Le gouvernement conservateur de l'Alberta dépose son budget anti-travailleurs

Le premier budget du gouvernement populiste de droite du Parti conservateur uni de l'Alberta prévoit des compressions dévastatrices des dépenses publiques à tous les niveaux.

Le budget, déposé à la fin du mois dernier, avait été reporté par le premier ministre Jason Kenney jusqu'après les élections fédérales du 21 octobre par crainte que ses mesures régressives et impopulaires ne nuisent aux chances des conservateurs de battre les libéraux de Trudeau.

En plus des compressions de dépenses punitives, le budget impose de nombreuses augmentations des frais d'utilisation des services gouvernementaux et réduit l'impôt des sociétés.

Le gouvernement populiste de droite de Kenney mène une attaque frontale contre la classe ouvrière tout en alimentant le régionalisme réactionnaire de l'Ouest et de «l’Alberta d’abord» afin de détourner la colère vers le gouvernement libéral fédéral et d'autres régions du Canada, notamment le Québec. Ancien ministre du gouvernement conservateur dirigé par Stephen Harper pendant une décennie, Kenney a accusé à maintes reprises Ottawa, le Québec et la Colombie-Britannique d'essayer d’étrangler le secteur énergétique de l'Alberta.

Le budget gèle effectivement les dépenses en soins de santé pour les quatre prochaines années tout en réduisant les dépenses de fonctionnement du gouvernement dans leur ensemble de 2,8%. Il stipule en outre que les dépenses du gouvernement seront plafonnées jusqu'à la fin du mandat actuel du PCU en 2023.

Si l'on tient compte de l'inflation et de la croissance démographique, la réduction de 2,8% en dollars non indexés de Kenney se traduira par une réduction des dépenses par habitant de plus de 10% à la fin du mandat de quatre ans du PCU.

Presque tous les secteurs de dépenses gouvernementales sont durement touchés, qu'il s'agisse de l'éducation publique, des infrastructures ou des subventions accordées par Edmonton aux municipalités de la province.

L'enseignement supérieur est particulièrement touché. Le gouvernement réduira les dépenses des universités de la province de 5% au cours de l'année à venir et il a l'intention de les réduire de 12% en dollars non indexés d'ici 2023.

Entre-temps, Kenney a autorisé les universités à augmenter les frais de scolarité de plus de 7% par année au cours des quatre prochaines années tout en augmentant l'intérêt exigé sur les dettes étudiantes et en éliminant deux crédits d'impôt pour étudiants.

Le gel indéfini par le gouvernement de l'indexation des diverses prestations gouvernementales, y compris le «revenu assuré pour les personnes gravement handicapées», n'est pas moins punitif.

Le budget prévoit que d'ici six mois, la main-d'œuvre de la province diminuera de plus de 750 emplois à temps plein et de plus de 2 000 d'ici 2023.

Le budget ne prévoit pas un sou d'ici 2023 pour les augmentations de salaires et d'avantages sociaux des travailleurs du secteur public, qui subissent depuis des années des gels de salaires et des «restrictions».

Le plan repose en grande partie sur les recommandations du rapport MacKinnon. Il a été publié en septembre par un groupe de travail présidé par Janice MacKinnon, ancienne ministre des Finances du NPD de la Saskatchewan, à qui Kenney a donné la responsabilité d'élaborer un plan visant à éliminer le déficit budgétaire annuel de 9 milliards de dollars de la province. Le mandat du groupe de travail l'empêchait explicitement de recommander des augmentations d'impôt.

En plus de préconiser des réductions massives des dépenses sociales, le rapport MacKinnon a fourni un plan pour déployer le pouvoir répressif de l'État afin de réprimer l'opposition de la classe ouvrière. Il s'agissait notamment de recourir à des lois de retour au travail pour criminaliser les grèves dans le secteur public et d'invoquer la clause dérogatoire antidémocratique qui permet aux gouvernements fédéral et provinciaux d'adopter des lois qui violent les droits «garantis» dans la Charte canadienne des droits et libertés de la Constitution.

Dans le cadre d'une provocation majeure, le gouvernement Kenney a déposé lundi dernier un projet de loi qui permet aux employeurs du secteur public d'embaucher des briseurs de grève temporaires, plutôt que de compter sur les travailleurs syndiqués pour fournir les services essentiels pendant les grèves. Et mardi, il a annoncé qu'il cherchera à obtenir une réduction de 2% des salaires lorsque les négociations reprendront avec 180.000 travailleurs du secteur public.

Dans une allocution télévisée à l'échelle de la province, la veille du dépôt du budget 2019-20 par le ministre des Finances du PCU, Travis Toews, Kenney a lancé une mise en garde inquiétante: «Les manifestations ou attaques politiques, aussi nombreuses soient-elles, ne nous ferons pas dévier de notre voie.»

Le déficit et la dette accumulée de la province, que les conservateurs utilisent pour justifier leurs efforts de réduction des coûts, sont le résultat des politiques de droite appliquées par les gouvernements successifs, dirigés tant par les conservateurs que par les néo-démocrates. Les taux d'imposition sur les grandes entreprises et les riches ont été maintenus à des niveaux excessivement bas – le soi-disant «avantage albertain». Les faibles taux de redevances pour le secteur de l'énergie de la province ont également gonflé les résultats nets des grandes sociétés pétrolières.

Au prétexte de faire de l'Alberta un pôle d'attraction pour l'investissement, le gouvernement du PCU a l'intention de comprimer encore davantage les coffres de l'État en réduisant d'un tiers le taux d'imposition des sociétés au cours des quatre prochaines années, le faisant passer de 12 à 8%. Au cours de la première année seulement, soit l'exercice 2019-2020, les recettes provenant de l'impôt sur le revenu des sociétés devraient diminuer de 700 millions de dollars pour s'établir à 4,2 milliards de dollars.

Kenney a menacé la classe ouvrière d’encore plus d'austérité si trois projets d’oléoducs ne sont pas construits, et, en raison de sa dépendance du marché américain, le pétrole albertain continue d'être vendu au rabais.

Le gouvernement du PCU est le fer de lance d'un assaut intensifié de la classe dirigeante contre la classe ouvrière à travers le Canada. Les mesures qu'il a annoncées s'apparentent à celles qui sont mises en œuvre par le gouvernement progressiste-conservateur de l'Ontario. Dirigé par Doug Ford, qui a Trump comme modèle, le gouvernement de l'Ontario a fait savoir qu'il criminaliserait les grèves que menacent de faire les enseignants, de manière à imposer une augmentation spectaculaire des effectifs des classes et une réduction des salaires réels.

Tandis que Trudeau et ses libéraux se font passer pour des opposants de Ford et Kenney, le gouvernement libéral fédéral a imposé l'austérité, réduit l'impôt des sociétés, a à maintes reprises adopté, ou menacé de le faire, des lois de retour au travail et intégré davantage le Canada dans les offensives militaires et stratégiques de Washington dans le monde. Avec l'appui des syndicats et du NPD, qui se sont tous deux réjouis de sa réélection, le gouvernement libéral minoritaire de Trudeau a maintenant l'intention de dépenser des dizaines de milliards de dollars pour acheter de nouveaux avions de guerre et des cuirassés. Ces achats seront invariablement financés par des coupes dans des services publics essentiels.

Le régionalisme de «l’Alberta d’abord» de Kenney revêt des habits du populisme les intérêts et les désirs prédateurs de l'élite albertaine, en particulier les géants de l'énergie. Ils exigent une exploitation sans entrave des sables bitumineux de l'Alberta et la construction de nouvelles infrastructures pour acheminer le pétrole et le bitume de l'Alberta vers les marchés mondiaux.

Kenney et son PCU alimentent le chauvinisme anti-québécois et ont développé des liens avec les forces d'extrême droite. Le premier ministre a promis de tenir un référendum en 2021 sur la péréquation – le système en vertu duquel Ottawa transfère des fonds aux provinces dites «défavorisées» pour appuyer les services publics – à moins que les demandes de l'Alberta en matière d'accès aux oléoducs et de développement des ressources soient satisfaites. Les sections les plus à droite de la classe dirigeante veulent depuis longtemps réduire considérablement, voire éliminer, la péréquation comme moyen de vider de leur substance ce qui reste des services publics de qualité.

La réalité sociale en Alberta démontre que les travailleurs n'ont aucun intérêt à s’aligner derrière le régionalisme de Kenney. Tandis que les dirigeants et les actionnaires du secteur pétrolier continuaient à se remplir les poches, les conditions de vie des travailleurs se sont rapidement détériorées au cours des dernières années. Le taux de chômage officiel est de 6,6%, soit environ 1% de plus que la moyenne nationale. D'autres indicateurs, comme un pic de suicides (11 suicides par jour à Edmonton), indiquent que le capitalisme fait des ravages dans la province. Pour chaque pourcentage d’augmentation du chômage, 16 personnes se suicident, selon un rapport publié le mois dernier par la School of Public Policy de l'Université de Calgary.

Le mois dernier, Husky Energy a mis à pied des centaines de travailleurs à Calgary et deux chaînes de restaurants de l'Alberta, Red Robin et East Side Mario's, ont fermé leurs portes, entraînant la perte de centaines d'emplois.

Comme on pouvait s'y attendre, le parti de l’opposition, le NPD, et les syndicats ont réagi au budget du PCU par de belles paroles. Guy Smith, président de l'Alberta Union of Public Employees (AUPE), a déclaré que si «Jason Kenney et son gouvernement veulent une guerre avec les travailleurs du secteur public, c'est une guerre qu'il va avoir.»

Ce serait une erreur fatale pour les travailleurs que de prendre de telles déclarations pour de l’argent comptant. Pendant ses quatre années au pouvoir, le gouvernement néo-démocrate de Rachel Notley s'est occupé des intérêts des grandes pétrolières et a adopté ses propres budgets d'austérité. Et les syndicats ont fait en sorte que l'opposition au sein de la classe ouvrière soit étouffée, y compris lorsque le NPD a imposé un gel des salaires.

Au niveau fédéral, les mêmes forces qui se disent opposées à Kenney en Alberta se préparent à appuyer un gouvernement libéral minoritaire. Alors que les syndicats ont investi des millions de dollars dans des publicités électorales pour appuyer les libéraux de Trudeau, le chef du NPD, Jagmeet Singh, a souligné à maintes reprises que son parti était prêt à former une coalition ou à conclure une entente avec les libéraux.

Tout cela est fondé sur l'affirmation frauduleuse que la vie politique canadienne est divisée en deux camps: les conservateurs d'un côté, et un camp «progressiste» composé de tous les autres. La réalité, c'est que l'alliance libérale-néo-démocrate-syndicale au niveau fédéral mettra en œuvre les diktats des grandes entreprises avec autant de fidélité et de vigueur que Kenney le fait en Alberta.

La défense des droits sociaux des travailleurs passe par la mise en place de nouvelles organisations de lutte des classes: des comités de la base dans les lieux de travail, les écoles et les quartiers, et surtout, un parti ouvrier de masse. L'offensive des grandes entreprises et de leurs mercenaires politiques doit être combattue par la mobilisation systématique de la classe ouvrière contre toute réduction de l'emploi et du budget, et par le développement d'un mouvement de masse pour un gouvernement ouvrier et la réorganisation socialiste de la vie économique.

(Article paru en anglais le 31 octobre 2019)

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