Des travailleurs et des jeunes protestent contre la visite du président français à Amiens

Le président Emmanuel Macron a effectué une visite de deux jours dans sa ville natale d'Amiens, en Picardie, jeudi et vendredi dernier, alors que la maire de droite de la ville, Brigitte Fouré, rempile comme candidate aux élections de 2020, après avoir récemment rejoint le parti de Macron, La République en marche (LREM). La ville était verrouillée par les forces de sécurité, la police anti-émeute étant postée à tous les carrefours, et seuls les invités triés sur le volet étaient autorisés à assister à des cérémonies officielles. Un groupe de Gilets jaunes, bien que petit, a été strictement tenu à l'écart par la police anti-émeute.

Des dizaines de travailleurs licenciés de l'usine Whirlpool, située à Amiens, ont traversé la ville pour exiger une rencontre avec le président, qui n'a pas tenu sa promesse électorale de 2017 de maintenir l'usine ouverte. Comme les jeunes et les Gilets jaunes, ils ont été empêchés de prendre contact et informés qu’Emmanuel Macron se rendrait à l’usine désaffectée de Whirlpool le lendemain, vendredi.

Vendredi, des travailleurs ont réclamé des comptes à Macron pour son incapacité à sauvegarder les 286 emplois du fabricant de sèche-linge, désormais délocalisé en Pologne, et à demander la raison pour laquelle il ne pouvait pas trouver de repreneur pour l'usine, comme promis. En effet, le gouvernement a donné 2,5 millions d'euros à un homme d'affaires local pour un projet de fabrication de boîtes aux lettres - un plan qui n'a jamais vu le jour.

Macron, le «président des riches», a réagi comme d’habitude avec arrogance. Tout en faisant des promesses creuses donnant rendez-vous pour une autre réunion l’année prochaine, il a critiqué ce qu’il a appelé la «paranoïa» et «l’obsession» des travailleurs en colère contre la perte de leurs emplois.

Le député d’Amiens à l'Assemblée nationale, François Ruffin, du parti de La France insoumise (LFI) de Jean-Luc Mélenchon, a fait un scandale orchestré en présence de Macron. Ruffin, qui a voté pour Macron au second tour de l'élection présidentielle, a encore une fois à Amiens la semaine dernière promu des illusions dans la bonne volonté de Macron à aider les travailleurs d'Amiens.

Faisant allusion à la tentative infructueuse de Macron de convaincre des hommes d'affaires locaux de reprendre l'usine de Whirlpool, Ruffin lui a donné un conseil amical: «Je pense que vous grandiriez l’État à admettre que vous avez merdé, à la limite pas vous personnellement […] Il y avait des signaux envoyés à l’extérieur et on n’a pas eu de réponse.» Il a ajouté que «cette fameuse reprise […] j’ai l’impression que cela a été un montage entre le gouvernement actuel, entre vous M.Macron, Whirlpool et un repreneur véreux qui s’appelle Decayeux.»

Ruffin a ensuite déploré le fait que son propre projet de préservation de l'usine, une idée pour la production d'une machine à laver «indestructible», n'ait pas obtenu l'approbation de Macron.

La première cérémonie officielle de Macron était l'inauguration de la nouvelle faculté de Sciences humaines et sociales de l'Université de Picardie, dans la forteresse militaire restaurée de la «Citadelle» construite en 1610. Les étudiants et les chercheurs-enseignants étaient tenus à l’écart. Le président de l'université a déclaré à Macron que le nombre d'étudiants est passé de 24.000 à 31.000, mais que le financement était insuffisant. Seuls 54 pour cent de ses étudiants bénéficient de bourses d’études insuffisantes, ce qui oblige 50 pour cent des étudiants, ceci étant la moyenne en France, à faire des petits boulots pour survivre.

Finalement, une centaine d’étudiants ont été autorisés à discuter avec Macron des énormes difficultés qu’ils rencontrent pour survivre. Une chercheuse a brandi une pancarte sur laquelle était écrit: «L’université vit une précarité qui tue», avant que le personnel de sécurité ne l’arrache.

Ceci était une référence à Anas K., un étudiant de 22 ans à Lyon, qui s'était immolé la semaine dernière pour protester contre le sort désespéré des étudiants. Le jeune est en soins intensifs et son corps est atteint à 90 pour cent de brûlures au troisième degré. La réaction de Macron jeudi a été d'affirmer qu’il avait «une pensée forte pour lui et tous les jeunes qui ont des difficultés.»

Par sa visite à Amiens, Macron tente de contenir la colère sociale grandissante en France et à l’international. Un mouvement de grève prévu pour le 5 décembre pour défendre les retraites, qui a débuté il y a quelques semaines sous forme d’une grève sauvage à la RATP de Paris, maintenant fait boule de neige dans tout le pays, et risque d’entraîner les étudiants dans le conflit. Le Parisien acité un ministre qui aurait déclaré: «Si les jeunes s’agrègent au mouvement, cela sera le début de vraies emmerdes.»

La cote de popularité de Macron n’est qu’à 36 pour cent, tandis qu’une majorité écrasante de la population soutien la grève du 5 décembre contre le président.

Cependant, lors de sa visite à Amiens, Macron n'avait rien d’autre que des platitudes à proposer aux étudiants sur la nécessité «d'investir dans notre jeunesse». Il s'est contenté du traitement réservé aux étudiants en France par rapport à celui d'autres pays, faisant l’éloge de la suppression par le gouvernement des 217 € de cotisations des étudiants à la Sécurité sociale.

Résumant ses sentiments de frustration à l'égard des travailleurs et des jeunes pour ne pas lui être suffisamment reconnaissant de sa politique de coupes sociales, il s'est plaint qu’«en ce moment notre pays est trop négatif sur lui-même» après une visite à un laboratoire qui a développé un projet de recherche sur des batteries à base de sodium-ions pour motoriser les transports en commun.

Pour terminer sa visite dans la ville, Macron a assisté au lancement au cirque Jules Vernes, d’Amiens en tant que Capitale de la jeunesse européenne de 2020, désignée par l'Union européenne. Encore une fois, l'événement était lourdement sécurisé et les participants triés sur le volet.

Macron a également visité le quartier ouvrier local d'Amiens Nord, dévasté par un taux de chômage supérieur à 20 pour cent. En dépit de sa bain de foule, les habitants du quartier interrogés à la télévision n’ont pas été impressionnés par son projet favori qui consiste à centraliser les administrations locales partout en France, dans un bâtiment appelé France Services, facilitant ainsi l’accès aux services publics. Pour beaucoup d’habitants, le but de la visite était d'appuyer sa candidate locale, Brigitte Fouré, aux élections à la mairie, et ils pensaient que cela ne changerait rien dans leur vie quotidienne.

(Article paru en anglais le 26 novembre 2019)

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