horaires de nuit se redirigent donc vers l'hôpital de Bergerac, en Dordogne, à une grosse vingtaine de kilomètres.

En difficulté pour trouver des médecins, l'hôpital de Pithiviers a décidé de fermer pendant 18 jours le SMUR (service mobile d'urgence et de réanimation), la priorité ayant été donnée à l'accueil des patients sur place. Ce sont donc les SMUR de Montargis et d'Orléans qui prendront le relais, avec des temps d'intervention plus longs, alors qu'eux aussi peinent à recruter des médecins notamment pendant l'été.

Selon le délégué CGT et brancardier Vincent Authié, "C'est vrai qu'on est dans un territoire particulièrement touché par le manque de médecin, mais la direction n'anticipe rien, elle ne gère pas les plannings, on le sait depuis longtemps qu'il y aura un problème". Le personnel de cet hôpital s’est solidarisé en début d’été du mouvement de grève national entamé pour réclamer plus de moyens.

Le service des urgences de l’hôpital de Beaumont-sur-Oise a rejoint le mouvement national de grève. Il y a environ 70 pour cent de grévistes chez le personnel paramédical, même si le service continue à fonctionner.

Le Parti de l’égalité socialiste a pu discuter lors de la mobilisation nationale en juin avec Emilie, aide-soignante depuis 7 ans qui expliquait: «Le manque d’effectifs est un grand problème. Il y a plus en plus de gens qui viennent aux urgences, mais nous on est toujours le même nombre. C’est beaucoup d’attente. Et donc ça amène l’agressivité quand on attend beaucoup de temps, ça arrivent et ils ne comprennent pas. Le temps d’attente a augmenté de 4 à 6 heures jusqu’à 8 ou 10 heures.

«Il faudrait qu’on soit plus nombreux, plus d’infirmiers, de médecins et d’aides-soignants. C’est compliqué de vivre avec notre salaire à Paris. Quand les gens arrivent on n’a pas suffisamment de places pour eux et les autres endroits sont pleins. Le gouvernement ne veut pas embaucher plus de personnes. Macron a dit qu’il y a trop de fonctionnaires. Les gens partent en retraite et ne sont pas remplacés. Pour certaines choses il y a de l’argent, et d’autres qui sont importantes, comme la santé, il n’y en a pas. Quand les ministres sont malades, ils n’attendent pas eux ils ont les meilleurs soins.»

Pour l’heure, la coordination de la grève est aux mains du collectif Inter-urgences, une coordination politiquement hétérogène qui regroupe de nombreux urgentistes. La décision des urgentistes de construire cette organisation témoigne de la méfiance à présent généralisée des travailleurs envers les appareils syndicaux, avec lesquels les membres du collectif maintiennent toutefois diverses attaches.

La classe dirigeante est consciente du discrédit qui pèse sur les syndicats auprès du personnel hospitalier et des risques de débordement de cette bureaucratie corrompue qui pourrait devenir un mouvement plus large de la classe ouvrière. Dans un éditorial, Le Monde appelle le gouvernement à trouver rapidement une sortie de crise: «Plutôt que de jouer la guerre d’usure, il y a urgence à poser des actes pour trouver une issue à la crise avant que des drames ne surviennent.»

La lutte des travailleurs de la santé pour améliorer leur condition de travail et satisfaire les besoins de santé de la population doit se tourner vers les travailleurs en France et à l’international, alors que l’opposition croît à l’austérité à travers l’Europe. Une pétition lancée sur Internet pour dénoncer la dégradation du service de santé en France a rapidement obtenu plus de 100.000 signatures.

La lutte des urgentistes en France fait partie d’une résurgence internationale de la lutte des classes qui se transforme de plus en plus en lutte politique contre les dirigeants capitalistes à travers le monde, menée indépendamment des syndicats. Dans cette vague de luttes on retrouve les grèves des enseignants américains, des travailleurs des maquiladoras mexicaines, de l’Éducation nationale polonaise, et de travailleurs au Portugal, en Allemagne, et en Belgique contre l’austérité européenne, les mouvements pour faire chuter les régimes militaires en Algérie et au Soudan, et les «gilets jaunes».

Il est essentiel pour les travailleurs d’ôter systématiquement et rigoureusement le contrôle de leurs luttes aux appareils syndicaux. Ceux-ci négocient les réformes avec Macron et isolent les luttes en France des celles dans le reste de l’Europe et du monde. Les syndicats ont déjà bloqué l’émergence d’une lutte politique des travailleurs contre Macron, lorsque celui-ci détruisait le Code du travail ou privatisait la SNCF. Dans les hôpitaux, ils participent à la restructuration des services afin de les rendre plus compétitifs. Alors que la moitié des urgences de France sont en grève, les syndicats isolent les urgentistes des autres travailleurs et des «gilets jaunes».

La désorganisation des soins, qui vont s’intensifier avec le projet santé 2022 fait partie d’une attaque plus large de la bourgeoisie contre les travailleurs. L’accès à des soins de qualité fait partie des concessions obtenues par la classe ouvrière européenne après la Seconde Guerre mondiale, comme la création de la Sécurité Sociale en France. A présent la bourgeoisie internationale compte détruire toutes les concessions accordées aux travailleurs. La désorganisation des hôpitaux qui s’étale sur plusieurs décennies pour qu’ils soient plus compétitifs et accroître l’exploitation des travailleurs de la santé rentre dans ce schéma.

La voie pour aller de l’avant consiste à rompre avec les vieilles organisations, ce qui passe par l’unification avec les «gilets jaunes» et les autres travailleurs en lutte en France et à l’international pour développer une lutte politique de la classe ouvrière contre Macron et l’UE visant à prendre le pouvoir et renverser le capitalisme.

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