«Protéger le mode de vie européen» et «une Europe plus forte dans le monde»

La nouvelle Commission européenne va intensifier le militarisme et les attaques contre les réfugiés

Ursula von der Leyen, ancienne ministre allemande de la Défense et nouvelle présidente de la Commission européenne (CE), a dévoilé son équipe de commissaires lors d’une conférence de presse mardi dernier. Les nominations et les titres des nouveaux postes sont un autre indicateur du rythme extraordinaire avec lequel la classe dirigeante européenne évolue vers la droite. La nouvelle CE supervisera l’intensification du militarisme, les attaques brutales contre les réfugiés et la promotion des forces fascistes et d’extrême droite contre la classe ouvrière dans l’Union européenne.

Le changement le plus souvent mentionné concerne le portefeuille de l’immigration et des réfugiés. Il s’intitulait auparavant «Migration, affaires intérieures et citoyenneté». Désormais, il se nommera «Vice-président pour la protection du mode de vie européen». Il couvre non seulement la migration, mais aussi la responsabilité de la police des frontières extérieures et de la sécurité intérieure de l’Europe, ainsi que des politiques de l’éducation et de l’emploi.

Le nouveau titre, qui associe la restriction des migrations à la protection d’un prétendu «mode de vie» européen, est une reprise directe des tropes de la droite fasciste moderne et aurait plu au propagandiste nazi Joseph Goebbels lui-même.

Par exemple, un thème majeur avancé par l’idéologue fasciste français Renaud Camus, dans son ouvrage «Le grand remplacement», est que la migration vers l’Europe menace de remplacer, c’est-à-dire «anéantir», l’«identité» et la culture européennes. Brenton Tarrant, le terroriste fasciste qui a abattu 50 fidèles musulmans dans deux églises de Christchurch, en Nouvelle-Zélande, a cité la «théorie» de Camus dans le manifeste qu’il a publié peu avant l’attaque du 15 mars. Le manifeste de Tarrant s’opposait à ce qu’il appelait une «invasion» d’immigrants à l’ouest.

La lettre d’introduction de von der Leyen à Margaritis Schinas, ancienne membre du Parlement européen du parti conservateur grec New Democracy qui comblera le poste, contient des passages qui auraient pu être tirés directement des publications de l’extrême droite. La protection du «mode de vie européen», déclare von der Leyen, «souligne la nécessité d’une migration légale bien gérée, d’un fort accent sur l’intégration et d’assurer la cohésion et l’unification de nos communautés».

«Nous devons répondre aux craintes et aux préoccupations légitimes concernant l’impact de la migration irrégulière sur l’économie et la société et les apaiser,» déclare-t-elle. Évidemment, les «craintes légitimes» dont parle von der Leyen sont celles de l’extrême droite. Elle fait clairement savoir que la CE va collaborer avec ces derniers: «Pour parvenir à un consensus en vue d’un nouveau départ dans le domaine des migrations, il faudra des contacts, des consultations et une coopération étroite.» Schinas devrait «diriger ce travail en focalisant sur la construction des ponts avec les plus retranchés», écrit-elle.

Les ouvertures de Von der Leyen s’inscrivent tout à fait dans la continuité des politiques actuelles de l’Union européenne qui a promu les forces d’extrême droite à travers le continent, et de la Grande Coalition allemande dont elle a fait partie. La Grande Coalition a élevé l’Alternative pour l’Allemagne (AfD) fasciste au rang d’opposition officielle au Parlement. Elle a également défendu le professeur Jorg Baberowski – professeur à l’Université Humboldt d’extrême droite qui a déclaré de manière infâme que «Hitler n’était pas brutal» – des critiques des étudiants qui se sont opposés à ses tentatives de justifier la relance du militarisme allemand en relativisant les crimes des nazis. Sous la coalition, l’agence de renseignement de l’État, le Verfassungsschutz (défense de la constitution), a placé le Parti de l’égalité socialiste allemand sur une liste d’extrémistes de gauche. Sa justification: notre parti s’oppose au capitalisme, au militarisme, au fascisme et cherche à construire un mouvement socialiste de la classe ouvrière.

La bourgeoisie européenne se déplace tellement vers la droite qu’elle abandonne de plus en plus des titres hypocritement humanitaires qu’elle accordait auparavant à ses politiques de droite. Cela a provoqué la consternation même parmi les personnalités bourgeoises des médias et de l’establishment politique.

Même le chef sortant de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, s’est déclaré préoccupé par le changement de nom du poste d’immigration. Il y a eu des déclarations d’opposition de la part de certains membres du Parlement européen. Mercredi, le Parlement européen a voté en faveur d’une motion de l’eurodéputée française des Verts, Karima Delli, protestant contre cette annonce.

Ces protestations sont complètement cyniques et frauduleuses. L’Union européenne a supervisé pendant des années une politique de massacres de masse à l’encontre des réfugiés. Plus récemment, elle a délibérément mis fin à des patrouilles de navires de sauvetage en Méditerranée pour abandonner à la noyade des milliers de réfugiés dans la mer sud du continent afin de dissuader les autres demandeurs d’asile. Toutes les parties protestant contre le dernier changement de nom soutiennent l’attaque contre les migrants, mais veulent donner à leur propre variante un titre moins précis. Ils savent que leurs politiques sont impopulaires au sein de la population et craignent une éruption d’opposition de la base.

Von der Leyen a également annoncé que le portefeuille des relations extérieures sera rebaptisé «Une Europe plus forte dans le monde». Il sera dirigé par l’actuel ministre des Affaires étrangères du gouvernement du Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE), Josep Borrell.

Il sera chargé de superviser une politique militaire plus agressive de l’Union européenne à l’égard de ses principaux rivaux géopolitiques. Sont visés principalement: la Russie, la Chine et les États-Unis. Enfin, il sera responsable d’intensifier les opérations prédatrices pour assurer l’accès des impérialistes européens aux marchés et aux ressources.

Nous devons «construire notre partenariat avec les États-Unis, bien que nous ayons des problèmes, mais ce sont nos alliés les plus proches; définir notre relation avec une Chine qui s’affirme davantage; être un voisin plus fiable, par exemple avec l’Afrique», a dit von der Leyen. Le portefeuille des relations extérieures deviendra une «commission géopolitique». Elle a conclu en déclarant que «le monde a besoin de plus d’Europe. Le monde réclame plus d’Europe.»

Par un «voisin plus responsable» pour l’Afrique, von der Leyen a à l’esprit: l’expansion de l’occupation du Mali et du Sahel, régions riches en ressources naturelles, par l’impérialisme français en alliance avec l’Allemagne; le soutien aux dictateurs africains comme Abdel al-Sisi en Égypte; les guerres pour le changement de régime comme en Libye en 2011; et la création de camps de concentration sur le continent.

Ces politiques, dont l’aboutissement logique est la guerre nucléaire avec les rivaux géopolitiques de l’impérialisme européen, ne bénéficient d’aucun soutien dans la classe ouvrière. L’élite dirigeante a l’intention de faire payer la classe ouvrière pour sa militarisation par l’austérité contre ses droits sociaux et son niveau de vie. C’est pourquoi, comme dans les années 1930, la classe dirigeante se tourne à nouveau vers la promotion des forces d’extrême droite et fascistes.

D’autres nominations pour la CE indiquent également une politique plus agressive de la part des grandes puissances européennes.

Margrethe Vestager sera vice-présidente d’un portefeuille élargi, «L’Europe prête pour l’ère numérique». Elle conservera le portefeuille de la concurrence, en plus de superviser la réglementation du secteur de la technologie. Cela indique que l’UE intensifiera ses mesures qui visent à restreindre le pouvoir des grandes entreprises technologiques basées aux États-Unis en Europe, notamment Facebook, Google et Twitter.

Vestager avait été qualifiée de «dame des impôts» par le président américain Donald Trump après avoir infligé des amendes à des entreprises technologiques américaines, dont 8 milliards d’euros à Google. Dimanche, le ministre français des Finances, Bruno Le Maire, a annoncé que la France empêcherait Facebook de déployer sa nouvelle cryptomonnaie, Libra, sur le continent.

Les restrictions imposées par l’UE aux entreprises technologiques basées aux États-Unis ne visent pas seulement Washington. Elles visent également à renforcer les pouvoirs des États membres de l’UE en matière de censure de l’internet et de répression de l’opposition croissante de la classe ouvrière. Il y a un autre signe du tournant vers l’autoritarisme et l’édification d’un État policier. Laszlo Trocsanyi, un allié du Premier ministre hongrois d’extrême droite Viktor Orbán, dirigera la commission responsable de superviser l’introduction de nouveaux États membres dans l’UE. Trocsanyi avait contribué à l’élaboration des réformes Orbán en mettant le pouvoir judiciaire sous le contrôle de l’exécutif.

L’annonce de la nouvelle liste des commissaires de la CE est une autre confirmation de l’absence totale d’une fraction progressiste dans l’establishment politique bourgeois européen. La classe ouvrière à travers le continent fait face à une élite dirigeante qui évolue radicalement à droite, qui se prépare à la guerre et qui établit les forces de la dictature pour répondre à un mouvement international grandissant de la classe ouvrière.

(Article paru en anglais le 16 septembre 2019)

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