Le président sri-lankais suspend le Parlement pour tenter de consolider son pouvoir

Un mois à peine après son élection et la mise en place rapide d’un gouvernement minoritaire, le Président sri-lankais, Gotabhaya Rajapakse a publié, le 2 décembre, un avis de suspension du Parlement pour un mois, jusqu’au 3 janvier. Il s’agit clairement d’un acte antidémocratique de Rajapakse, qui vise à s’emparer de tous les pouvoirs gouvernementaux et à renforcer ainsi sa main contre la classe ouvrière, ainsi que ses rivaux politiques.

La fermeture temporaire du Parlement par suspension est une pratique courante, mais cette suspension d’un mois va bien au-delà. De plus, si son gouvernement ne parvient pas à obtenir la majorité au Parlement d’ici le 3 janvier par diverses manœuvres d’arrière-boutique, Rajapakse est susceptible de le suspendre à nouveau jusqu’à ce qu’il puisse le dissoudre complètement en mars.

Bien que le mandat de cinq ans du parlement actuel ne se termine qu’en août prochain, Rajapakse veut utiliser ses pouvoirs présidentiels pour dissoudre le parlement et tenir des élections anticipées. Il espère ainsi d’obtenir une majorité pour consolider son gouvernement avant que l’opposition populaire ne s’intensifie.

Aussitôt après avoir prêté serment le mois dernier, quelques jours après l’élection présidentielle du 16 novembre, Rajapakse a intimidé Ranil Wickremesinghe, le chef du Parti national unifié (UNP), le parti des grandes entreprises proaméricaines. Il l’a forcé à quitter ses fonctions de Premier ministre et a nommé à sa place son frère, Mahinda Rajapakse, ancien Président.

Les manœuvres autoritaires de Rajapakse s’inscrivent dans une crise politique de plus en plus profonde. Son administration fait déjà face à une reprise des grèves et des luttes ouvrières, que les syndicats ont interrompu pendant la campagne électorale, conformément aux directives du commissaire électoral. Des milliers de travailleurs des plantations se sont joints aux grèves la semaine dernière, en raison de l’augmentation de la charge de travail ou du non-paiement des augmentations salariales promises.

Depuis l’année dernière, les travailleurs sri-lankais et les pauvres ont participé à des grèves de masse et à des manifestations contre l’imposition des mesures d’austérité du Fonds monétaire international (FMI). C’était la plus grande vague d’arrêts de travail depuis qu’un précédent gouvernement de l’UNP a écrasé une grève générale en 1980.

Cette recrudescence, qui s’inscrit dans le cadre d’une résurgence mondiale des luttes ouvrières, s’est accompagnée d’une grève de 11 jours en décembre dernier par des centaines de milliers de travailleurs des plantations. Ils ont exigé une augmentation de salaire de 100 pour cent. Toutefois, ils se sont fait trahir par les syndicats, qui ont imposé une augmentation dérisoire de 30 rupes (un euro = 200 rupes).

Malgré toutes ses fausses promesses électorales sur l’amélioration des conditions de vie des travailleurs et des travailleurs ruraux, Rajapakse devra mettre en œuvre les diktats du FMI, ce qui va inévitablement intensifier les troubles. Ses actions sont un avertissement sur les mesures dictatoriales que son régime va prendre pour tenter d’écraser les luttes croissantes de la classe ouvrière.

Le gouvernement américain a également mis Rajapakse en demeure de ne pas s’écarter de la politique étrangère proaméricaine adoptée par Wickremesinghe et l’ancien président, Maithripala Sirisena. En 2015, Washington avait aidé à organiser l’élection de Sirisena à la présidence afin d’évincer Mahinda Rajapakse, que les États-Unis considéraient comme trop proche de la Chine.

En octobre-novembre 2018, l’Administration Trump avait ensuite soutenu Wickremesinghe lorsqu'il c'était opposé à une tentative de Sirisena de le licencier de son poste de Premier ministre afin de faire place à Mahinda Rajapakse.

Bien que Gotabhaya Rajapakse ait remporté l’élection présidentielle de cette année et que les médias le décrivent comme ayant un « mandat » solide, il n’a obtenu que 52 pour cent des voix. Une grande partie de la population, en particulier les tamouls et les musulmans, a voté contre lui. Ces derniers craignaient un retour à la répression violente qu’il a menée en tant que ministre de la défense sous la présidence de son frère. Beaucoup ont voté pour l’UNP, la considérant comme un « moindre mal », mais l’UNP est également imprégnée du chauvinisme cinghalais qui est utilisé pour diviser les masses ouvrières.

Le Sri Lanka Podujana Peramuna (SLPP) des frères Rajapakse reste minoritaire au parlement, qui est contrôlé par l’UNP. Avant de convoquer à nouveau le Parlement le 3 janvier, le régime Rajapakse cherchera à réunir une majorité en cherchant par différents moyens à obtenir des défections parlementaires en sa faveur. Cela passera aussi par les pots-de-vin, l’intimidation et les menaces. Le parlement sri-lankais a une réputation qui n'est plus à faire pour ce genre de marchandages.

Le président Rajapakse vise à mettre en place un gouvernement autoritaire en obtenant une majorité des deux tiers lors d’élections générales anticipées. Cela pourrait lui permettre d’abroger le 19e amendement à la Constitution, adopté en 2015, qui transférait certains des pouvoirs étendus de la présidence exécutive à un Conseil constitutionnel et limitait un président à deux mandats.

Rajapakse a accordé une interview à l’Hindou lors d’une récente visite en Inde. Il a déclaré : « Le 19e amendement est un échec et si nous obtenons une majorité des deux tiers au Parlement, nous le supprimerons de la Constitution ». Il a ajouté: « Pour qu’un pays soit gouverné avec succès, On doit avoir de la stabilité. Ce n’était pas le cas sous le gouvernement Sirisena-Wickremesinghe, où ils se battaient tout le temps. Le résultat était que le pays ne développait plus. Sans stabilité, les investisseurs ne viendront pas ».

C’est pourquoi Rajapakse a souligné l’importance d’un gouvernement « stable » afin de faciliter l’investissement étranger. Cela passe par la suppression de l’opposition populaire aux conditions de travail, aux salaires de misère exigés par les entreprises et les financiers du monde entier.

La suspension du Parlement fait suite à d’autres mesures antidémocratiques prises par Rajapakse. Il a poursuivi la mobilisation de l’armée, de la marine et de l’aviation, au nom du maintien de « l’ordre public », à la suite des mesures déjà prises par Sirisena et Wickremesinghe.

Plusieurs incidents survenus le mois dernier rappellent l’administration de Mahinda Rajapakse de 2005 à 2015. Juste après l’élection présidentielle, la police a fait une descente dans les bureaux de certains sites Web qui avaient prétendument soutenu la campagne électorale de l’UNP. Ces raids sont un nouvel avertissement des mesures répressives que va prendre le gouvernement Rajapakse.

Par ailleurs, la suspension du Parlement a entraîné la dissolution de plusieurs commissions parlementaires, dont la Commission des entreprises publiques (CoPE), qui est chargée de surveiller les irrégularités financières dans le secteur public. Rajapakse a suspendu le Parlement à la veille du dépôt d’un rapport du CoPE sur une arnaque aux obligations de la banque centrale qui a commencé sous la présidence de Mahinda Rajapakse.

(Article paru d’abord en anglais le 6 décembre 2019)

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