Le gouvernement équatorien arrête des centaines de personnes et déploie des militaires contre une grève nationale

L'Équateur a été secoué par une grève nationale et des manifestations généralisées à la suite de l'annonce mardi par le gouvernement de droite de Lenín Moreno d'un plan d'austérité prévoyant des réductions annuelles de 1,4 milliard de dollars.

La mesure spécifique qui a déclenché les manifestations a été l'élimination des subventions à l'essence, qui est entrée en vigueur mercredi à minuit et a fait passer le prix de l'essence de $1,85 à $2,30 le gallon (3.8 litres) et celui du diesel de $1,03 à $2,27 le gallon.

Depuis mercredi, les travailleurs des transports sont en grève. Ils ont été rejoints par des travailleurs et des étudiants de tout le pays, qui ont dressé des barrages routiers et organisé des manifestations. La hausse des prix est particulièrement incendiaire dans un pays dont le principal produit est le pétrole, qui représente 30 % des exportations.

Le Frente Unitario de Trabajadores (FUT, Front unitaire de travailleurs), la Confederación de Nacionalidades Indígenas del Ecuador (CONAIE, Confédération de nationalités d'indigènes) et le Front populaire, qui est dirigé par le Parti communiste marxiste-léniniste stalinien de l'Équateur (PCMLE) et comprend la Fédération des étudiants universitaires (FEUE) et l'Unión Nacional de Educadores (UNE, Union national d'enseignants), entre autres syndicats et groupes militants, ont lancé une grève nationale pour mercredi et jeudi.

Des manifestants se heurtent à la police lors d'une manifestation [Crédit: AP Photo / Dolores Ochoa]

Il s'agit de la deuxième grève nationale d'importance cette année après une grève de cinq jours en juillet - la plus importante en 14 ans.

Sur fond d'une résurgence mondiale de la lutte de classe et des protestations contre les inégalités sociales, y compris des manifestations de masse à Hong Kong et en Irak qui défient également la répression de la police, les manifestants dans les rues de l'Équateur exigent l'abrogation de l'ensemble des mesures d'austérité et la démission de Moreno.

Depuis son arrivée au pouvoir, Moreno s'est efforcé de s'adapter de toutes les manières possibles aux exigences de la finance mondiale et, en particulier, de Washington. Dans un acte de trahison, son gouvernement a tourné le dos à l'éditeur de WikiLeaks, Julian Assange, qui s'était vu accorder l'asile politique à l'ambassade de l’Équateur à Londres pour échapper à la perspective d'un transfert aux États-Unis pour avoir dénoncé des crimes de guerre américains. En avril, Moreno a complètement rejeté l'asile et a invité la police britannique à l'ambassade pour traîner Assange dans une cellule de prison.

Comme dans le reste de l'Amérique latine, l'élite dirigeante équatorienne a réagi à la fin du boom commercial en 2013 et à la stagnation de l'économie mondiale en inversant les améliorations antérieures et en attaquant les droits sociaux des travailleurs.

La pauvreté et les inégalités rebondissent et l'économie croît à un taux dérisoire de 0,2 % par an, tandis que «l'emploi inadéquat» - le sous-emploi ou emploi inférieur au salaire minimum - est déjà passé de 41 % à 56 % depuis 2014. La hausse du prix de l'essence devrait faire grimper en flèche les prix de toute une série de produits de base.

Loin de proposer une stratégie sérieuse pour combattre ces attaques sociales de la classe dirigeante équatorienne et de ses patrons impérialistes, les forces politiques et syndicales à la tête de la grève actuelle appellent à une approche «graduelle» et à «l'unité nationale» pour «orienter ce gouvernement infâme», selon les mots de Nelson Erazo, président du Front populaire. Ces appels banqueroutiers ne peuvent qu'ouvrir la voie pour que la classe dirigeante se tourne davantage vers la répression militaire et le régime autoritaire afin d'imposer ses diktats économiques.

Mercredi soir, Moreno a suspendu les cours pour jeudi et vendredi dans toutes les écoles et universités et a réagi à la propagation des protestations le lendemain en imposant un état d'exception national pendant 60 jours, impliquant le déploiement des militaires contre les manifestants et la suspension du droit de réunion et de grève.

«Dans le but de contrôler ceux qui veulent imposer le chaos, j'ai ordonné l'état d'exception au niveau national», a déclaré Moreno, qui a qualifié les manifestants de «putchistes».

Des soldats et des policiers ont utilisé des gaz lacrymogènes et des charges violentes avec des véhicules militaires contre les marches et les barrages routiers. De multiples vidéos sur les médias sociaux et les médias d'information d'entreprise ont montré jeudi des policiers sur des motos écrasant des manifestants allongés sur le sol et leur donnant des coups de pied, tout en tabassant des journalistes.

La présidence a publié un communiqué cynique jeudi «répudiant» les «incidents du 3 octobre contre les journalistes et les médias». La ministre de l'intérieur, María Paula Romo, a parlé de «beaucoup de fausses informations et de fausses vidéos circulant sur les médias sociaux», menaçant implicitement d'imposer la censure.

Vendredi, le gouvernement a annoncé qu'il avait procédé à 350 arrestations, la plupart dans la plus grande ville du pays, Guayaquil. La veille, il avait indiqué qu'il y avait eu 14 blessés, 215 barrages routiers et 21.500 manifestants mobilisés dans 281 endroits. Ce sont probablement des sous-estimations.

Au moins huit des personnes arrêtées sont accusées d'«interruption des services publics», qui est passible d'une peine de prison pouvant aller jusqu'à trois ans. Parmi ces huit personnes, on compte le dirigeant national du syndicat des chauffeurs de taxi, Jorge Calderón, et deux responsables syndicaux de la province d'Azuay.

Les barrages routiers et la grève des transports devraient se poursuivre pendant la fin de semaine. Dans la capitale Quito, des bus militaires transportant des soldats lourdement armés sont utilisés pour casser la grève des transports publics.

Au parlement, les politiciens de l'opposition ont exigé des élections anticipées et ont chanté: «Ce gouvernement n'est pas nationaliste, c'est un coureur pour la Banque mondiale».

Cependant, tout gouvernement dirigé par les forces de l'establishment politique imposerait les mêmes politiques. Ils ont soutenu l'ex-président Rafael Correa (2007-2017) et beaucoup sont encore alignés lui, qui a lancé la dernière vague de programmes d'austérité exigés par Wall Street, imposés en grande partie au moyen d'états d'urgence.

La posture «anti-impérialiste» initiale de Correa était largement symbolique. Après avoir déclaré que la dette de l'Équateur était «illégitime» et arrêté les paiements en 2008, son gouvernement a subtilement racheté sa dette, mais à un prix inférieur.

Lorsque les prix du pétrole et des produits de base ont chuté et que la Chine a refusé d'accorder d'autres prêts liés aux ventes de pétrole, le gouvernement de Correa a émis 2 milliards de dollars en obligations sur les marchés étrangers en 2014. Il a approuvé un prêt de 400 millions de dollars de Goldman Sachs, envoyant l'or de l'Équateur à New York en garantie, tout en autorisant de nouveau les opérations comptables du FMI en Équateur et en acceptant un prêt de 1 milliard de dollars de la Banque mondiale.

L'une des promesses explicites de Correa dans le cadre de ces accords était l'élimination des subventions à l'essence. Il s'est vanté à l'époque que la Banque mondiale «est derrière nous pour nous donner du financement parce qu'elle admire notre croissance et notre économie politique dans le pays .»

En septembre 2010, en réponse à une brève grève de la police, Correa a imposé un état d'exception national, déployant l'armée dans les rues et renouvelant ensuite l'état d'exception jusqu'en juillet 2012. Son administration a de nouveau décrété un état d'exception après le séisme meurtrier d'avril 2016, le renouvelant à plusieurs reprises pour réprimer les communautés indigènes du sud-ouest de l'Équateur. Il a également exercé une répression militaire et procédé à des arrestations massives lors d'une grève nationale au mois d'août de la même année. Au cours de son règne, Correa a imposé au moins 80 états d'exception.

En même temps, comme elle l'a fait depuis le retour au pouvoir civil en 1979, la classe dirigeante équatorienne déploie le PCMLE, ses fronts et ses alliés pablistes dans le Mouvement ouvrier révolutionnaire (MRT) pour subordonner les manifestations à l'un ou l'autre secteur de la bourgeoisie et de l'armée. Le PCMLE s'est séparé du Parti communiste (PC) original en 1964, lorsque le PC a commencé à soutenir une série dictatures militaires soutenue par la CIA.

Au début des années 1980, le PCMLE et le MRT se sont joints au Bloc parlementaire progressiste formé par le PC et le parti bourgeois Gauche Démocratique (ID), qui comprenait une couche d'anciens fonctionnaires des dictatures militaires.

La politique des staliniens basée sur le soutien à diverses factions de la bourgeoisie nationale était enracinée dans le nationalisme réactionnaire de Moscou et sa politique de «coexistence pacifique» avec l'impérialisme. Cependant, après la dissolution de l'URSS en 1991, les partis staliniens se sont dissous ou se sont intégrés encore plus directement dans l'establishment politique bourgeois.

En 2002, les staliniens équatoriens et leurs nouveaux alliés nationalistes indigènes de la CONAIE et du parti Pachakutik ont rejoint le bloc qui a porté le colonel Lucio Gutiérrez au pouvoir. Gutiérrez s'est proclamé peu après «meilleur ami» de l'administration Bush et a poursuivi les programmes du FMI. Le PCMLE a ensuite apporté son soutien électoral à Rafael Correa et a rejoint la coalition de réélection de Correa en 2009, avant d'adopter une position d'opposition tout en continuant à réprimer la lutte des classes à travers ses syndicats et groupes de protestation.
En 2016, le PCMLE a formé l'Accord national anti-Correa pour le changement, qui inclut le MRT et est dirigé par la Gauche démocratique. Le PCMLE a ensuite viré plus à droite et, lors des élections de 2017, il a appelé à voter pour le banquier de droite Guillermo Lasso pour «faire dégager Correa», c'est-à-dire pour s'opposer à l'élection de Lenín Moreno, le successeur de Correa, qu'il à lui-même choisi.

(Article paru en anglais le 5 octobre 2019)

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