La Maison Blanche a déclaré mardi soir qu'elle ne coopérerait pas avec la Chambre des représentants américaine et avec l'enquête de destitution lancée par la direction du Parti démocrate. Cette décision marque une escalade majeure de la guerre politique à Washington.
Une lettre signée par Pat Cipollone, l'avocat de la Maison-Blanche, affirme que l'enquête est une violation de la «procédure régulière» et de la Constitution des États-Unis. «Afin de remplir ses obligations envers le peuple américain, la Constitution, le pouvoir exécutif et tous les futurs occupants de la présidence, le président Trump et son administration ne peuvent pas participer à votre enquête partisane et inconstitutionnelle dans ces circonstances», déclare-t-il
La lettre avertit que la Maison Blanche ne fournira pas de témoignage ni de documents réclamés par l’enquête du Congrès, ouverte pour enquêter sur la conversation téléphonique de Trump avec le président ukrainien Volodymyr Zelensky le 25 juillet. Plus tôt dans la journée, le gouvernement Trump a ordonné à l’ambassadeur des États-Unis auprès de l’Union européenne, Gordon Sondland, de ne pas se présenter à un entretien prévu avec l’enquête de la Chambre. À la suite de cette annonce, Trump a qualifié l'enquête « de tribunal bidon totalement compromis ».
Le mépris de Trump à l'égard du Congrès a un caractère nettement dictatorial. Il déclare en substance que sa Maison-Blanche ne reconnaît aucune contrainte juridique au pouvoir de la présidence. Son extraordinaire affirmation d'un pouvoir incontrôlé s'accompagne d'efforts pour mobiliser sa base droitière. Jeudi, Trump tiendra un meeting devant des policiers à Minneapolis, Minnesota, dans le cadre d’une campagne contre celui qu’il appelle le maire « d’extrême gauche » de la ville.
Le défi lancé par Trump au Congrès – qu'il cherche à légitimer en se présentant comme la victime d'un complot – est facilité par les méthodes employées par les démocrates. Leur combat contre Trump n’a aucun contenu démocratique ni progressiste. L’argument des démocrates et de leurs soutiens des médias est que la politique de Trump a sapé les intérêts stratégiques de l'impérialisme américain. En pointant les méfaits de Trump, ils s’adressent, non pas à la classe ouvrière et à la jeunesse, mais aux sections de la classe dirigeante – services de renseignement et armée et même une partie des républicains – qui s'opposent à ce que Trump s’écarte des priorités géopolitiques et politiques de la CIA.
L’attaque par des responsables démocrates et républicains et par les médias de la décision de Trump lundi de retirer les troupes américaines de Syrie révèle la dynamique derrière la campagne de destitution.
Le New York Times, qui parle au nom du Parti démocrate et des agences de renseignement, a lancé une attaque virulente contre cette décision. Dans son article de une mardi, intitulé « Quand ‘dégager’ est la stratégie de Sécurité nationale du Président », David Sanger écrit que le retrait montre que Trump « poursuit une fois de plus une stratégie de sécurité nationale en contradiction avec la position officielle de son gouvernement », et dont « ses propres conseillers principaux ont averti qu’elle risquait de créer un nouveau chaos dans toute la région ».
Trump démontre, se plaint Sanger, « que, dans le but de mettre fin aux ‘guerres sans fin’ américaines, aucune présence de troupes américaines à l'étranger si petite soit-elle, n’échappe à son désir d’y mettre fin ». Il ajoute, « mais s'il existe une doctrine mondiale de Trump après 32 mois à élaborer une politique chaotique, cela s’est peut-être manifesté dans sa forme la plus pure quand le président a annoncé lundi sur Twitter: « Il est temps pour nous de partir. »
Pour le Times, ce ne sont pas les guerres interminables au Moyen-Orient, qui ont entraîné la mort de plus d'un million de personnes, qui sont «chaotiques», mais le «retrait précipité» des troupes américaines de Syrie, où l'armée et la CIA sont engagées depuis huit ans dans une opération de changement de régime.
Le conflit au sein de l'État est un conflit entre deux groupes d’une élite dirigeante où il n’existe pas de camp progressiste ou démocratique. Les démocrates représentent des secteurs de l'armée et des services de renseignement qui ont perdu confiance en la capacité de Trump de gérer les affaires de la classe dirigeante, à l'extérieur comme à l’intérieur. Les conflits liés à la politique étrangère sont exacerbés par les signes croissants d'une nouvelle récession économique.
Les démocrates sont avant tout déterminés à isoler leur opposition à Trump des préoccupations sociales et politiques qui enflamment la colère des masses.
Pour cette raison, ils limitent strictement l’enquête de destitution aux questions relatives à l’appel téléphonique en Ukraine. La direction de l'enquête a été confiée à la Commission parlementaire du renseignement, étroitement liée aux agences d'espionnage. Il n’y aura pas d'audiences publiques, le tout se déroulant à huis clos.
L’opération du Parti démocrate vise à relier la lutte contre Trump à un soutien aux agences de renseignement et aux opérations militaires américaines. Cela garantit un résultat réactionnaire, quel que soit le résultat du processus de destitution.
S’il réussit, il mettra au pouvoir un gouvernement plus fidèle encore à l'armée et à la CIA et engagé dans une escalade de la guerre au Moyen-Orient et contre la Russie. S’il échoue, cela renforcera Trump et remettra en question la possibilité de s’en débarrasser du tout. Dans la mesure où l'opposition à Trump est canalisée vers les démocrates, cela permettra à Trump de dissimuler sa politique réactionnaire derrière la prétention absurde d' être opposé à la guerre et de défendre les droits démocratiques.
La classe ouvrière ne peut se permettre d’être emmenée derrière l'une de ces deux factions de la classe dirigeante. Aucune issue au conflit tel qu'il existe actuellement ne peut mener à autre chose qu’à la guerre et à la dictature.
La seule base légitime d’une lutte contre Trump est le développement de la lutte de classe.
Dans sa déclaration publiée il y a plus de deux ans, « Révolution de palais ou lutte des classes: la crise politique à Washington et la stratégie de la classe ouvrière », le World Socialist Web Site écrit qu’à côté du conflit au sein de l’élite dirigeante, « un autre conflit, tout à fait différent, se développe - entre la classe dirigeante et la classe ouvrière, la vaste masse de la population, qui souffre de diverses formes de détresse sociale et est complètement exclue de la vie politique […] La suppression de la lutte des classes par la bureaucratie syndicale, le Parti démocrate et les promoteurs prospères de diverses formes de politique d’identité prend fin ».
Ce pronostic s'est avéré être correct. L'année dernière a vu éclater des grèves d'enseignants aux États-Unis, souvent indépendamment des syndicats et en opposition à ceux-ci. Ces débrayages faisaient partie d'une vague de luttes de la classe ouvrière à l'international. Maintenant, avec la grève de près de 50 000 travailleurs de l'automobile chez GM, la lutte des classes s'est étendue à l'une des sections les plus importantes de la classe ouvrière industrielle.
La tâche urgente est de développer dans la classe ouvrière une direction révolutionnaire, consciente de ce que la résolution des grands problèmes auxquels sont confrontés les travailleurs du monde entier – inégalité sociale extrême, attaque incessante des emplois, des salaires et des avantages sociaux, danger de guerre mondiale, tournant de la classe dirigeante vers des formes dictatoriales de gouvernement – exige une lutte contre le système capitaliste.
(Article paru en anglais le 9 octobre 2019)