Manifeste du Parti travailliste britannique: un projet pour sauver le capitalisme

Le chef du Parti travailliste, Jeremy Corbyn, a lancé jeudi le manifeste électoral du parti travailliste, intitulé « Le temps d'un changement réel ».

Le document a été décrié par le Financial Times comme «le manifeste le plus à gauche depuis une génération». Le Times de Rupert Murdoch a dit qu'il représentait «le programme le plus coûteux de l'histoire politique britannique». The Guardian a parlé du «manifeste le plus radical depuis des décennies».

Le virage à droite de la politique traditionnelle a été tellement brutal, en cours depuis plus de trois décennies, qu'avancer poliment des mesures réformistes les plus limitées est maintenant qualifié comme dangereusement «de gauche».

Les médias peuvent seulement affirmer de telles choses en raison du fait que la «génération» qui leur sert de référence couvre les gouvernements conservateurs de droite de Margaret Thatcher et John Major, ceux du Parti travailliste de Tony Blair et Gordon Brown, puis de David Cameron et Boris Johnson, qui ont supervisé collectivement un transfert sans précédent de richesses des travailleurs vers les super-riches.

Le manifeste contient les propositions suivantes:

* La construction, d'ici la fin de son premier mandat, de 100.000 logements HLM par an et de 50.000 logements gérés par des associations.

* La renationalisation des entreprises privatisées comprenant les secteurs du chemin de fer, de la poste, de l’eau et de l’énergie.

* Un «salaire minimum réel d'au moins 10 livres de l’heure»

* Une augmentation générale de 5 pour cent pour tous les travailleurs du secteur publique - une moyenne de 1 643 livres - à partir d'avril 2020.

* Des fonds supplémentaires pour le Service national de la santé, les services sociaux («augmenter les dépenses de 4,3 pour cent par an en moyenne dans le secteur de la santé») et les écoles.

* Suppression des frais de scolarité dans les universités, accès haut débit d’Internet gratuit, contrôles dentaires gratuits (hors traitements), déplacements gratuits en bus pour les moins de 25 ans et la redevance audiovisuelle gratuite pour les plus de 75 ans.

Corbyn a déclaré: «Les milliardaires et les super-riches, les fraudeurs fiscaux, les mauvais patrons et les gros pollueurs - ils sont propriétaires du Parti conservateur. Mais ils ne nous possèdent pas. Ils ne possèdent pas le Parti travailliste. Le peuple possède le Parti travailliste. C'est pourquoi les milliardaires nous attaquent.»

Les travailleurs doivent regarder au-delà de cette hyperbole.

Les quatre dernières décennies ont été marquées par 13 années de gouvernements travaillistes appliquant une politique basée sur le mantra de Thatcher selon laquelle «il n'y a pas d'autre solution» [there is no alternative] au «marché libre» capitaliste. Cette période a connu un assaut incessant sur la position sociale de la classe ouvrière et à la destruction des acquis accumulés au cours de plus d'un siècle de lutte.

Pourtant, la réponse de Corbyn à cette contre-révolution sociale consiste en une poignée de réformes modestes. Ses palliatifs n'ont rien à voir avec un véritable programme socialiste, qui nécessite l'expropriation de la richesse des grandes entreprises et banques et l'abolition définitive – par le biais d’un gouvernement des travailleurs – de leur emprise sur la société.

Il est extraordinaire que, dans des conditions où des millions de jeunes cherchent une alternative socialiste, ni la préface du manifeste de Corbyn, ni le texte actuel du document de 107 pages ne mentionne le mot «socialisme». Sa seule référence est un point isolé décrivant le Service national de santé comme un «socialisme en action».

Tout bavardage sur une opposition aux milliardaires et toute auto-congratulation pour leur hostilité, n’est que des paroles en l’air. La réfutation de toute revendication relevant de «radicalisme» se trouve dans le manifeste même. «Les entreprises sont le cœur de notre économie, elles créent des emplois, de la richesse et des innovations». Loin de s'attaquer aux milliardaires, il déclare dans un langage qui aurait pu provenir de Blair lui-même: «La justice sociale signifie également que les règles du jeu seront équitables pour les petites comme pour les grandes entreprises.»

Si Corbyn était élu, le Parti travailliste paierait pour les services publics en «créant un système fiscal plus juste, en demandant un peu plus aux personnes ayant les épaules les plus larges et en veillant à ce que tout le monde paye ce qu'il doit.»

«Nous annulerons certaines des réductions des conservateurs concernant l’impôt sur les sociétés tout en maintenant les taux plus bas qu’en 2010.» Cela porterait l’impôt sur les sociétés à 26 pour cent, l’un des taux les plus bas en Europe.

Il poursuit: «Nous demanderons à ceux qui gagnent plus de 80 000 £ par an de payer un peu plus d’impôt sur le revenu, tout en gelant les taux de prélèvements sociaux et de l'impôt sur le revenu pour tous les autres.»[notre italique]

Les médias de droite ont retenu une proposition - une taxe unique, estimée à 11 milliards de livres, sur les sociétés pétrolières et gazières du Mer du Nord basées en Grande-Bretagne - comme s’il s’agissait d'un assaut sur le Palais d’hiver de Saint-Pétersbourg. Cependant, les entreprises seraient consultées sur ce qu’elles pourraient payer et disposeraient de plusieurs années pour l’acquitter. La taxe est dérisoire comparée aux vastes allègements fiscaux qui leur ont été accordés par les gouvernements travaillistes et conservateurs précédents. Le Financial Times a cité un responsable travailliste expliquant: «Si le Royaume-Uni avait appliqué le même taux d'imposition effectif que le taux moyen appliqué par les pays de la mer du Nord de 1992 à nos jours, il aurait perçu 117 milliards de livres supplémentaires d'impôts.»

Aucune sanction ne sera imposée aux dirigeants d'entreprises qui touchent des millions de livres dans le secteur privé - bien que les PDG des 100 plus grandes sociétés cotées en bourse gagnent en moyenne 3,5 millions de livre par an (117 fois plus que le travailleur britannique à temps plein moyen). Dans le secteur public, le manifeste promet d’appliquer un «ratio de salaire maximum de 20:1» - une politique proposée pour la première fois par le Premier ministre conservateur David Cameron et pour les entreprises candidates aux marchés publics. Le Parti travailliste a rassuré les chefs de secteur public en leur faisant comprendre qu'une telle politique signifierait qu'un travailleur ne toucherait que 16.000 livres par an au titre du «salaire minimum réel», tandis que de leur côté ils pourraient engranger un pactole allant jusqu’à 350 000 livres par an.

Tout dans le manifeste va de pair avec les garanties que le ministre fantôme des finances de Corbyn, John McDonnell, a présentées en 2017, à savoir que leur mission est de «stabiliser le capitalisme». Quelques mois après l'élection du gouvernement conservateur de Theresa May déchiré par une crise interne en 2017, McDonnell avait confié que, à propos de ses entretiens avec les grands patrons de la City de Londres: «À certains égards, la situation est étrange. Ils s’adressent à nous pour être rassurés à l’égard d’un gouvernement en décomposition. Jeremy Corbyn et moi sommes donc les stabilisateurs du capitalisme.»

Le manifeste est une offre d'un parti d'État de confiance à l'impérialisme britannique de défendre les intérêts de l'élite dirigeante en période de turbulences.

Depuis son élection à la tête du parti, il y a quatre ans, Corbyn n'a rien fait d'autre que de capituler devant la droite blairiste de son parti. Dans le manifeste de 2017 du Parti travailliste, ils ont insisté pour que Corbyn et McDonnell renoncent à toute prétention de s'opposer à l'OTAN, au renouvellement du système de missiles Trident du Royaume-Uni et à l'industrie de la défense.

Le manifeste de 2019 affirme fièrement un programme militariste, présenté cette fois dans le cadre de la marche vers la guerre menée par les puissances impérialistes occidentales contre la Russie - laissant entendre que le gouvernement de Johnson est à la botte de Poutine.

Il attaque Johnson pour avoir refusé de «publier le rapport sur une possible ingérence étrangère de la Russie dans la démocratie britannique». Il déclare qu'un «gouvernement travailliste entreprendra un examen de la défense et de la sécurité stratégiques pour évaluer les défis sécuritaires auxquels le Royaume-Uni fait face, y compris de nouvelles formes de cyber-guerre et guerre à distance.»

Sous les conservateurs, il dénonce une situation dans laquelle «le personnel de l'armée formé est passé de 102.000 à un peu plus de 74.000». Les travaillistes «maintiendront notre engagement envers l'OTAN et nos relations étroites avec nos partenaires européens» et dépenseront au moins 2 pour cent du PIB sur la défense, en garantissant «que nos forces armées soient polyvalentes et capables de remplir l’ensemble des rôles et d’obligations». Il avertit que «les défis sécuritaires auxquels nous faisons face ne connaissent pas de frontières. Le parti travailliste augmentera le financement des opérations de maintien de la paix des Nations Unies à 100 millions de livres sterling.»

Le manifeste affirme que si la Grande-Bretagne quitte l’Union européenne, la libre circulation des citoyens de l’UE «fera l’objet de négociations», c’est-à-dire qu’elle prendra fin. Sans le définir comme un système d’immigration «basé sur des points», le manifeste affirme que toute immigration sera basée sur les besoins de l’économie: «Notre système de visa de travail doit pallier toute pénurie de main-d’œuvre ou de compétences.»

Alors que le socialisme est le grand tabou, des pages entières du manifeste sont consacrées au renforcement de «la police et la sécurité». La police reçoit pas moins de 28 mentions. Le manifeste se plaint que les «conservateurs ont enlevé 21.000 policiers de nos rues» et promettent: «Nous allons reconstruire l’ensemble des effectifs de la police, en recrutant plus de policiers, d’officiers de proximité dans les quartiers. Nous rétablirons la police de quartier et recruterons 2000 policiers de plus que ceux prévus par les conservateurs.»

Le manifeste est un exercice de duplicité de premier ordre. Ceci est résumé par ses appels à «renforcer les protections des lanceurs d'alerte» sur le lieu de travail et à soutenir «un droit légal de défense de l'intérêt public des journalistes». Il ne mentionne pas la détention arbitraire au Royaume-Uni de Julian Assange, journaliste et fondateur de WikiLeaks, pendant une décennie.

Assange est détenu à l'isolement et torturé dans la prison à sécurité maximale de Belmarsh à Londres. L’État britannique s'emploie à obtenir son extradition aux États-Unis où il risque une peine de 175 ans de prison pour avoir dénoncé les crimes de guerre des puissances impérialistes.

Le Parti de l'égalité socialiste à lui seul participe aux élections générales de 2019 sur un programme socialiste représentant les intérêts des travailleurs. Une revendication centrale de notre campagne concerne la liberté de Julian Assange.

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(Article paru en anglais le 22 novembre 2019)

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