Corbyn aux industriels britanniques: «On prétend parfois que je suis contre le monde des affaires. C'est tout à fait absurde »

La plupart du temps, Jeremy Corbyn, chef du Parti travailliste, et son ministre fantôme des Finances, John McDonnell, s'expriment devant des auditoires de travailleurs qui leur sont favorables, où ils peuvent employer une rhétorique de gauche, anti-entreprise, et parfois même qualifier leur politique de socialiste.

Mais pendant la campagne électorale des législatives, ils doivent passer une audition devant l'élite dirigeante, ses banques et ses entreprises. Lorsque l'occasion l'exige, toute prétention associée de loin ou de près à une politique « radicale » doit être abandonnée au profit de professions de foi de responsabilité et de soutien au capitalisme britannique.

C’était le cas lundi, où Corbyn s’est adressé à la conférence annuelle de la Confédération des industries britanniques (CBI) pour présenter le programme du Parti travailliste, en concurrence avec les dirigeants du Parti conservateur et des Libéraux-démocrates, Boris Johnson et Jo Swinson.

«Il est bon que les chefs de partis viennent vous exposer leurs plans directement, car il s’agit d’une élection qui donnera forme à notre pays pendant une génération», a lancé Corbyn. «Et laissez-moi juste aborder quelque chose d’entrée. On prétend parfois que je suis contre le monde des affaires. C'est tout à fait absurde. »

Corbyn exhorta son auditoire à voir comment les pires excès des sociétés et des parasites financiers avaient massivement discrédité le système capitaliste de profit aux yeux de millions de travailleurs. Leur demandant d'accepter certaines restrictions minimales, il a insisté: «Ce n'est pas contre les affaires de dire que les plus grandes entreprises doivent payer leurs impôts comme le font les petites […] Ce n'est pas contre les affaires de vouloir la prospérité dans toutes les régions de notre pays et pas seulement à la City de Londres ».

Il a promis aux dirigeants d'entreprise que, dans le cadre de son programme pour le Brexit, ils allaient « avoir la certitude d'une union douanière et d'un accès au marché unique, comme vous le préconisez depuis longtemps ».

Face à l'escalade de la guerre commerciale menée par les États-Unis, il fallait un changement de gouvernement pour certaines industries particulièrement vulnérables: «Le Parti travailliste […] va rapidement régler le problème du Brexit et mettre fin immédiatement à l'incertitude pour les entreprises puisque nous ne détruirons pas notre principale relation commerciale, car de grandes industries britanniques comme la sidérurgie peineront à survivre à l’accord post Brexit avec Trump prévu par Johnson».

«Vous et vos entreprises avez beaucoup à gagner d'un gouvernement travailliste», a-t-il promis. «Vous allez voir plus d'investissements que vous n'en avez jamais espéré. Vous aurez la main-d'œuvre la mieux éduquée que vous ayez jamais attendue. Vous obtiendrez l'infrastructure de pointe mondiale, y compris le haut débit intégral que vous demandez depuis longtemps. Vous allez profiter des transports rapides et fiables que vous avez toujours souhaités. »

De plus, les taux d’imposition des entreprises seraient réformés «parce que nous savons les dégâts qu'ils font actuellement chez nos commerçants et nos communautés; et l'accès au financement sera amélioré avec une Agence de développement des entreprises dans le cadre de la nouvelle Banque postale. »

Le discours de Corbyn a été précédé d’une dénonciation, par les conservateurs et les médias, du projet travailliste de nationaliser partiellement British Telecom et d'offrir à la population un accès haut débit gratuit à Internet sur une période de 10 ans, que Boris Johnson a qualifié de « communisme haut débit ».

La CBI a publié un communiqué déclarant: «Un haut débit fiable et rapide est une priorité absolue pour les particuliers et les entreprises et il doit être amélioré. Mais le projet travailliste n’est pas le moyen d’y arriver […] le seul effet d’une renationalisation sera de ralentir un processus qui doit être accéléré ».

Elle avertit que «les idéologies bornées doivent être mises de côté et remplacées par des partenariats public-privé tournés vers l'avenir qui produisent des résultats plutôt que des retards».

Matthew Fell, directeur de la politique au CBI, a conclu: «Comme les plans de renationalisation radicale du Parti travailliste prennent presque chaque jour de l’ampleur, les entreprises du monde entier perdent confiance dans le Royaume-Uni comme lieu d’investissement sûr. Certains se demanderont s'ils seront les prochains […] Il est temps que tous les partis travaillent avec les entreprises, pas contre elles ».

Corbyn a clairement reçu le message. La grande partie de son discours aurait pu être de Tony Blair, car le mot «capitalisme» n’a jamais été mentionné sans même parler du mot «socialisme». Il a insisté pour dire que sa politique «n’attaquait pas les fondements d’une économie moderne; c'est tout le contraire. C'est la norme dans de nombreux pays européens ». Ils avaient été obligés de prendre « les mesures essentielles pour construire une économie véritablement mixte pour le XXIe siècle ».

«Je comprends que vous soyez prudents quant à certains de nos projets», mais «malgré l'impression parfois relayée par certains médias, le Parti travailliste ne croit pas que l'État puisse faire cela [moderniser l'économie] seul », a-t-il de nouveau supplié ses détracteurs.

S'exprimant dans la capitale de l'un des pays les plus socialement polarisés de la planète, Corbyn a déclaré que son seul objectif était de rassembler tout le monde pour une « société décente » et « élever la plate-forme sur laquelle notre société tout entière se tient pour que les entreprises et les particuliers puissent se développer davantage et réaliser leurs rêves ». Les « opportunités créées pour les entreprises sous un gouvernement travailliste seront immenses ».

Qu'est-ce que Corbyn a demandé en échange? « Le Parti travailliste demandera à ce que les gens au sommet paient leur juste part d'impôt. »

En quoi consistait cette « juste part » fut révélé par McDonnell dans un discours la semaine dernière. Celui-ci expliqua que sous un mandat travailliste, il y aurait une augmentation de l'impôt « seulement » pour « les cinq pour cent les plus élevés [...] nous allons réduire l’imposition au taux de 45 pour cent pour les revenus au-delà de 80 000 £ et réintroduire le taux de 50 pour cent pour les revenus au-delà de 125 000 £. »

Ceci était déjà la politique de Corbyn lors des élections de 2017, mais à l’origine c’était celle du ministre des finances de Tony Blair, Gordon Brown, qui l’imposa en 2010.

Dans un discours prononcé mardi, McDonnell a développé le scénario déjà ébauché par Corbyn en déclarant: « Nous rendons hommage à toutes les entreprises et commerces qui constituent la colonne vertébrale de notre économie et apportent une contribution importante à notre société. »

Citant l'effondrement de Carillion, BHS et Thomas Cook, il a averti: «Trop souvent, la cupidité des entreprises qui privilégie des prises de bénéfices à court terme ignore le bon sens des affaires […] Nous voulons de bonnes entreprises qui prennent des décisions à long terme et créent de bons emplois ».

Il était convaincu que « les entreprises devraient être un partenariat entre employés, clients, direction et actionnaires pour le succès à long terme de l'entreprise ». L'engagement du Parti travailliste de créer « une économie basée sur l’intéressement » [une phrase directement empruntée à Blair] était vital car « il est prouvé que cela non seulement améliore la prise de décision à long terme, mais augmente également la productivité ».

McDonnell a pris la peine d'expliquer que la proposition travailliste que les entreprises devraient transférer une fraction de leurs actions - un pour cent à la fois – « dans un fonds d'employés jusqu'à ce que le fonds représente 10 pour cent de l’entreprise » n'avait absolument rien de radical. Cela n'impliquerait qu'un «maximum de 500 £ par employé et par an. Je vois aux États-Unis que Bernie Sanders propose un transfert de 20 pour cent».

Décrivant une autre politique, il a déclaré que la «rémunération du PDG moyen du FTSE 100 à la bourse de Londres est passée de 60 fois celle de l’employé moyen à 150 fois en 2017». Il n’y aurait aucune contrainte à réduire cela de la part d’un gouvernement travailliste, mais seulement l’introduction d’une « taxe sur les rémunérations excessives des entreprises ». Le Parti travailliste voulaient « instaurer un rapport salarial de 20:1 entre les employés les moins payés et les mieux payés du secteur public ». Ceci pourrait signifier « qu’une personne gagnant le salaire de base, à peine plus de 16 000 £ par an, permettrait à un directeur de gagner près de 350 000 £ ».

Pendant que Corbyn et McDonnell rassuraient la grande entreprise et rendaient hommage à la classe capitaliste, ils ne disaient rien de la poursuite de l'offensive de l'élite patronale contre la classe ouvrière. Quelques jours à peine avant le discours de Corbyn, la Haute Cour avait interdit à 100 000 postiers de voter la grève, sans même un tweet de Corbyn en réponse.

Samedi, les contrôleurs de trains de West Midland ont fait grève contre les projets d'élimination de leur postes par l’introduction de trains avec seul un conducteur à bord. La plupart des conducteurs de train ont refusé de franchir les piquets de grève des contrôleurs. Corbyn n'avait rien à dire non plus à ce sujet.

Comme le prouvent ses propos, Corbyn est à la tête d'un parti pro-capitaliste opposé à l'action des travailleurs contre l'offensive des employeurs. Le Parti de l'égalité socialiste présente des candidats aux élections législatives, en opposition à tous les partis de l'élite dirigeante, y compris le Parti travailliste, afin de mobiliser les travailleurs et les jeunes dans une lutte politique contre les grandes sociétés, l'austérité, un régime autoritaire, le militarisme et la guerre.

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(Article paru en anglais le 20 novembre 2019)

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