Les populistes du Mouvement 5 étoiles et les sociaux-démocrates italiens tentent de former un gouvernement de coalition fragile

Bien qu'ils se dénonçaient mutuellement il y a quelques jours encore, les dirigeants du Parti démocrate (PD), parti d'opposition de «centre gauche» italien, et du Mouvement 5 étoiles (M5S) populiste ont accepté mercredi de former un gouvernement de coalition. Leur alliance soudaine est une tentative d'empêcher des élections anticipées déclenchées par le départ, la semaine dernière, du parti Lega d'extrême droite du gouvernement de coalition de 14 mois avec le M5S.

Reuters a rapporté que les marchés financiers et l'establishment politique européen ont accueilli la nouvelle avec enthousiasme, «faisant le pari que l'Italie aura un gouvernement fiscalement prudent». Les élections pourraient être repoussées jusqu'en 2023, tandis que des mesures d'austérité visant à réduire le déficit seraient imposées. Ensemble, les deux partis auraient une faible majorité au Parlement. Mais le partenariat proposé risque de s'avérer très instable et en proie à des crises.

En premier lieu, les deux partis ne se sont même pas mis d'accord sur une plate-forme politique et une équipe ministérielle communes. Le chef du M5S Luigi Di Maio et son homologue du PD Nicola Zingaretti se sont engagés à trouver un terrain d'entente «pour le bien du pays». Pourtant, les deux partis se sont engagés à réduire davantage les dépenses dont dépend la classe ouvrière dans des conditions de chômage élevé, d'aggravation des inégalités sociales et de restrictions budgétaires imposées par l'Union européenne (UE).

Beaucoup s'attendaient à ce que le président Sergio Mattarella, lui-même du PD, donne à l'avocat Giuseppe Conte, l'actuel Premier ministre nommé par le M5S, le mandat de former un nouveau gouvernement. Mattarella avait rencontré les dirigeants des partis lors de pourparlers d'urgence pour éviter la dernière crise politique de l'élite capitaliste, provoquée par Matteo Salvini, dirigeant de la Lega, qui avait démissionné de son poste de ministre de l'Intérieur et déposé une motion de censure contre le gouvernement.

Malgré ces manœuvres au plus haut niveau de la classe dirigeante italienne, l'accord de principe pourrait se défaire rapidement. De façon inattendue, le fondateur de M5S, Beppe Grillo, a publié une déclaration mercredi dernier, disant que les ministres devraient être des technocrates et non des politiciens élus. Grillo, qui s'est fait connaître en présentant M5S comme un mouvement «anti-établissement», craint évidemment une vive réaction de la base qu'il a cultivée sur ces idées.

Dans une complication connexe, M5S a déclaré qu'il soumettrait tout accord avec le PD à un vote en ligne de ses membres. De nombreux partisans de M5S se sont tournés vers les médias sociaux pour dénoncer un tel pacte avec le parti que M5S a, dans le passé, tourné en dérision, car il faisait partie de «l'establishment».

Même si un gouvernement peut être formé, un affrontement entre lui et la classe ouvrière est inévitable. Le prochain gouvernement doit présenter un budget conforme aux lignes directrices de l'Union européenne en matière de déficit d'ici le 15 octobre. Pour ce faire, il faut économiser 23 milliards d'euros, ce qui nécessitera de nouvelles réductions massives des dépenses sociales au détriment des ménages de la classe ouvrière.

Ce conflit pourrait être cyniquement exploité par la Lega et ses alliés, qui seraient ostensiblement dans l'opposition, pour détourner l'immense mécontentement social dans des directions réactionnaires nationalistes et autoritaires, comme l'a fait le dictateur fasciste Benito Mussolini dans les années 1920 et 1930.

Craignant l'instabilité politique de la quatrième plus grande économie d'Europe, les médias du monde entier ont affirmé que la nouvelle coalition pourrait mettre Salvini et la «droite dure» fasciste sur la touche. Le New York Times a déclaré que le «revirement soudain de la politique italienne» était «un soulagement pour l'establishment européen après 14 mois de provocations eurosceptiques, de répression contre les migrants et de mépris des règles financières du bloc [de l’UE]».

En réalité, la mise en oeuvre des diktats de l'UE, en plus du partenariat entre les deux partis, est plus susceptible de discréditer davantage le PD et le M5S. Il ouvrira également la porte à Salvini et à ses alliés – le dirigeant milliardaire de Forza Italia, Silvio Berlusconi, et le parti Fratelli d'Italia, le successeur direct du parti fasciste de Mussolini – pour intensifier leur agitation anti-réfugiée et nationaliste, tout en se faisant passer pour des adversaires de l'austérité.

Salvini est un admirateur déclaré du président américain Donald Trump. Dans une rhétorique démagogique typique, Salvini a déclaré mercredi que la nouvelle coalition était probablement née en France, lors du sommet du G7 du week-end dernier, auquel Conte a représenté l'Italie. Conte, selon Salvini, était un premier ministre «qui vous a été amené par Paris, Berlin et Bruxelles». La Lega de Salvini a remporté 34 % des suffrages aux élections européennes de mai en s'insurgeant contre l'UE qu’elle a qualifiée d'oppresseur de la souveraineté italienne.

Salvini a aussi qualifié la nouvelle alliance gouvernementale de «Monti rebelote». Il faisait référence au premier ministre technocratique Mario Monti, qui a gouverné de 2011 à 2013. Soutenu par le PD et d'autres partis parlementaires, Monti a infligé à la classe ouvrière le fardeau de l'effondrement financier mondial de 2008-09 et de la crise de la dette italienne qui a suivi, notamment en relevant l'âge de la retraite, en augmentant les impôts et en attaquant les conditions de travail par des «réformes du marché du travail».

Le PD – dont les origines remontent au Parti communiste italien stalinien, dissout en 1991 – a attaqué Salvini depuis la droite. Il a cherché à empêcher de nouvelles élections, faute de quoi l'adoption du budget de l'UE pour l'année à venir serait compromise. L'ancien Premier ministre Matteo Renzi (PD) a accusé Salvini de vouloir annuler les réductions des retraites décidées par le gouvernement de Renzi en 2014-16.

Loin de s'opposer à la ligne xénophobe de Salvini, le PD lui a aussi ouvert la voie. Le prédécesseur de Salvini au poste de ministre de l'Intérieur, Marco Minniti, a le premier bloqué les routes par la mer Méditerranée et l'a transformée en fosse commune il y a trois ans, en coopération avec les garde-côtes libyens.

En outre, tous les gouvernements d'Europe appliquent des mesures anti-réfugiés tout aussi cruelles.

Salvini ne peut gagner des voix qu'avec sa démagogie en raison de la désaffection résultant de décennies d'austérité «de gauche». Depuis le début des années 1990, les gouvernements dirigés ou soutenus par le PD ont alterné avec des gouvernements ouvertement de droite, dont beaucoup ont été dirigés par Berlusconi, chacun enrichissant l'élite riche aux dépens de la classe ouvrière.

Pendant des décennies, la classe ouvrière italienne a réagi à plusieurs reprises par des grèves combatives et des protestations politiques, et il existe une puissante tradition antifasciste, qui remonte à la résistance contre Hitler et Mussolini. Cette résistance a été étouffée, encore et encore, par le PD et ses complices syndicaux et de la pseudo-gauche, faisant du développement d'un véritable parti socialiste et internationaliste une nécessité urgente.

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La crise politique en Italie [22 août 2019]

(Article paru en anglais le 29 août 2019)

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