Tirer les leçons de la scission du CIQI – Stratégie internationale et tactiques nationales:

Comment le CIQI a changé sa conception des mouvements de libération nationale

J'aimerais examiner certaines des questions politiques qui sont apparues après la scission de 1985-1986 avec les renégats du Workers Revolutionnary Party (Parti révolutionnaire des travailleurs – WRP), qui a ouvert une nouvelle période pour la Revolutionary Communist League (Ligue communiste révolutionnaire – RCL). Après des années d'isolement presque complet et d'attaques politiques de la part du WRP, la RCL a pu renforcer sa ligne politique et ses interventions auprès de la classe ouvrière grâce à son étroite collaboration avec le Comité international (CI). Ce fut particulièrement le cas après le décès prématuré du camarade Keerthi Balasuriya en 1987, qui a porté un dur coup à la RCL et au CI dans son ensemble. Je crois que les développements politiques qui ont eu lieu auront une grande importance pour la classe ouvrière dans d'autres pays qui connaissent un développement capitaliste tardif – en Asie et au-delà. Je me concentrerai en particulier sur notre attitude à l'égard des différents mouvements de libération nationale.

Le rejet graduel de la théorie de la révolution permanente par la Socialist Labour League (Ligue travailliste socialiste – SLL)/WRP et son attitude politiquement compromise à l'égard des mouvements de libération nationale et du maoïsme, puis sa prostration devant eux, ont eu un impact important sur le travail politique de la RCL.

La capitulation de la SLL devant la bourgeoisie nationale dans les pays arriérés a conduit à de vives divergences avec la RCL, lorsque Michael Banda a publié une déclaration au nom du CI, accordant un «soutien critique» à l'intervention de l'armée indienne au Pakistan oriental, sous prétexte de soutenir le mouvement de libération du Bangladesh dans la guerre indo-pakistanaise de 1971. La RCL, sous la direction de camarade Keerthi, a préparé une déclaration qui contredisait l'approche de Banda. Elle disait:

La tâche du prolétariat n'est pas de soutenir l'une des factions belligérantes de la bourgeoisie, mais d'utiliser chaque conflit dans le camp de l'ennemi de classe pour la prise du pouvoir, dans la perspective de créer une république socialiste fédérée qui seule serait capable de satisfaire les aspirations sociales et nationales des millions de travailleurs du sous-continent. [1]

Dès qu'il a pris connaissance de la déclaration du CI, Keerthi a immédiatement écrit à Cliff Slaughter, le secrétaire du CIQI, pour l'informer de la ferme opposition de la RCL.

Il n'est pas possible de soutenir la lutte de libération nationale du peuple bengali et l'unification volontaire de l'Inde sur des bases socialistes, sans s'opposer à la guerre indo-pakistanaise. Sans s'opposer à la guerre de l'intérieur de l'Inde et du Pakistan, il est totalement absurde de parler d'une Inde socialiste unifiée, qui seule peut sauvegarder le droit à l'autodétermination des nombreuses nations du sous-continent indien. [2]

Toutefois, démontrant son internationalisme de principe, Keerthi s’est abstenu de soumettre la déclaration de la RCL et a demandé une discussion au sein du CI sur les désaccords entre la position de la RCL et celle du CI. Il a écrit:

Il n'est pas nécessaire de préciser qu'il est difficile de défendre la déclaration du CI. Néanmoins, la clarté au sein de l'Internationale est plus importante que toute autre chose, car il nous est impossible de construire une section nationale sans nous battre pour construire l'Internationale. [3]

Les dirigeants de la SLL ont délibérément bloqué cette discussion et dissimulé la lettre de la RCL aux autres sections.

De la même manière, la position de principe de la RCL sur la question nationale, qui était basée, dès le début, sur la théorie de la révolution permanente, a également subi d'énormes pressions de la part du SLL/WRP. La RCL a toujours lutté contre la discrimination anti-tamoule menée par les gouvernements successifs de Colombo, ainsi que contre toutes les formes de nationalisme et de racisme, en unissant les travailleurs cingalais, tamouls et musulmans de l'île dans une perspective et un programme socialiste.

Au début des années 1970, la RCL a demandé le retrait des troupes du nord et de l'est de l'île. Dans une déclaration publiée en juin 1972, la RCL, tout en «reconnaissant le droit de la nation tamoule à l'autodétermination», a également souligné: «Ce droit ne peut être conquis qu'en mobilisant les travailleurs cingalais et tamouls pour l'établissement d'un gouvernement ouvrier et paysan, fondé sur des politiques socialistes et reconnaissant ce même droit.» [4] En cela, la RCL ne préconisait pas un État tamoul distinct, mais plutôt défendait le droit des Tamouls à un tel État.

Lors d'une réunion du CIQI en 1972, cependant, les dirigeants de la SLL, en particulier Banda, se sont fermement opposés à la position de la RCL, qualifiant le soutien au droit à l'autodétermination des Tamouls d'aide aux plans des impérialistes pour le découpage de l'île. Comme dans le cas de son soutien à l'intervention militaire indienne au Pakistan oriental en 1971, la position de Banda était basée sur la défense des États-nations dits «indépendants», établis par l'impérialisme en Asie du Sud en 1947-48.

Cependant, la RCL a renoncé avec réticence à sa défense du droit des Tamouls à l'autodétermination, cédant à l'expérience et à l'autorité politique des dirigeants de la SLL. Alors que la RCL continuait à défendre les droits démocratiques de la population tamoule et à lutter pour l'unité de la population cingalaise et des travailleurs tamouls, sur la base des politiques socialistes, sa lutte de principe pendant une grande partie des années 70 a été entravée par les tentatives des dirigeants de la SLL de lui refuser l'importante arme tactique de défense du droit à l'autodétermination.

Mais en 1979, lorsque la lutte de libération nationale des Tamouls a pris une importance internationale, le WRP a fait un virage à 180 degrés, se précipitant pour embrasser sans critique les groupes nationalistes tamouls petits-bourgeois. Conformément à ses relations sans principes avec la bourgeoisie arabe, le WRP a établi des liens avec les Liberation Tigers of Tamil Ealam (Tigres de libération de l'Eelam tamoul - LTTE), lui fournissant même des teintes «socialistes» et essayant d'imposer à la RCL la ligne de l'adhésion au nationalisme tamoul et aux LTTE.

En 1983, tandis que le gouvernement à Colombo traversait une crise profonde, à la suite de son virage vers des politiques favorables au marché, il a intensifié ses provocations contre les Tamouls en perpétrant un pogrom à l'échelle de l'île qui a fait des centaines de morts. La RCL est la seule organisation qui s'est opposée à cette orgie de violence, appelant à l'unité des travailleurs cingalais et tamouls. Le WRP n'a même pas pris la peine de s'enquérir du sort des membres de la RCL, et encore moins de défendre la RCL. Il a simplement spéculé dans sa presse sur le fait que la RCL pourrait bien avoir péri. Ce fut le début de la longue guerre civile au Sri Lanka, qui n'a pris fin qu'en 2009.

Keerthi Balasuriya s'adressant aux participants d’une réunion de la RCL

La RCL a poursuivi sa courageuse lutte politique pour défendre les droits démocratiques des Tamouls et unir la classe ouvrière sur l'île, au-delà des lignes communales cingalaises, tamoules et musulmanes, sur la base de la lutte pour un programme et une perspective socialistes. Mais le soutien inconditionnel du WRP aux LTTE a empêché la RCL de procéder à un examen sérieux de la politique des groupes séparatistes tamouls, y compris les LTTE.

Ce n'est qu'après la scission de 1985-1986 que la RCL et le CIQI ont pu entreprendre un examen sérieux de la question nationale et des perspectives politiques de la section sri-lankaise à cet égard. Les documents de la RCL sur l'intervention militaire indienne au Pakistan oriental de l'époque, en 1971, ont été publiés dans la revue Quatrième Internationale en mars 1987.

En juillet 1987, le président sri-lankais J. R. Jayewardene, confronté à une crise profonde en raison de la guerre, a signé l’«Accord Indo-Lanka» avec le premier ministre indien Rajiv Gandhi. En vertu de cet accord, des troupes indiennes ont été envoyées dans les provinces du nord et de l'est de l'île pour désarmer les groupes armés tamouls et réprimer toute opposition à cet accord. Les troupes sri-lankaises, libérées du nord et de l'est, se sont déchaînées dans le sud pour faire face à l'opposition sociale croissante de la classe ouvrière et, en particulier, de la jeunesse rurale.

Seule la RCL s'est opposée à l'Accord Indo-Lanka, sur la base de l'internationalisme de la classe ouvrière, contre le Sri Lanka Freedom Party (SLFP) et le Janatha Vimukthi Peramuna (JVP), qui ont lancé une campagne contre elle du point de vue du chauvinisme cingalais, et le Parti Lankan Sama Samaja (LSSP), le Parti communiste stalinien (PC) et le Parti Pabloite Nava Sama Sama Samaja (NSSP), qui se sont ralliés aux actions de Jayewardene, affirmant qu'elles apporteraient la paix sur l'île, résolvant ainsi la question nationale. La RCL s'est battue pour unir la classe ouvrière au Sri Lanka et en Inde contre l'Accord et l'intervention militaire de l'Inde.

La ligne politique de la RCL sur la question nationale s'est développée à partir de ces discussions approfondies avec le CI, qui a correctement reconnu la prédominance de la stratégie internationale sur les tactiques nationales.

En novembre 1987, le CIQI a publié une déclaration détaillée intitulée La situation au Sri Lanka et les tâches politiques de la Ligue communiste révolutionnaire. Fermement fondée sur la théorie de la révolution permanente de Trotsky, cette déclaration établissait que les droits démocratiques des Tamouls de l'île ne pouvaient être réalisés que par une lutte unifiée de la classe ouvrière qui transcendait les lignes communautaires cingalaises et tamoules, en faveur du socialisme. Pour la première fois, elle lançait un l'appel en faveur des États socialistes unis du Sri Lanka et de l'Eelam tamoul.

Soulignant la nature brutale de la bourgeoisie nationale, telle que révélée par l'Accord Indo-Lanka, la déclaration énonçait:

Dans le cas peu probable où les innombrables expériences tragiques de ce siècle n'auraient pas encore suffisamment démontré le caractère perfide et réactionnaire de la bourgeoisie nationale dans les pays arriérés, la signature de l'accord indo-sri-lankais et l'invasion des provinces du Nord et de l'Est du Sri Lanka par l'Inde, constituent une nouvelle leçon amère pour les travailleurs opprimés. ... Les politiques de Jayewardene et de Gandhi ont détruit tout ce qui restait encore du mythe selon lequel les bourgeoisies nationales de l'Inde et du Sri Lanka ont un rôle progressiste à jouer dans l'avenir de leurs deux pays. [5]

Tirant les leçons historiques nécessaires, la déclaration du CIQI a affirmé:

Invariablement, l'«indépendance» sanctionnée par les impérialistes a signifié la création d'États bâtards, dont les fondements mêmes ont été construits sur un compromis fatal de principes démocratiques. Dans ce processus, la bourgeoisie nationale a agi, non pas comme le libérateur des masses opprimées, mais comme un partenaire junior dans le pillage impérialiste. Le type d'État créé dans ce processus n'a été rien de plus qu'un pénitencier pour le capitalisme en putréfaction, dans lequel le développement progressiste des forces productives a été impossible. [6]

Le document expliquait également comment la faillite du nationalisme petit-bourgeois avait été révélée par la capitulation des LTTE devant la bourgeoisie indienne:

En temps de crise historique, lorsque le sort d'un peuple entier est en jeu, il n'y a pas de place pour le sentimentalisme. La compassion pour le sort des LTTE et le souci du sort de leurs combattants ne sont pas une excuse pour ne pas dire ce qui doit être dit: les politiques des Tigres libérateurs sont principalement responsables des graves revers que la lutte nationale a connus depuis le 29 juillet 1987. [7]

La déclaration poursuivait:

Elle [la classe ouvrière] est la seule force sociale qui peut réaliser le droit des nations à l'autodétermination. Mais elle ne le fait pas comme un membre de la bourgeoisie nationale, mais plutôt comme son ennemi implacable. Elle lutte pour l'autodétermination avec ses propres armes et sur la base de son propre programme en ralliant derrière elle toutes les masses opprimées des villages et des campagnes. L'autodétermination est un sous-produit de la révolution socialiste, menée par le prolétariat qui, ayant établi sa dictature, garantit à tous les peuples opprimés leurs droits démocratiques légitimes... C'est le contenu essentiel du programme proposé par la Ligue communiste révolutionnaire pour des États socialistes unis de l'Eelam tamoul et du Sri Lanka. [8]

La seule autre opposition à l'Accord indo-sri-lankais était le point de vue chauvin cingalais du JVP, qui accusait le gouvernement de diviser le pays et exigeait que les travailleurs se joignent à leurs grèves et protestations, à la pointe du fusil. Vers la fin de 1988, des hommes de main de la JVP menaient des attaques meurtrières contre la classe ouvrière en général, et contre les syndicalistes et les dirigeants et membres de la LSSP, du CP et du NSSP en particulier. Les assassins du JVP ont tué trois membres de la RCL. Les attaques fascistes meurtrières du JVP contre la classe ouvrière étaient conformes à la mobilisation policière et militaire du gouvernement de l'UNP contre la classe ouvrière.

R. A. Pitawela, un membre de la RCL tué par des hommes de main du JVP en 1988

Fin 1988, la RCL et le CI ont développé une initiative tactique très importante, visant à mobiliser la classe ouvrière de manière indépendante, en appelant à un front unique de tous les partis et organisations de la classe ouvrière contre les attaques fascistes du JVP et la répression de la police militaire du gouvernement de l’UNP. La RCL lutta pour mobiliser la classe ouvrière de manière indépendante, en tant que mouvement uni contre le pouvoir bourgeois, et rallia toutes les masses opprimées, y compris les paysans pauvres, autour de la classe ouvrière, dans une lutte pour renverser le pouvoir capitaliste et établir un gouvernement des ouvriers et de la paysannerie, qui réaliserait des politiques socialistes.

Une discussion vitale a émergé sur l'attitude de la RCL à l'égard de la base sociale du JVP - les jeunes paysans et les jeunes cingalais au chômage dans le sud de l'île. Elle était essentielle pour clarifier l'attitude du parti révolutionnaire de la classe ouvrière à l'égard de la paysannerie. Le CI a correctement identifié une tendance, dans les écrits de la RCL, à être indifférent aux massacres de masse des partisans du JVP par le gouvernement de Colombo, qui étaient une campagne de terreur généralisée contre la paysannerie. Quelque 60.000 jeunes ont été massacrés au cours de cette campagne.

Au cours des discussions, David North a expliqué:

Même si la dictature prolétarienne présente un poing d'acier à la bourgeoisie renversée, elle tend une main secourable à la paysannerie opprimée. Les bolcheviques ont toujours décrit le régime créé en octobre 1917 comme une dictature prolétarienne, reposant sur le soutien de la paysannerie appauvrie. Tandis que le prolétariat régnait et réprimait la bourgeoisie, la dictature prolétarienne était basée sur une alliance entre les travailleurs urbains et les paysans pauvres.

Clarifiant davantage la question, il a dit:

Comme votre déclaration le démontre dans les pages qui suivent, la RCL reconnaît la nécessité de promouvoir un programme rural, afin de rallier les paysans appauvris aux côtés de la classe ouvrière. Cependant, cette tâche est sapée si nous laissons négligemment les paysans pauvres tirer des inférences hostiles de notre invocation de la «justification historique» du prolétariat pour régner «sur toutes les autres classes», et si nous ne faisons pas la distinction nécessaire entre la signification de la dictature prolétarienne pour la bourgeoisie et sa signification pour la paysannerie opprimée. [9]

North s'est opposé à une déclaration de la RCL au sujet de l'assassinat du dirigeant du JVP Wijeweera, qui ne tenait pas compte de la répression plus large contre la base sociale du JVP: la paysannerie et la jeunesse rurale.

Il ne s'agit pas de porter un jugement moral sur Wijeweera, mais de comprendre le fondement social de ce mouvement. Nous n'éprouvons pas la moindre compassion pour Wijeweera et nous ne pleurons pas sa disparition. Mais nous devons comprendre que le problème du JVP ne peut être compris que du point de vue des relations sociales complexes du Sri Lanka et des pays arriérés en général. [10]

North a souligné à juste titre que c'était la trahison de la LSSP et son indifférence envers la paysannerie qui avaient jeté les bases du JVP. La RCL ne devait pas suivre le même chemin.

Cette question a fait l'objet d'une discussion plus approfondie lors d'une séance plénière d'une délégation du Comité central de la RCL, tenue avec David North, du 6 au 9 novembre 1990. Cela a conduit à une campagne internationale contre le massacre qui avait lieu dans le sud du Sri Lanka.

Sur la base des clarifications politiques et théoriques apportées par les discussions ci-dessus, la RCL a publié une déclaration appelant la classe ouvrière à intervenir, en tant que force politique indépendante, pour mettre fin au massacre par l'État de la jeunesse rurale dans le Sud et à la guerre renouvelée contre les masses tamoules dans le Nord. Elle a également souligné que la défense des masses rurales contre le terrorisme d'État était indissolublement liée à la lutte pour renverser le régime bourgeois et établir un gouvernement ouvrier et paysan, sous la forme d'une République socialiste unie du Sri Lanka et de l'Eelam.

Cela a servi de base à une vaste campagne menée par la RCL et par toutes les sections du CI.

Se référant directement aux perspectives de la RCL pour le Sri Lanka et l'ensemble de la région de l'Asie du Sud, le CIQI a entrepris, au début des années 1990, un réexamen critique de la question nationale, fondé sur l'éruption de mouvements séparatistes dans les Balkans, en Europe orientale et dans l'ancienne Union soviétique.

Lors de la 13e séance plénière du CIQI, tenue en juin 1993, le CI a longuement débattu de son programme sur la question nationale et en particulier de son attitude à l'égard de «l'autodétermination».

David North a fait remarquer:

L'approche historico-matérialiste à la question de l'autodétermination – au nationalisme en général – qui refuse d'attribuer à tout phénomène social une qualité supra-historique ou intemporelle, a été, en fait, pleinement signalée par Lénine dans sa définition spécifique et historiquement précise de ce qu'il appelle «trois types de pays en matière d'autodétermination des nations».

Lorsqu'il prônait le «droit des nations à l'autodétermination», dans ses écrits de 1913-1916 sur la question nationale, dans lesquels il faisait référence à «trois types de pays en ce qui concerne l'autodétermination des nations», Lénine le faisait comme un moyen de lutter pour unir la classe ouvrière, dépassant les frontières ethniques et ralliant le soutien des nationalités opprimées pour la lutte contre le tsarisme et l'impérialisme. Sa position avait toujours été conditionnée par le niveau de développement social et économique et par la lutte des classes. En 1913, lorsqu'il prônait le droit à l'autodétermination dans l'Empire russe, les Balkans et l'Europe de l'Est, ces pays étaient encore majoritairement agraires, où le développement du capitalisme et du mouvement national était à ses débuts. [11]

Après plus d'un siècle, toutes ces régions avaient connu de profonds changements, tout comme le monde dans son ensemble.

Soulignant les changements profonds dans la situation des pays de cette troisième catégorie, en Asie et en Afrique, North a déclaré:

Y a-t-il des pays ou des groupes de pays qui correspondent réellement à la situation qui existait au moment où Lénine a défini cette catégorie? Poser la question, c'est y répondre. Il est évident que l'Asie ou l'Afrique de 1913 ou 1914 a été profondément transformée. De nouveaux mouvements, ethniques, communaux et religieux, sont apparus dans ces régions à la suite de l'échec lamentable des mouvements nationalistes – qui ont acquis leur «indépendance» après la Seconde Guerre mondiale – pour résoudre l'une ou l’autre des tâches démocratiques fondamentales. [12]

Prenant l'Inde comme une expression de ce processus général, North a expliqué:

De la désintégration du projet national bourgeois en Inde, ou, pour le dire autrement, précisément parce que la bourgeoisie indienne était incapable de réaliser une véritable unification nationale ou de libérer l'Inde de la domination impérialiste, prend place, sur la base du cadavre de cet État, la réémergence de toutes sortes de mouvements fissipares et séparatistes, qui ne représentent en rien les aspirations universalistes qui ont caractérisé les mouvements nationalistes révolutionnaires de la première moitié du siècle. [13]

Dans l'ex-Union soviétique, en Europe de l'Est et dans les Balkans, de petites cliques d'anciens bureaucrates staliniens et de capitalistes attisaient diverses divisions communautaires et ethniques afin de se découper des territoires dans le cadre de la restauration capitaliste.

Aucun de ces nouveaux mouvements séparatistes nationalistes n'avait un caractère anti-impérialiste ou historiquement progressiste. Au contraire, ils cherchaient activement à obtenir l’appui des impérialistes et des accords séparés avec le capital mondial pour offrir un refuge sûr aux multinationales étrangères.

North a commenté:

Le développement de la production multinationale donne à d'innombrables États, ou à d'innombrables groupes, des possibilités qu'ils n'ont jamais eues auparavant. Le processus de développement économique, la mobilité des capitaux, permet à certains groupements nationaux – des groupements ethniques d'une sorte ou d'une autre, même à l'intérieur d'une très petite zone, selon la façon dont ils se rattachent au capital international – de réaliser certains gains sur la base de l'indépendance. Singapour, Taiwan et Hong Kong en sont des modèles. [14]

Au cours de la discussion, le secrétaire général de la RCL, Wije Dias, a déclaré:

La question des droits démocratiques nationaux doit être abordée par les révolutionnaires dans le cadre d'un programme socialiste mondial, pour lequel le mouvement marxiste – le mouvement trotskiste – lutte. Nous avons toujours insisté sur le fait que ces tâches démocratiques ne peuvent être réalisées qu'en tant que sous-produit de la révolution socialiste. Par conséquent, les droits démocratiques nationaux ne peuvent être réalisés qu'en tant que sous-produit de la révolution socialiste mondiale. Il n'y a pas de voie nationale vers la réalisation des droits démocratiques nationaux. Il n'y a pas de routes nationales pour l'émancipation ou la libération nationale. [15]

Plaidant pour un changement d'attitude du CIQI à l'égard de la formule de «l'autodétermination,» dans des conditions des vastes transformations de la situation mondiale, David North a déclaré:

Les mouvements communautaires, ethniques et chauvins se cachent derrière la phraséologie démocratique – la formule de l'autodétermination, de la libération nationale – alors qu'ils poursuivent une politique dont le contenu économique est l'asservissement renouvelé des larges masses par l'impérialisme. Ils ne visent pas la libération nationale, au sens où ce terme a été compris dans une période historique antérieure, mais l'anéantissement même des gains limités qui avaient été précédemment réalisés par les masses. [16]

À la suite des clarifications politiques et théoriques obtenues au cours de cette discussion, le CIQI a décidé que, pour lutter pour unifier la classe ouvrière, il fallait adopter une attitude critique, voire hostile, face à l'émergence de divers mouvements séparatistes nationaux et à leur défense du «droit à l'autodétermination,» pour justifier la création d'États bourgeois séparés – le plus souvent des mini-États – comme les LTTE.

Le CIQI a expliqué:

La question centrale ici est de savoir comment le parti révolutionnaire de la classe ouvrière réagit à l'éclatement des vieux mouvements nationalistes bourgeois. Les masses de ces pays doivent-elles défendre leurs intérêts par le biais de nouveaux mouvements séparatistes, fondés sur des fragments des États créés par la décolonisation et fondés sur le particularisme religieux?

Nous rejetons catégoriquement une telle perspective. De tels États n'offriront aucun moyen d'avancer à la classe ouvrière et aux masses opprimées de l'Inde ou d'ailleurs. Au mieux, ils créeront des profits pour une mince couche des classes privilégiées, s'ils sont capables de créer une zone de libre-échange et de conclure leurs propres accords avec le capital transnational. Pour les masses, elles ne laissent entrevoir que des bains de sang ethniques et une exploitation intensifiée. [17]

La RCL a poursuivi son opposition courageuse et fondée sur des principes à la guerre raciste anti-tamoule menée par les gouvernements successifs à Colombo et sa défense des droits démocratiques des masses tamoules opprimées, tout en s'opposant au programme séparatiste des LTTE. Le parti a continué à lutter sans relâche pour unir la classe ouvrière – cingalaise, tamoule et musulmane – pour établir une République socialiste unie du Sri Lanka et de l'Eelam, en renversant le pouvoir bourgeois.

Références:

[1] «Déclaration de la Ligue communiste révolutionnaire» du 8 décembre 1971, Fourth International, mars 1987, p. 37.

[2] «Lettre de la RCL à Cliff Slaughter» du 16 décembre 1971, Fourth International, mars 1987, p. 42.

[3] Ibid. p. 43.

[4] The Historical & International Foundations of the Socialist Equality Party Sri Lanka, Mehring Books, 2012, p. 102.

[5] «The Situation in Sri Lanka and the Political Tasks of the Revolutionary Communist League», Déclaration du Comité international de la Quatrième Internationale, Fourth International, janvier-mars 1988, p. 18.

[6] Ibid, p. 21.

[7] Ibid. p. 19.

[8] Ibid. p. 21.

[9] «Lettre de David North à Wije Dias» du 27 décembre 1988, Chronologie politique du Comité international de la Quatrième Internationale 1982-1991, p. 55.

[10] «Réunion du comité politique de la RCL» 3 au 8 mars 1990, Chronologie politique du Comité international de la Quatrième Internationale 1982–1991, pp. 80–81.

[11] «Perspectives and Tasks of the ICFI: The Permanent Revolution Today», 13e Plénum du CIQI à Essen, 1 au 7 juin 1993.

[12] Ibid. p. 2.

[13] Ibid. p. 4

[14] Ibid. pp. 18–19.

[15] Ibid. p. 11

[16] Ibid. p. 34.

[17] «Globalisation and the International Working Class: A Marxist Assessment», Déclaration du Comité international de la Quatrième Internationale, Mehring Books, 1998, p. 115

(Article paru en anglais le 30 septembre 2019)

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