Une scandale éclate sur la révélation de Público de la complicité de l'État dans l'attentat de Barcelone

Podemos et les nationalistes catalans couvrent les agences de renseignement espagnoles

Depuis que le quotidien en ligne Público a révélé que les services de renseignements espagnols et européens ont suivi de près les auteurs de l'attentat terroriste d'août 2017 à Barcelone jusqu'au jour même où il a eu lieu, une âpre bataille se livre au sein des médias et de l'establishment politique espagnol. Le reportage de Público a fourni des preuves détaillées, fondées sur des documents internes, que l’État était au courant qu’il allait y avoir une attaque, qui a été menée par un informateur du service de renseignement espagnol. Pourtant, l'establishment au pouvoir s'unit pour dénoncer le rapport et ridiculiser l'idée qu'une conspiration officielle a eu lieu.

En juillet, Público a publié un reportage en quatre parties après un an d'enquête sur les relations entre l'imam Abdelbaki Es-Satty, le chef de la cellule terroriste, et le Centre national de renseignement (CNI). Público a fondé son rapport sur les sources du CNI et ses rapports confidentiels sur Es-Satty et sa cellule, dont elle a publié des extraits sur son site. La documentation de Público le prouve en réfutant le compte rendu officiel selon lequel ces attaquants ont agi sans être détectés, surprenant les services de renseignements européens alors qu'ils préparaient l'attentat terroriste le plus meurtrier en Espagne depuis les attentats à la bombe perpétrés par Al-Qaïda à Madrid en 2004:

*Le CNI a recruté Es-Satty comme informateur au moins jusqu'en 2014, en utilisant un compte Gmail pour les communications entre Es-Satty et son gestionnaire CNI.

*Les services de renseignement ont falsifié ses dossiers juridiques pour empêcher son expulsion après qu'il eut été reconnu coupable de trafic de drogue. Il a même reçu l'aide du CNI pour qu’il soit installé en tant qu'imam dans la petite ville catalane de Ripoll, alors qu'il était connu pour être radicalisé depuis longtemps, dès 2004, lorsqu'il a été associé aux attentats de Casablanca du 16 mai 2003.

*Le CNI a effacé le dossier d'Es-Satty afin que la communauté musulmane de Ripoll ne soit pas au courant de son histoire, ce qui a également nui à la police régionale catalane qui a commencé à enquêter sur ces attentats.

*Le CNI connaissait les mouvements de certains membres de la cellule en France, en Allemagne, en Belgique et en Suisse, et suivait les conversations téléphoniques entre eux. Es-Satty a eu des contacts avec des forces islamistes à travers l'Europe impliquées dans la guerre par procuration menée par l'OTAN contre la Syrie, y compris des cercles djihadistes en Belgique. La surveillance intense de sa cellule par le CNI a nécessité la collaboration des services de renseignement européens, dont les services de renseignement français, qui ont reconnu avoir espionné des membres de la cellule d'Es-Satty qui s'étaient rendus à Paris peu avant l'attentat de Barcelone.

*Le CNI a consacré un niveau extraordinaire de ressources aux membres de la cellule, y compris ceux qui n'avaient pas de casier judiciaire jusqu'au jour des attentats. Le CNI, écrit Público, «écoutait et transcrivait toutes les conversations entre ces jeunes musulmans, qui n'étaient pas encore censés être liés à un complot djihadiste, en effectuant les contrôles de renseignement les plus exhaustifs possible, qui exigent des ressources matérielles et humaines considérables».

*Après l'attentat, des agents de la CNI impliqués dans le traitement d'Es-Satty ont été affectés dans un pays africain éloigné, et un autre a été «transféré dans la capitale d'un pays d'Amérique latine avec sa famille».

Le reportage de Público est politiquement dévastateur. Jusqu'à présent, aucun de ses détracteurs n'a tenté d'examiner ou de discréditer les documents sur lesquels il est fondé. Il fournit des preuves convaincantes que le gouvernement espagnol, qui cherchait publiquement un prétexte pour imposer la loi martiale avant la déclaration d'indépendance catalane d'octobre 2017, savait qu'une cellule terroriste existait à Barcelone, mais a décidé de ne pas agir pour la démanteler, au prix de centaines de victimes. Cela a d’immenses implications politiques.

Le virage à des formes de gouvernement d'État policier et la légitimation officielle du fascisme en cours en Espagne et dans toute l'Europe sont fondés sur la criminalité d'État et des mensonges politiques. Après l'attaque de la cellule, le CNI a tenté de dissimuler les preuves de leur complicité. Et alors que la police espagnole attaquait brutalement les électeurs pacifiques lors du référendum catalan, la classe dirigeante espagnole virait radicalement vers la droite pour promouvoir le parti profasciste et nationaliste anti-nationalisme catalan Vox. Plus frappant encore, la Cour suprême espagnole a déclaré que Francisco Franco, chef du coup d'État de 1936 contre la république espagnole et fondateur d'une dictature fasciste de quatre décennies, était le chef d'État légitime du pays dès le lendemain de son coup d’État, qui a provoqué la guerre civile espagnole.

Le contenu du reportage de Público s'est répandu sur les médias sociaux et a provoqué l'indignation de larges couches de la classe ouvrière. Las Ramblas, l'avenue du centre de Barcelone où les attaques se sont produites, était remplie d'autocollants disant «17-A. Arrêtez le silence complice». Mais l'élite dirigeante a oeuvré sans relâche pour minimiser, déformer et discréditer le reportage. Le gouvernement en exercice du Parti socialiste espagnol (PSOE) a affirmé éhontément que l'ancien directeur du CNI avait déjà fourni les explications nécessaires au Parlement. À la fin du mois dernier, le PSOE, le Parti populaire, les citoyens et Vox ont bloqué pour la deuxième fois les appels des partis nationalistes catalans à une enquête parlementaire sur les attaques de 2017.

La réaction des forces politiques et médiatiques affiliées à Podemos a revêtu une importance particulière. Après avoir cherché pendant des mois à former un gouvernement de coalition avec le PSOE, qui cache le contexte de l'attentat de Barcelone, ses factions se sont unies en affirmant que ce reportage n'avait aucune importance.

Un exemple typique est le quotidien en ligne eldiario.org, un site web libéral «de gauche» de premier plan. Après plusieurs jours de silence, son directeur Ignacio Escolar a dû répondre à des abonnés furieux qui l'accusaient de complicité dans une conspiration du silence. Sans tenter d'expliquer la longue surveillance étatique de la cellule de Barcelone révélée par Público, il a écrit avec suffisance qu'il n'est «pas rare que certains auteurs d'une attaque aient fait l'objet d'une enquête des forces de sécurité ou des services secrets. C'est ainsi que nombre d'autres attentats terroristes sont évités, même si ce n'est pas toujours le cas.»

Les journalistes Antonio Maestre et Elisa Beni, deux personnalités qui apparaissent régulièrement à la télévision pour représenter les opinions de Podemos, ont également attaqué le reportage. Dans un échange sur Twitter avec Carlos Enrique Bayo, l'auteur du reportage de Público, Maestre l'accuse d'avoir publié des travaux de piratage basés sur des notes obtenues de sécessionnistes catalans «fanatiques». Beni a défendu Maestre, qualifiant le rapportage de Público d'«absurdités» et d'«utilisation du terrorisme à des fins politiques».

Jaume Asens, porte-parole d'En Comú Podem, l'affilié catalan de Podemos, a affirmé que les lecteurs devraient éviter de «voir le complot» dans le reportage de Público.

Gaspar Llamazares, ancien dirigeant de la Gauche unitaire stalinienne, a dénoncé toute personne soulevant des questions sur le rôle des services de renseignement espagnols: «Dans la majorité des plus grands attentats [terroristes] au monde, un informateur est apparu ou les [terroristes] ont été surveillés par les services de renseignement. Nulle part, sauf en Espagne, ils n'ont été accusés de complicité.»

De même, les nationalistes catalans contribuent au camouflage exercé par l'État. Un mois après l'envoi d'une lettre symbolique appelant Madrid à mettre en place une commission d'enquête des attentats afin de sauver la face, et ainsi «mettre fin à l’inquiétude sociale», le gouvernement catalan est resté totalement silencieux.

La petite bourgeoisie catalane a également attaqué Público. Natàlia Sànchez, du parti nationaliste catalan Candidatures de l'Unité populaire (CUP), a attaqué Bayo dans la commission du Parlement catalan sur les attaques de 2017. Elle a accusé Bayo, qui était venu de Madrid pour témoigner devant la commission, de «contribuer à créer un sentiment de paranoïa complotiste qui n'est pas utile pour les victimes ni pour le travail de cette commission».

Les enjeux vont beaucoup plus loin que le reportage de Bayo. Les nationalistes catalans et les sections de la classe moyenne aisée dans laquelle Podemos et ses affiliés sont enracinés, orientés vers le PSOE, l'État capitaliste espagnol et l'Union européenne, craignent ce qui pourrait arriver si les guerres impérialistes au Moyen-Orient et l'appareil étatique espagnol étaient entièrement discrédités. Ils s'adaptent à l'évolution rapide de la bourgeoisie vers des formes autoritaires et fascistes de gouvernement.

Après que le reportage de Público a révélé que les services de renseignements d’État avaient été prévenus des attentats de Barcelone, le quotidien barcelonais La Vanguardia est intervenu pour attaquer Público. Contredisant directement des documents révélés par Público, il a fait valoir que ni le Centre national de renseignement (CNI) ni la police n'étaient au courant des déplacements des terroristes avant les attentats d'août 2017, et que les téléphones n'avaient jamais été mis sur écoute.

Les quatre articles portent toutes les marques d'une opération de limitation des dégâts de la bourgeoisie catalane visant le reportage de Público, en collaboration avec le CNI et la machine d'État à Madrid. Les médias grand public et les politiciens s'en sont servis pour attaquer Público et l'auteur des reportages de Público, Carlos Enrique Bayo, et soutenir l'histoire officielle, qui devenait de moins en moins crédible, selon laquelle les agresseurs ont pris totalement par surprise les agences de renseignement européennes quand ils ont attaqué.

Les quatre articles de La Vanguardia se basent sur un rapport divulgué à La Vanguardia par la police catalane, les Mossos d'Esquadra, et daté de plus d'un an après les attaques, le 11 octobre 2018. Selon le récit de La Vanguardia, les Mossos ont par la suite récupéré 13 numéros de téléphone utilisés par les terroristes le jour de l'attentat, leur permettant de reconstituer les événements. Il allègue que l'un des téléphones contenait des renseignements qui permettaient aux enquêteurs de retracer les actions antérieures des agresseurs.

La Vanguardia affirme en outre que d'autres informations, y compris un voyage à Paris de deux des agresseurs, ont également été reconstituées après les événements en prenant en compte des reçus, des tickets de stationnement et de péage, et des relevés bancaires, avec l'aide des services de renseignement espagnols et français.

Il affirme également que le fichier Es-Satty «n'a jamais disparu ni été supprimé des bases de données des forces de sécurité», ce qui semble contredire l'affirmation de Público selon laquelle le CNI aurait tenté de le supprimer, probablement pour cacher le fait bien établi qu'Es-Satty était un informateur du CNI. La Vanguardia affirme que la source de ces «spéculations» était les Mossos, qui ont rapporté par erreur le jour même des attentats qu'Es-Satty «n'a fait l'objet d'aucune arrestation par les forces de police».

Les articles de La Vanguardia sont en quelque sorte une diversion, dans la mesure où les divers documents qu'ils citent des Mossos n'affectent pas la crédibilité des documents du CNI sur lesquels Bayo a fondé le reportage de Público. Ceux-ci montrent clairement que le CNI surveillait intensivement la cellule terroriste, quel que soit le travail que les Mossos ont pu faire après l'attaque pour enquêter sur les mouvements des membres de la cellule. Bayo a qualifié l'article de La Vanguardia de «fuite de documents bien planifiée» et de «campagne pour discréditer» Público en général et son propre reportage en particulier.

L'un des faits marquants est que le CNI connaissait les numéros des cartes SIM françaises que les membres de la cellule terroriste avaient achetées à Paris avec de fausses identités quelques jours avant les attentats de Barcelone.

La Vanguardia et Público, utilisant des sources différentes, citent les mêmes numéros de téléphone attribués à deux des jeunes agresseurs. Bayo écrit: «Nous devons insister sur le fait que sans surveillance préalable, il est impossible de connaître deux noms de fausses identités entre les milliers de SIM prépayées qui sont acquises chaque jour à Paris, ni de relier ces deux numéros aux deux terroristes uniquement en raison de leur géolocalisation... ou de découvrir à quelle heure et où ils ont été activés.»

La Vanguardia ne réfute jamais une autre preuve clé que Público a révélée. Le rapport du CNI divulgué par Público rapporte que l'un des agresseurs «coupe court à ses phrases pour ne pas révéler des détails spécifiques de ses activités». Une telle déclaration révèle que les agresseurs étaient surveillés, et non que les détails de leurs déplacements ont été reconstitués à partir des relevés bancaires et des reçus des postes de péage.

La Vanguardia affirme également que le CNI n'a pas supprimé le dossier d'Es-Satty ou que son dossier n'a jamais été caché à la police régionale catalane. La Vanguardia a fourni une longue explication en affirmant que les Mossos n'avaient pas consulté la base de données nationale des criminels, où ils auraient trouvé les antécédents d'Es-Satty, parce qu'ils avaient seulement regardé dans leurs archives catalanes locales, qui ne contenaient aucune référence à l'imam de Ripoll. C'est pourquoi, explique La Vanguardia, lorsque la police belge a interrogé les Mossos au sujet d'Es-Satty début de 2016, ils ont déclaré n'avoir aucune information préalable à son sujet.

Público, cependant, montre que la dissimulation des condamnations d'Es-Satty a eu lieu deux ans plus tôt, avant l'attaque, quand il a essayé de devenir l'imam de Ripoll. La procédure normale aurait dû comporter une vérification des antécédents. Comme le dit Bayo, citant une source policière, «les imams avec ces casiers judiciaires sont une douzaine en Espagne, et nous surveillons chacun d'entre eux». La source de Público faisait référence au fait qu'Es-Satty avait été condamné à deux peines de prison, dont une pour trafic de drogue, ainsi qu'à des antécédents de relations avec des djihadistes avant et pendant son emprisonnement. Cependant, la communauté musulmane de Ripoll a reçu un curriculum vitae propre pour Es-Satty, trafiqué par le CNI.

Bayo montre également comment l'affirmation de La Vanguardia, fondée sur un rapport de la Garde civile, selon laquelle il aurait été radicalisé en prison, soulève la question de savoir pourquoi la police n'en a pas informé les autorités locales. Les Gardes civils et la police nationale disposaient de l'information, et la police nationale est même allée visiter la mosquée de Ripoll à deux reprises lorsque Es-Satty prêchait.

De plus, si, comme l'affirme La Vanguardia, la base de données des Gardes civils a toujours eu «l'information et elle n'a jamais été effacée», cela soulève la question: s'ils connaissaient son passé et étaient allés le voir deux fois à Ripoll avant les attaques, pourquoi n'ont-ils pas averti les musulmans locaux du passé de leur prêcheur? Comme le dit Bayo, «pour disculper le CNI, ils [La Vanguardia] font bien mal paraître les forces de sécurité de l'État».

Bayo conclut en citant ses sources du CNI, qui affirment que pour qu'Es-Satty soit devenu un imam à Ripoll, «il ne pouvait y avoir aucune trace de sa longue histoire de relations prouvées avec des groupes djihadistes. Par conséquent, le casier judiciaire était caché au cas où la communauté musulmane locale demanderait un bilan de son passé». Cela ne veut pas dire que les casiers judiciaires et policiers aient été complètement éliminés, ce qui, selon Bayo et ses sources de renseignements, serait impossible, mais qu'ils l'ont caché à la police catalane à l'époque pour protéger Es-Satty, l'informateur du CNI.

La Vanguardia n'aborde pas non plus sérieusement les faits qui ont fait l'objet de fuites et qui ont été analysés par Público, telle la manière dont le CNI a travaillé pour empêcher l'expulsion d'Es-Satty et l'a nommé imam à Ripoll. Le quotidien n'explique pas non plus comment il a pu se déplacer en Europe pour rencontrer des cellules djihadistes et endoctriner sa propre cellule, qui se déplaçait sans cesse d'un bout à l'autre de la Catalogne en accumulant un grand stock d'explosifs, tandis que Es-Satty prêchait à Ripoll des sermons djihadistes.

Les lecteurs sont apparemment censés croire qu'en dépit d'une surveillance intense et de l'aveu même du CNI que Es-Satty était leur informateur, il a été capable de préparer les attentats sans être détecté du tout.

La Vanguardia omet également d'autres preuves de la connaissance préalable de l'attaque par l’État: les services de renseignement français ont avoué avoir suivi les terroristes avant l'attentat, et une société de sécurité proche des services de renseignement américains avait envoyé à Madrid une «alerte rouge» concernant la cellule avant les attentats.

En d'autres termes, au lieu d'analyser et d'établir de manière objective les événements qui ont conduit aux attentats, en traitant de tout ce que l'on sait des différentes forces impliquées dans les attentats, le journal a fait une présentation unilatérale qui camoufle les informations que détenait la CNI et sa complicité dans l'attentat.

Le fait que le chef de la cellule terroriste de Barcelone Abdelbaki Es-Satty fût un informateur du Centre national de renseignement espagnol (CNI) et la révélation de Público selon laquelle le CNI a surveillé la cellule jusqu'aux attentats du 17 août 2017 sont un choc pour beaucoup de gens. La tempête de protestations sur les médias sociaux reflète la colère généralisée contre le comportement politiquement criminel de l'État espagnol. Comme on pouvait s'y attendre, de larges sections des médias ont rejeté ou minimisé le reportage et a dénoncé toutes les tentatives d'expliquer politiquement les révélations par la «théorie du complot».

Les questions posées aux travailleurs par la connaissance préalable par l'État des attentats terroristes islamistes en Europe ne peuvent être comprises dans un cadre national et anhistorique, comme une question de savoir s'il y a eu ou non une défaillance technique des agences d'espionnage. C'est le cadre de Carlos Enrique Bayo, auteur du rapport Público, qui souligne «l'inefficacité, la négligence et même l'imprudence évidente du CNI», mais qui n'explore pas la signification de ses propres révélations.

Les intrigues réactionnaires du CNI avec la cellule Es-Satty et le virage de la classe dirigeante vers l'extrême droite posent des questions fondamentales de perspective historique et de classe. Ils soulignent le caractère prémédité de la politique violemment contre-révolutionnaire menée par l'aristocratie financière contre les travailleurs.

Les attentats de Barcelone sont le produit de la guerre impérialiste qui a suivi les soulèvements révolutionnaires de la classe ouvrière contre les dictateurs soutenus par l'OTAN en Égypte et en Tunisie en 2011. Les puissances de l'OTAN, dont l'Espagne, ont armé des milices islamistes mandataires dans les guerres d'abord en Libye et, après la chute du régime libyen en août 2011, en Syrie. Les réseaux islamistes opéraient sous protection officielle dans toute l'Europe, recrutant des milliers de personnes pour combattre au Moyen-Orient.

Au moment des attentats de Barcelone, les travailleurs étaient déjà de plus en plus en colère à propos de la poussée à la guerre, et les cercles dirigeants s'inquiétaient de plus en plus de la possibilité d'une éruption d'indignation populaire. Le gouvernement espagnol a organisé une «marche pour l'unité nationale» peu après l'attentat de Barcelone. Alors que 500.000 personnes se sont déplacées pour la marche, l'événement, contrairement aux intentions de Madrid, s'est transformé en une manifestation massive d'hostilité publique aux guerres impérialistes par procuration au Moyen-Orient.

Le roi d'Espagne Felipe VI, le premier ministre Mariano Rajoy et d'autres hauts responsables présents à la marche ont été accueillis avec des huées, des klaxons et des cris de «Votre politique, nos morts». Les travailleurs ont dénoncé les ventes d'armes espagnoles à des pays du Moyen-Orient comme l'Arabie saoudite, en criant: «Felipe, si tu veux la paix, tu ne fais pas de trafic d'armes.»

Cette éruption de colère de la classe ouvrière après l'attentat terroriste de Barcelone montre que le reportage de Público ne se limite pas à des questions sur le travail de détective du CNI. La campagne brutale contre Público cette année dans les médias bourgeois – comme l'effusion massive de colère populaire juste après l'attaque et l'aveu tardif du CNI quelques mois plus tard, que Es-Satty était un agent du CNI – reflète l'état explosif des relations de classe. Après une décennie d'austérité imposée par l'Union européenne et d'inégalités sociales croissantes, les conflits de classes ont atteint des niveaux explosifs.

L'éruption de grèves de masse au Portugal et en Pologne, les mouvements de masse appelant au renversement des dictatures militaires en Algérie et au Soudan, les manifestations des gilets jaunes en France et une vague mondiale de grèves et de protestations de Hong Kong aux enseignants américains en sont les premières manifestations. Les événements en Espagne montrent comment l'aristocratie financière, isolée et profondément impopulaire, évolue rapidement vers un régime fasciste et autoritaire. C'est dans ce cadre que s'est déroulée la réponse officielle aux attentats de Barcelone, et c'est sur cette base que la classe ouvrière doit formuler sa réponse.

Le sang séchait encore dans les rues de Barcelone en août 2017 après l'attentat lorsque l'élite dirigeante a commencé à discuter ouvertement du déploiement de l'armée en Espagne. Les responsables du gouvernement de droite de Rajoy ont déclaré qu'ils envisageaient d'imposer la loi martiale. Cela aurait été la première fois que l'armée était déployée en Espagne depuis que le pays était dirigé par le régime fasciste de Francisco Franco, qui a pris le pouvoir pendant la Guerre civile espagnole de 1936-1939.

Peu après, Madrid a déployé des milliers de paramilitaires de la Guardia Civil, qui ont agressé des électeurs pacifiques lors du référendum d'indépendance catalane d'octobre 2017, qui ont envoyé plus de 800 personnes à l'hôpital. Alors que le référendum était lui-même une manœuvre réactionnaire des partis nationalistes catalans pro-austérité pour détourner la colère sociale croissante dans des voies ethniques, il est devenu le point de mire d'une campagne plus large de la bourgeoisie pour mettre en place un régime d'extrême droite visant l'ensemble de la classe ouvrière.

L'agitation anti-catalane hystérique de l'establishment politique et des médias s'est accompagnée de l'organisation de manifestations franquistes. Le gouvernement PP a suspendu le gouvernement catalan élu et a emprisonné une douzaine de politiciens nationalistes catalans pour des accusations frauduleuses. Ces politiciens ont ensuite été poursuivis par le nouveau gouvernement du Parti socialiste (PSOE), ce qui a permis au parti franquiste Vox d'aider à poursuivre les politiciens nationalistes catalans dans un procès spectacle qu'il a supervisé.

L'atmosphère de droite alimentée par la classe dirigeante a permis à un parti ouvertement profasciste, Vox, d'être élu au parlement pour la première fois depuis la chute du régime franquiste en 1978.

Quelques mois plus tard, la Cour suprême a statué que le coup d'État lancé par Franco et ses hommes de main en 1936 contre la République espagnole était légal. Il a explicitement soutenu que Franco, fondateur d'une dictature fasciste de quatre décennies, était le chef d'État légitime du pays dès le lendemain de son coup d'État, qui a provoqué la guerre civile espagnole. Après sa victoire dans la guerre civile, l'armée franquiste a perpétré le massacre de centaines de milliers d'ouvriers et de jeunes de gauche.

Ce jugement s'inscrit dans un mouvement plus large de la classe capitaliste à travers l'Europe pour légitimer le fascisme. En Allemagne, les grands partis bourgeois couvrent des professeurs d'extrême droite comme Jörg Baberowski alors qu'ils blanchissent les crimes d'Hitler pour légitimer l'austérité et la remilitarisation de la politique étrangère allemande. En Italie, le ministre de l'Intérieur Matteo Salvini défend le dictateur fasciste Benito Mussolini. En France, le président Macron salue comme un grand soldat le leader du régime de Vichy collaborateur avec les nazis, le meurtrier de masse Philippe Pétain, tout en sévissant contre les manifestants gilets jaunes.

Ce n'est que dans ce cadre d'atteintes violentes aux droits démocratiques et de légitimation du fascisme par l'aristocratie financière que les intrigues du CNI avec Es-Satty peuvent être correctement évaluées.

Il n'y a aucune raison d'accepter les affirmations des défenseurs des agences d'espionnage dans les médias selon lesquelles les agents du CNI auraient tout au plus commis quelques erreurs dans un effort autrement sincère pour protéger la nation. Ils ont établi des liens avec des terroristes islamistes aux fins de la sanglante politique étrangère de l'OTAN. Après que ces réseaux eurent perpétré des attentats terroristes sanglants en Europe, l'appareil de sécurité espagnol a soutenu l'élite dirigeante en intensifiant les attaques contre les droits démocratiques.

Cette analyse n'est pas fondée sur des spéculations, ou ce que les médias appellent des «théories du complot», concernant l'état d'esprit ou les motivations des agents du CNI. En effet, les motivations des espions qui ont travaillé avec Es-Satty sont inconnues et ont été masquées par l'État et les médias espagnols. Elle se fonde plutôt sur un examen objectif des événements de ces dernières années.

Les affirmations des médias selon lesquelles les agences espagnoles d'espionnage agissent de bonne foi n'ont aucune crédibilité. Si l'État espagnol peut juridiquement légitimer le bilan des massacres fascistes de Franco, il n'est pas inconcevable que des éléments franquistes de l'État permettent qu'une attaque ait lieu, au coût relativement faible de quelques dizaines de vies, pour terroriser et désorienter la population et aider à imposer des politiques impopulaires et d'extrême droite.

La crise de guerre et le virage de l'élite dirigeante vers un régime fasciste autoritaire présentent d'énormes tâches et défis pour la classe ouvrière. Les événements démasquent les propagandistes procapitalistes qui prétendaient que la dissolution de l'Union soviétique par le régime stalinien en 1991 a marqué la «fin de l'histoire» et le triomphe final de la démocratie capitaliste libérale. Non seulement les conditions objectives qui ont conduit à la Révolution russe – la guerre, la crise capitaliste et les luttes de classe internationales – existent toujours, mais l'aristocratie financière répond à la crise croissante en se tournant vers les types de crimes qu'elle a commis au XXe siècle. Depuis l'intérieur des bureaucraties d'États capitalistes supposés démocratiques, une poussée rapide vers la dictature se développe.

La tâche qui incombe aux travailleurs politiquement avancés dans cette situation est un retour aux traditions révolutionnaires du XXe siècle représentées par la révolution d'Octobre et la lutte du mouvement trotskyste contre le stalinisme. Ces traditions ne sont aujourd'hui perpétuées que par le Comité international de la Quatrième Internationale.

La voie à suivre pour les travailleurs et les jeunes qui s'opposent aux intrigues sanglantes des services de renseignement est une réorientation politique fondamentale. Cela signifie construire des organisations de lutte dans la classe ouvrière au niveau international contre le mouvement de guerre impérialiste et le changement rapide vers des formes autoritaires de gouvernement.

(Article paru en anglais le10 septembre 2019)

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