Perspectives

Non à l’offensive militaire turque en Syrie!

Le Comité international de la IVe Internationale (CIQI) dénonce l’invasion turque de la Syrie pour attaquer les milices kurdes. Après l’abandon par Washington des forces kurdes qui lui servaient de principal mandataire en Syrie, une escalade militaire rapide et violente est en marche.

Selon le ministère de la Défense turc, les troupes turques avaient fait 550 victimes kurdes pendant les cinq premières journées de l’offensive. Au moins quatre soldats turcs sont morts, également. Il y aurait de nombreuses victimes civiles de part et d’autre de la frontière, alors que des obus tombent sur des maisons sans défense. Alors que l’armée syrienne soutenue par l’Iran marche vers le nord pour confronter les troupes turques et les milices islamistes qui y sont alliées, le Moyen Orient et le monde sont au bord d’une guerre totale.

La Turquie s’est jetée dans le maëlstrom produit par trois décennies de guerre impérialiste au Moyen Orient. «L’opération paix printanière» comme le gouvernement du président Recep Tayyip Erdoğan à Ankara nomme son offensive, n’est ni pour la paix ni contre le terrorisme. C’est une escalation drastique de la guerre lancée en 2011 par la CIA en Syrie, mobilisant l’Amérique, l’Europe, la Turquie et les «rebelles» syriens contre l’Iran, la Russie, la Chine et le régime syrien de l’autre.

Washington et Berlin ayant appuyé en 2016 une tentative de coup pour renverser Erdoğan, qui avait tenté de pactiser avec Moscou, Ankara veut bloquer la construction d’un État kurde en Syrie.

Ce combat fratricide entre Turcs et Kurdes est le produit de la boucherie lancée au Moyen Orient par Washington et ses alliés impérialistes européens depuis que la dissolution stalinienne de l’URSS a éliminé le principal contrepoids militaire à l’impérialisme. Depuis, comme le président Donald Trump l’a lui-même avoué sur Twitter, Washington a fait des millions de victimes dans des guerres fondées sur des mensonges en Irak, en Afghanistan, en Syrie et au-delà. Ces guerres ont fait des dizaines de millions de réfugiés, le plus grand nombre depuis la 2e Guerre mondiale.

Ankara s’emporte violemment, cherchant une solution militariste à des conflits ethniques et de classe attisés par des décennies de guerre impérialiste. Il veut saisir la Syrie du nord, la peupler de millions de réfugiés syriens arabes vivant en Turquie, et ainsi empêcher la consolidation d’un État kurde en Syrie sur la frontière turque. Avec cette stratégie, la bourgeoisie turque va droit au désastre.

L’offensive d’Ankara, lors de laquelle la classe dirigeante turque commettra d’énormes crimes, pose le danger d’une escalade militaire et d’une guerre généralisée entre les puissances mondiales.

Le CIQI dénonce l’arrestation de personnes en Turquie qui manifestent pacifiquement contre cette offensive. Celle-ci se déroule sur fond d’une résurgence mondiale de la lutte des classes, et de manifestations contre les régimes militaires algériens, soudanais et égyptiens, ainsi que le régime néocolonial en Irak. Le Parti de la justice et du développement (AKP) d’Erdoğan craint la colère sociale liée à la détérioration de l’économie turque et sa propre chute dans les sondages, à moins de 30 pour cent. Craignant une explosion sociale intérieure, il compte noyer l’opposition ouvrière dans une propagande chauvine et militariste.

Le CIQI s’oppose avec intransigeance à l’impérialisme, et à ses tentatives d’écarter Erdoğan via un coup d’État. Mais un siècle après l’émergence d’un État laïque turc en une guerre contre la tentative des impérialistes de se partager l’Empire ottoman, la bourgeoisie turque ne peut trouver aucune solution démocratique à ses problèmes démocratiques, et encore moins d’établir son indépendance de l’impérialisme. Pour mener son offensive, Erdoğan a dû obtenir le feu vert de Washington et de ses alliés européens, qui avaient tenté de l’assassiner trois ans auparavant.

La seule solution progressiste aux problèmes de guerre, de conflits ethniques et de l’autoritarisme est d’établir un régime démocratique et surmonter les divisions ethniques du pays par la lutte révolutionnaire des travailleurs de toutes les nationalités – turcs, kurdes, arabes, iraniens et israéliens – contre la guerre impérialiste et les bourgeoisies de la région.

Les évènements en Turquie et au Moyen Orient confirment à nouveau la stratégie révolutionnaire mondiale élaborée par Léon Trotsky dans sa théorie de la révolution permanente. La bourgeoisie en Turquie comme dans tous les pays à développement capitaliste retardataire, indissolublement liée à l’impérialisme et craignant les travailleurs, est incapable de résoudre ces problèmes. Leur résolution dépénd de la lutte indépendante de la classe ouvrière, ralliant derrière elle toutes les sections opprimées de la société contre la bourgeoisie locale et l’impérialisme.

La trahison éhontée de ses alliés kurdes par Washington fournit autre leçon amère sur la faillite du nationalisme kurde en tant que stratégie pour défendre les droits démocratiques et culturels des Kurdes. On sait à présent que les nationalistes kurdes ont emprisonné plus de 10.000 combattants présumés de Daech aux ordres de Washington et de l’UE, dans des conditions atroces. Ceci souligne la fraude de leurs prétensions à avoir bâti un régime démocratique au Rojava, au nord de la Syrie.

Les Kurdes vivent en Turquie, en Syrie, en Irak et en Iran. La seule stratégie viable pour défendre leurs droits démocratiques, comme ceux du peuple turc, est une lutte révolutionnaire commune des travailleurs de toutes les nationalités pour prendre le pouvoir et construire les États-unis socialistes du Moyen Orient et d’Asie centrale.

Les positions réactionnaires prises par l’ensemble de la classe politique tuque souligne la faillite du capitalisme au Moyen Orient. Le Parti républicain du peuple (CHP), le parti militariste traditionnel de la bourgeoisie turque, a accordé son soutien à la guerre d’Erdoğan, en tentant d’endormir les travailleurs sur le danger d’escalade en spéculant qu’une entente pourrait se former avec le régime syrien.

Ceci souligne le rôle réactionnaire des partis de pseudo gauche de la classe moyenne turque, qui se sont alignés sur le CHP contre Erdoğan aux dernières élections. Le Parti du travail (EMEP) a appelé à une «unité permanente» avec le CHP; le Parti de la liberté et de la solidarité (ÖDP) a placé son dirigeant sur une liste électorale du CHP. Ils sont tous responsables pour les expulsions de réfugiés syriens par le CHP des municipalités qu’il contrôle, et à présent pour l’invasion turque de la Syrie.

Le Parti démocratique du peuple (HDP) kurde appelle aux «entités internationales» à «assumer leur responsabilité» et de venir en aide aux milices kurdes. Mais les «entités internationales» auxquelles les milices kurdes font appel sont le Pentagone, la CIA, le Parti démocrate américain et leurs alliés européens. Et ces entités sont responsables pour des décennies de meurtres de masse.

Tout en défendant sans concession les Kurdes et les autres populations opprimées du Moyen Orient, le CIQI n’accorde aucun soutien aux nationalistes bourgeois kurdes. Le résultat désastreux de l’alliance américano-kurde en Syrie, y compris les crimes de guerre commis à Raqqa et ailleurs en Syrie dans la prétendue guerre contre Daech, donne raison à la critique trotskyste du nationalisme bourgeois. Celui-ci divise le Moyen Orient sur des lignes ethniques et trahit sa population en la subordonnant à l’impérialisme.

Les nationalistes kurdes, malgré leur discours «socialiste», ont historiquement noué des alliances avec des puissances impérialistes ou bourgeoises, de la CIA et Israël au Chah d’Iran, ou le régime stalinien à Moscou. Ceci n’a produit que des désastres. L’Union patriotique du Kurdistan de Jalal Talabani et le Parti démocrate kurde de Massoud Barzani se sont alignés sur différentes parties de la guerre Iran-Irak de 1980-1988 et se sont combattus. Tous, y compris le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), ont salué l’invasion américaine de l’Irak en 2003, bien que Washington ait sanctionné l’écrasement irakien d’un soulèvement kurde après la guerre du Golfe en 1991.

A présent les nationalistes kurdes sont victimes de conflits tactiques entre Washington et Ankara à propos de la Syrie. Ankara a participé à la guerre de l’OTAN, armé les milices islamistes, et a utilisé ces dernières en tant que mandataires. Mais Ankara a changé de tactique quand, après la défaite des milices islamistes liées à Al Qaïda, les puissances impérialistes de l’OTAN ont fait appel aux Unités de protection du peuple (YPG), la branche syrienne du PKK.

Le gouvernement turc avait organisé des pourparlers avec le PKK, voulant se renforcer en Irak et en Syrie et désorienter l’opposition ouvrière en Turquie. Mais quand le YPG ont participé aux Forces démocratiques syriennes (FDS), principal allié de l’OTAN en Syrie, Ankara a mis fin aux négociations. Sur fond de conflits entre Washington et Ankara à propos des relations turques avec la Russie, ceci a finalement produit un conflit ouvert.

La classe ouvrière paierait un prix atroce si elle se laissait entraîner derrière les opérations militaires des puissances capitalistes rivales au Moyen Orient. Son approche doit se développer sur un axe totalement différent. Sur fond d’une résurgence de la luttes des classes à travers la région, la tâche décisive est l’unification politique des travailleurs de toutes les nationalités en une lutte commune révolutionnaire contre la guerre impérialiste.

La lutte du mouvement trotskyste sri lankais pour la Révolution permanente et la perspective des États-unis socialistes du Sri Lanka et de l’Îlam tamoul, dans le contexte des États-unis socialistes de l’Asie du sud, est très pertinente à la crise en Syrie. Le Parti de l’égalité socialiste sri lankais s’est opposé inlassablement à la suppression militaire des Tamouls par la bourgeoisie sri lankaise, sans s’adapter et sans capituler aux nationalistes tamouls. Leur lutte principielle pour l’internationalisme socialiste montre la voie à suivre dans une lutte prolétarienne contre le danger grandissant d’une guerre mondiale au Moyen Orient.

La tâche politique décisive est toujours de construire des partis révolutionnaires de la classe ouvrière, des sections du CIQI, en Turquie et à travers la région, pour la diriger dans la lutte pour les États-unis socialistes du Moyen Orient et de l’Asie centrale.

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