Des millions de personnes manifestent pour l’égalité sociale au Chili

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Des millions de personnes, qui protestent contre les inégalités sociales et la violence de l’État, ont remplies les rues du Chili hier lors des plus grandes manifestations de l’histoire du pays.

Les commentateurs chiliens de la télévision stupéfaits ont décrit la scène comme une «mer humaine», une «colonne interminable» et un «carnaval des gens». Toutefois, peu de monde regardait les reportages puisque la moitié de la population adulte du pays était déjà dans la rue. Plus d’un million de personnes sont descendues sur la Plaza Italia de Santiago alors que des manifestants remplissaient chaque ville du pays.

Les gens se rassemblent lors d'une manifestation anti-gouvernementale à Santiago de Chili (AP Photo Rodrigo/Abd)

Avec les manifestations d’hier, la vague de la lutte de la classe ouvrière internationale s’est intensifiée au milieu d’une semaine de protestation sociale explosive. Partout dans le monde, les travailleurs et les jeunes de toutes les origines ethniques manifestent avec la même exigence fondamentale: l’égalité sociale.

En Irak, le gouvernement a tué au moins 30 personnes hier alors que les manifestations se multipliaient à Bagdad et dans le sud industriel. Dans le pays africain de Guinée, un million de personnes ont défilé jeudi contre la prolongation du mandat du président. Des manifestations se poursuivent au Liban et en Haïti, tandis que la semaine dernière, des manifestations à Barcelone et d'autres endroits en Espagne, ainsi que l’Équateur, ont connu une participation massive.

La classe ouvrière a été à la tête des manifestations d’hier au Chili, avec une participation massive parmi les enseignants, les mineurs, les dockers et d’autres secteurs essentiels.

Des chauffeurs de camions et de taxis ont bloqué les autoroutes et les routes à péage du pays hier. Des chauffeurs de bus ont quitté leur travail à Santiago après que la police eut assassiné un chauffeur de bus qui protestait. Les jeunes des écoles intermédiaires, des écoles secondaires et des universités ont défilé sous la bannière de leur école à travers le pays. Une caravane de motocyclistes d’un kilomètre de long a traversé Santiago. Les pirates informatiques ont prétendu avoir publié les informations personnelles de tous les membres des Carabiniers (la police) détestés.

Aucun parti politique n’a organisé les manifestations et les journalistes chiliens ont noté l’absence de drapeaux ou de banderoles des partis dans la foule. Les bureaucraties syndicales n’avaient pas de présence visible. Comme El País s’en inquiétait plus tôt cette semaine, «aucune force politique avec représentation au Congrès n’a été capable de canaliser le malaise social».

Cette participation massive a eu lieu quelques heures après que le président, Sebastían Piñera, eut tenté d’apaiser les manifestants en annonçant une augmentation des fonds de pension. Plus tôt cette semaine, Piñera a annulé l’augmentation détestée des billets de métro qui avait initialement déclenché des manifestations.

Alors que les protestations se multipliaient, le corps législatif fédéral a abandonné le bâtiment du congrès à Valparaiso dans l’après-midi, tandis que Piñera gardait un silence paniqué. Le chef de la chambre basse a déclaré: «C’est une situation à haut risque. J’ai demandé la suspension des activités législatives et j’assume la responsabilité de faire sortir tout le monde de l’immeuble.»

Les 20.000 policiers et militaires déployés dans les rues dans le cadre de l’état d’urgence en cours se sont d’abord retirés pour garder les principaux bâtiments gouvernementaux. Toutefois, ils ont commencé à attaquer les manifestants devant le palais présidentiel, La Moneda, en milieu de soirée. Peu après, les militaires ont commencé à se déployer pour faire respecter le couvre-feu et se trouvaient face à des manifestants en colère, dans certains endroits.

Des rapports font état d’horribles tortures infligées par la police et l’armée chiliennes. Hier, l’Institut national des droits de l’homme chilien (INDH) a rapporté que la police avait arrêté 5500 personnes en plus d’une semaine de protestation.

Une plainte déposée par l’INDH montre que dans une banlieue ouvrière de Santiago, quatre personnes «ont été «crucifiées» sur une antenne métallique au poste de police, pendues par leurs menottes» et battues. De nombreux cas de viols, d’abus sexuels et de passages à tabac violents ont été signalés. On déplore 19 morts et des centaines de blessés. La police et l’armée ont blessé au moins 123 personnes par balle.

La police et l’armée se préparent à une répression massive. Hier, les militaires ont appelé des réservistes des provinces du pays pour effectuer des tâches administratives qui faciliteront le déploiement de 15.000 soldats supplémentaires dans les rues.

Il y a tout juste 46 ans, après le coup d’État du 11 septembre 1973, les forces armées chiliennes ont noyé dans le sang le mouvement ouvrier. Elles ont tué des milliers de personnes et en ont torturées des milliers d’autres. Les Autorités ont donné des milliers d’enfants de militants de gauche assassinés pour adoption à des couples étrangers. Tandis que, les militaires ont battu brutalement de dizaines de milliers d’autres en prison.

L’ampleur de la manifestation d’hier au Chili montre que les masses de travailleurs veulent que l’on tienne compte des crimes historiques de la classe dirigeante et des militaires chiliens. De nombreux membres des familles des victimes de Pinochet ont participé aux manifestations. Personne n’a jamais été tenu responsable de ces crimes. Pinochet lui-même est mort en liberté après que le Parti travailliste britannique eut bloqué, il y a vingt ans, son extradition vers l’Espagne où il aurait pu être poursuivi devant les tribunaux.

Le mot d’ordre des manifestants — «Il ne s’agit pas de 30 pesos, il s’agit de 30 ans» — témoigne de la volonté de millions de personnes de lutter contre l’ensemble de l’élite politique responsable des crimes de la dictature, de la préservation du pouvoir des militaires chiliens et du maintien du pouvoir capitaliste dans la transition dite démocratique qui a commencé vers la fin des années 1980.

La classe ouvrière doit éviter un nouveau «11 septembre». Elle ne doit pas se laisser piéger dans un autre front populaire. En 1973 ses intérêts de classe indépendants étaient subordonnés à une fraction de la classe dirigeante chilienne qui se présentait comme «de gauche». C’était la stratégie avancée par le président chilien assassiné, Salvador Allende, son parti socialiste, le parti communiste stalinien et soutenue par le MIR (Mouvement de la gauche révolutionnaire) pabliste. Elle a ouvert la voie au coup d’État en supprimant la lutte de classe et en avançant le mensonge que les militaires représentaient «le peuple en uniforme».

Aujourd’hui, ceux qui cherchent à maintenir le soulèvement de la classe ouvrière dans les limites du système capitaliste comprennent le Front élargi et le Parti communiste stalinien. Ils appellent tous deux à de «nouvelles élections» et dénoncent les manifestations comme «violentes».

Le magazine américain, Jacobin Magazine, a traduit et publié un article par le parti de la pseudo-gauche chilienne, Convergencia Social. L’article affirme qu’«un nouveau bloc social qui comprend des syndicats, des étudiants, des féministes et des groupes environnementaux a proposé un ensemble de revendications “transversales” (non sectorielles) qui s’étendent à toute la nation». Ce «bloc social» exclut explicitement la classe ouvrière et appelle à des revendications qui s’adressent à la «nation entière», c’est-à-dire à la classe capitaliste. L’article ne fait aucune référence au «socialisme», au «capitalisme», à la «révolution» ou à la «classe ouvrière».

Ce qu’il faut au contraire, c’est libérer l’immense pouvoir de la classe ouvrière internationale indépendante. Cette lutte peut être développée par l’établissement d’assemblées populaires et de comités ouvriers dans toutes les usines, mines et lieux de travail du pays. Ils doivent mobiliser la force indépendante de la classe ouvrière dans une lutte contre le système capitaliste mondial.

(Article paru d’abord en anglais le 26 octobre 2019)

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