Les médias canadiens se joignent aux conservateurs pour demander à la GRC de jouer un rôle clé dans les élections

Les premiers jours de la campagne électorale fédérale au Canada ont été dominés par la tentative des conservateurs et d’une grande partie des médias corporatifs de présenter l’élection comme un référendum sur la «corruption». Ils exigent que la Gendarmerie royale du Canada (GRC) ait toute latitude pour enquêter sur la question de savoir si les actions du gouvernement libéral dans l’affaire SNC-Lavalin constituent une «obstruction à la justice».

Il ne fait aucun doute que le premier ministre Justin Trudeau et ses principaux adjoints ont déployé des efforts extraordinaires pour protéger la société transnationale québécoise d’ingénierie et de construction contre des poursuites criminelles – notamment en réécrivant la loi et en cherchant par la suite à la contourner et à la manipuler.

L’épisode de SNC-Lavalin a révélé ce que sont Trudeau et ses libéraux: les serviteurs fidèles des grandes entreprises. Alors qu’ils se présentent, avec l’appui des syndicats procapitalistes, comme des «progressistes» se souciant des préoccupations des travailleurs, les libéraux ne sont en fait qu’à l’écoute des entreprises canadiennes.

Toutefois, les conservateurs et les médias, sous la direction du Globe and Mail, la voix traditionnelle de l’élite financière de Bay Street, cherchent cyniquement et hypocritement à utiliser l’affaire SNC-Lavalin pour pousser l’ordre du jour politique encore plus à droite. Ce qui est particulièrement sinistre, c’est qu’ils insistent pour que la GRC soit habilitée à enquêter sur l’affaire SNC-Lavalin, et sur les actions de Trudeau et du cabinet du premier ministre en particulier, en pleine campagne électorale. Cela donnerait à la police nationale du Canada – une force notoire pour ses liens avec la droite et ses violations répétées des droits démocratiques des Canadiens – une puissante influence dans le résultat de l’élection.

Le scandale SNC-Lavalin a éclaté en février dernier, lorsqu’il est apparu que Jody Wilson-Raybould avait été congédiée comme ministre de la Justice et procureure générale de Trudeau parce qu’elle avait refusé de mettre fin aux poursuites criminelles contre l’entreprise pour avoir versé des dizaines de millions de dollars en pots-de-vin pour obtenir des contrats de la Libye. En 2018, les libéraux avaient adopté une loi permettant au procureur général d’offrir des accords de poursuite suspendue (APS) aux entreprises faisant face à des accusations criminelles. Cette décision était si clairement liée à la poursuite imminente contre la plus grande firme d’ingénierie du Canada que les initiés d’Ottawa l’ont qualifiée de «loi SNC-Lavalin». En vertu d’un APS, les accusations sont suspendues en échange d’amendes et d’un engagement à se conformer à la loi dans l’avenir.

À peine Wilson-Raybould avait-elle indiqué qu’elle n’était pas prête à utiliser ses nouveaux pouvoirs pour protéger SNC-Lavalin, que le cabinet du premier ministre, dirigé par Trudeau, a lancé une campagne de pressions et d’intimidation contre elle. Pendant quatre mois, à compter de septembre 2018, les principaux adjoints de Trudeau ont collaboré avec les représentants de SNC-Lavalin pour les conseiller sur la façon de défendre leur cause devant les fonctionnaires du ministère de la Justice. En même temps, ils ont intimidé Wilson-Raybould pour qu’elle infirme sa décision, formulant leur demande en exhortant celle-ci à jeter un regard neuf sur l’affaire et à demander conseil à des experts, le tout afin de ne pas violer la lettre de la loi.

Lorsque Wilson-Raybould a persisté à défier les souhaits de Trudeau, le premier ministre l’a rétrogradée au poste de ministre des Anciens Combattants lors d’un remaniement ministériel en janvier puis, après qu’elle ait démissionné du Cabinet et exigé que Trudeau s’excuse de l’avoir intimidée, ce dernier l’a renvoyée du caucus libéral.

Dès le début, les conservateurs d’Andrew Scheer et les médias de droite ont exploité le scandale pour déstabiliser le gouvernement et tenter de faire de la «corruption libérale» une question clé, sinon décisive, lors des élections fédérales d’octobre.

Le nouvel élan en faveur d’une enquête de la GRC, dès le début de la campagne électorale, marque une dangereuse intensification de cette conspiration de droite. Celle-ci est menée par le Globe and Mail, propriété de David Thomson, le milliardaire le plus riche du Canada.

Le rôle du Globe and Mail, porte-parole de l’élite financière canadienne

Mercredi dernier, le jour où Trudeau a choisi de lancer officiellement la campagne électorale, le Globe and Mail a publié en manchette un reportage sensationnaliste sur l’affaire SNC-Lavalin. L’article n’apportait pas grand-chose de nouveau sur le plan des faits, mais affirmait que le cabinet du premier ministre bloquait les tentatives de la GRC d’enquêter sur ce qui s’était passé. Caché dans l’article se trouvait l’aveu que la police nationale du Canada n’avait toujours pas ouvert d’enquête criminelle sur l’affaire.

Puis, jeudi et vendredi, le Globe and Mail a de nouveau publié en première page de son édition imprimée d’autres articles alléguant que le gouvernement et Trudeau personnellement entravaient une enquête de la GRC dans l’affaire SNC-Lavalin. Indication claire que des forces puissantes sont derrière la poussée anti-Trudeau, Wilson-Raybould a soudainement laissé tomber son opposition précédente à la tenue d’une enquête policière. Mercredi, elle a dit au Globe and Mail qu’elle avait été longuement interviewée par la GRC la veille et qu’elle croyait maintenant qu’une enquête policière complète devait être menée pour déterminer s’il y avait lieu de porter des accusations judiciaires pour obstruction.

Le chroniqueur du Globe and Mail John Ibbitson a résumé le caractère réactionnaire de la campagne en déclarant: «Nous devons savoir ce que M. Trudeau cache au Parlement, au commissaire à l’éthique, à la police et au public... L’intérêt national l’exige, et celui-ci doit passer avant tout».

Le gouvernement Trudeau est un gouvernement pro austérité, proguerre auquel la classe ouvrière doit s’opposer implacablement. Mais ce faisant, elle ne doit pas soutenir les intrigues réactionnaires des conservateurs et du Globe and Mail. Leur tentative de faire de la GRC l’arbitre du résultat des élections s’inscrit dans le cadre d’une rupture des formes démocratiques de gouvernement dans tous les pays capitalistes avancés.

À mesure que les inégalités sociales s'accentuent, que les tensions interimpérialistes et entre les grandes puissances s'accentuent et que la résistance de la classe ouvrière s'intensifie, l'élite dirigeante capitaliste se tourne de plus en plus vers des méthodes de gouvernement autoritaires et le renforcement de l'extrême droite: de l'ascension à la présidence américaine du milliardaire fasciste Donald Trump à la prorogation du parlement britannique par Boris Johnson, en passant par la violente répression des Gilets jaunes par Emmanuel Macron et la réhabilitation du maréchal Pétain, le collaborateur nazi.

Une annonce de la GRC selon laquelle elle enquêtait pour savoir si des initiés libéraux avaient profité illégalement d’une fuite de mesures fiscales contenues dans le budget de novembre 2005 a donné un coup de pouce important à Stephen Harper et à ses conservateurs lors des élections de janvier 2006. Maintenant, tout comme ils l’ont fait à l’époque, les conservateurs se battent contre la «corruption libérale» pour mieux cacher leur propre programme de droite.

Cependant, le remplacement à nouveau d’un premier ministre libéral par son rival conservateur, avec l’aide d’une enquête de la GRC, ne signifierait pas un simple retour aux politiques de Harper, qui, pendant sa décennie au pouvoir, a imposé des coupes sauvages dans les dépenses sociales, détruit le droit de grève et intégré davantage le Canada dans les guerres de Washington en Asie centrale, au Moyen-Orient et en Afrique du Nord et ses attaques stratégiques contre la Russie et la Chine.

L’assaut croissant contre la classe ouvrière

La crise capitaliste mondiale s’est considérablement aggravée depuis 2015, pour ne pas parler de 2006, et l’élite dirigeante s’efforce d’obtenir une intensification correspondante de l’assaut mené contre la classe ouvrière.

En Ontario, le gouvernement progressiste-conservateur de Doug Ford a sabré des milliards de dollars dans les services publics, notamment en éducation. Ford s’est juré de criminaliser les grèves des enseignants et, en vue de se préparer à déclencher une répression d’État, a cherché à dépeindre une grande partie de l’opposition à son gouvernement comme violente.

En Alberta, le gouvernement du Parti conservateur uni de Jason Kenney a commandé un rapport qui a récemment été publié et demandant une réduction de 20 % des dépenses publiques par habitant. Ces compressions comprendront des réductions de salaire imposées par l’État et des licenciements massifs. Conscients que ce programme suscitera une forte opposition populaire, les auteurs du rapport soulèvent la possibilité d’invoquer la clause dérogatoire réactionnaire de la Constitution canadienne, qui permet aux gouvernements de faire fi des droits et libertés garantis par la Constitution.

Un gouvernement fédéral conservateur porté au pouvoir par des intrigues impliquant la police et les services de renseignement adopterait des politiques tout aussi impitoyables au niveau fédéral. Scheer a déjà promis qu’un gouvernement conservateur se joindrait au bouclier antimissile balistique américain, visant à rendre une guerre nucléaire «gagnable», collaborerait plus étroitement avec les États-Unis contre la Chine et enverrait les Forces canadiennes dans le golfe Persique pour épauler les admonestations des États-Unis et menacer l’Iran.

La réélection de Trudeau se traduirait par un gouvernement non moins hostile à la classe ouvrière. Loin d’être une exception, la soumission des libéraux aux intérêts corporatifs révélés dans l’affaire SNC-Lavalin est la procédure normale de fonctionnement du parti traditionnel de la bourgeoisie canadienne.

Au cours de ses quatre années au pouvoir, Trudeau a engagé des dizaines de milliards de dollars pour équiper les Forces armées canadiennes de nouveaux avions de combat et navires de guerre, lancé un programme de privatisation de plusieurs milliards de dollars pour donner l’infrastructure publique à l’élite financière, rejoint Trump dans la chasse aux sorcières des immigrants et des réfugiés et réduit le financement fédéral des services de santé.

Dans des conditions de récession mondiale menaçante et d’intensification de la poussée militariste des États-Unis contre la Chine, un gouvernement Trudeau réélu entrerait rapidement en conflit direct avec la classe ouvrière. Comme l’a déjà démontré sa criminalisation de la grève des postiers de 2018 et l’élargissement des pouvoirs des agences de renseignement, le gouvernement Trudeau aura recours à la répression si ses alliés syndicaux ne parviennent pas à contenir l’opposition ouvrière.

Le NPD social-démocrate suit comme d’habitude les partis traditionnels de l’élite capitaliste au pouvoir. Le NPD s’est essentiellement fait l’écho des points de vue des conservateurs sur l’affaire SNC-Lavalin, tout en précisant que, dans l’éventualité d’un parlement sans majorité, il soutiendra un gouvernement libéral minoritaire.

La classe ouvrière doit repousser toute pression pour se ranger derrière l’une ou l’autre faction de l’élite dirigeante à mesure que ses luttes intestines s’aggravent. Les travailleurs n’ont rien à gagner de la destitution des libéraux par une intrigue de droite. Mais il n’en est pas moins vrai qu’ils ne peuvent pas lutter non plus contre l’élite corporative et la droite en appuyant les libéraux, dont les quatre années au pouvoir ont été marquées par la poursuite, quoique sous une nouvelle forme, de l’austérité, du militarisme et des attaques de Harper contre les droits démocratiques.

La seule réponse viable au scandale SNC-Lavalin est que la classe ouvrière s’engage dans la lutte pour le socialisme. Les relations corrompues qui existent entre l’establishment politique dans son ensemble et l’élite entrepreneuriale fabuleusement riche du Canada ne peuvent être rompues que par la mise en place d’un gouvernement ouvrier déterminé qui collectivisera les banques et les grandes industries pour les placer sous contrôle public, introduira un vaste programme de travaux publics pour répondre aux besoins sociaux urgents dans le logement, la santé, l’éducation et les services sociaux, et mettra fin aux dépenses des dizaines de milliards de dollars gaspillées par l’impérialisme canadien pour se préparer à une nouvelle guerre mondiale. Les travailleurs ne pourront mettre fin à la domination des grandes entreprises et des super riches sur la vie politique qu’en s’engageant dans la lutte pour abolir le système capitaliste de profit qui en est à l’origine.

(Article paru en anglais le 16 septembre 2019)

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