Au cours de la semaine écoulée, les démocrates du Congrès ont soudainement découvert leur soutien aux lanceurs d’alerte. Ils se sont précipités à la défense de l'agent de la CIA affecté à la Maison-Blanche, qui a été au centre des conflits au sein de l'État à propos de l'appel de Trump au président ukrainien en juillet.
Jeudi, le Comité du renseignement de la Chambre a publié la plainte de l'agent, affirmant que Trump avait cherché à «solliciter l'ingérence d'un pays étranger» au sujet des élections américaines de 2020.
Lorsque Trump a condamné l'auteur du rapport comme un «espion», Adam Schiff, président de la commission du renseignement de la Chambre des représentants, a félicité l'auteur du rapport, encourageant les autres à « faire preuve du même courage et de patriotisme que ce lanceur d’alerte.»
«Le Congrès doit faire tout ce qui est en son pouvoir pour protéger ce lanceur d’alerte et tous les lanceurs d’alerte», a-t-il déclaré.
Tous les lanceurs d’alerte? On pourrait rappeler à Schiff ce qu’il avait à dire à propos de Edward Snowden, le sous-traitant de l’Agence nationale de sécurité (NSA) qui, en 2013, a publié des documents montrant que la NSA et d’autres services de renseignement avaient, en violation flagrante de la Constitution américaine, espionné toutes les communications électroniques transmises par tous les Américains.
En 2016, Schiff a écrit une lettre au président Barack Obama lui demandant «de ne pas pardonner à Edward Snowden, qui a perpétré la divulgation publique la plus importante et la plus dommageable d'informations classifiées de l'histoire de notre pays».
Il a conclu: «Le gouvernement américain doit le tenir responsable de ses actes.»
Le secrétaire d'État de l'époque, John Kerry, s'est fait l'écho de ces propos, affirmant que Snowden «avait gravement endommagé son pays» et «trahi son pays».
En guise de représailles pour ses révélations, qui ont abouti à des prix Pulitzer pour les journalistes avec lesquels il travaillait, Snowden fait faace à des accusations d'espionnage potentiellement passibles de la peine de mort. Il est contraint de vivre en exil en Russie depuis six ans.
Les démocrates sous Obama ont également présidé à l'emprisonnement de Chelsea Manning dans des conditions relevant de la torture. Le gouvernement Obama a supervisé son procès devant une cour martiale et sa condamnation pour le «crime» d’avoir aider la révélation de meurtre de masse commis par les troupes américaines en Irak et en Afghanistan.
Parmi les révélations les plus accablantes de Manning, citons la vidéo publiée par WikiLeaks sous le titre Collateral Murder (meurtre collatéral), qui montra un hélicoptère d’attaque américain abattant des civils à Bagdad, tuant plus d’une douzaine de personnes, dont deux photographes de Reuters, et blessant davantage de civils non armés, dont deux enfants.
Après que sa peine ait été commuée par Obama fin 2016, Manning a été réincarcérée cette année, sans être inculpée pour aucune accusation, pour l'obliger à témoigner contre Julian Assange, le journaliste de WikiLeaks qui a publié ses révélations. Elle est emprisonnée depuis plus de six mois.
Quant à Assange, il reste emprisonné à la prison britannique de Belmarsh. En plus d'avoir révélé les crimes de guerre américains, Assange et WikiLeaks ont rendu publiques les intrigues diplomatiques et les relations corrompues de Washington avec les gouvernements du monde entier, contribuant ainsi à déclencher les soulèvements populaires de 2011 en Égypte et en Tunisie.
Les démocrates ont salué la révocation illégale de l'asile d'Assange et son enlèvement de l'ambassade équatorienne à Londres en avril dernier, à la demande du gouvernement Trump, par la voix alors de leur candidate à la présidentielle 2016 Hillary Clinton qui ricanait en disant: «Pour faire court, il doit être tenu responsable de ce qu’il a fait.»
Elle a repris à son compte le mensonge du gouvernement Trump selon lequel ce journaliste courageux ne serait accusé que de piratage informatique. «Je pense que l'acte d'accusation qui a été rendu public montre clairement qu'il ne s'agit pas de punir le journalisme», a-t-elle déclaré.
Elle n'a avancé aucune rétractation après que le ministère de la justice eut porté des accusations d'espionnage contre Assange, ciblant explicitement ses activités journalistiques et attaquant la garantie du Premier Amendement relative à la liberté de la presse.
L'hypocrisie du parti démocrate est sans borne, mais c'est une hypocrisie à motivation politique. L'attitude des démocrates à l'égard des lanceurs d'alerte est déterminée, comme pour tout ce qu'ils font, par les intérêts de l'impérialisme américain et de la classe dirigeante.
Dans le cas de l'agent de la CIA qui a divulgué des informations au sujet de l'appel de Trump avec le président ukrainien en juillet, le rapport fait partie d'une amère querelle au sein de l'élite dirigeante qui a perduré pendant tout le mandat de Trump.
Ce conflit est principalement motivé par des divisions sur la politique étrangère. Les sections dominantes de l'État, parmi lesquelles des républicains aussi bien que des démocrates, craignent que Trump ne subordonne des principaux impératifs géostratégiques, y compris le conflit avec la Russie, à ses intérêts personnels
C’est pour cette raison que les démocrates ont maintenant utilisé les affirmations du «lanceur d’alerte» de la CIA pour soit se débarrasser de Trump, soit le contraindre à adopter une politique étrangère plus conforme aux services de renseignement au nom desquels ils parlent.
Dans les cas de Snowden, Manning et Assange, il s’agit de fuites par des individus qui ont révélé des crimes de l’impérialisme américain lui-même. Cela ne peut être toléré par aucune faction de la classe dirigeante, ce qui explique pourquoi la persécution brutale de ces individus bénéficie d'un soutien bipartite sans limite.
Des millions de travailleurs et de jeunes gens détestent à juste titre Trump en tant que représentant fascisant de l'oligarchie financière américaine: le bourreau des enfants immigrants et le bâtisseur de camps de concentration. Mais personne ne devrait faire confiance aux geôliers de Manning et Assange et aux poursuivants de Snowden.
Les démocrates représentent simplement une faction différente de la même oligarchie financière corrompue qui a engendré Trump. Dans la mesure où la lutte contre le fasciste à la Maison Blanche est liée aux démocrates, elle permet à Trump de se positionner comme un adversaire de «l'État profond» tout en cherchant à transformer les États-Unis en une dictature personnaliste.
Il n'y a qu'un moyen de sortir de la dangereuse crise politique: la mobilisation de la classe ouvrière contre le gouvernement Trump, indépendamment du Parti démocrate. La défense des droits démocratiques ne peut être subordonnée à aucune faction de la classe dirigeante. Elle doit être basée sur la mobilisation indépendante de la classe ouvrière contre le capitalisme et pour le socialisme.
Ceci est indissociable de la lutte pour défendre Manning, Assange, Snowden et tous ceux qui sont persécutés par la classe dirigeante capitaliste et ses porte-parole politiques.
(Article paru en anglais le 30 septembre 2019)