Julian Assange s’est vu refuser l’accès à ses avocats et à des preuves essentielles dans l'affaire de son extradition aux États-Unis

Le fondateur de WikiLeaks, Julian Assange, a comparu par vidéoconférence hier à la Westminster Magistrates Court à Londres pour une brève audience administrative. La procédure d’une demi-heure confirme que la justice anglaise bafoue les droits juridiques fondamentaux d’un journaliste d’investigation d’un renommée mondiale lors d’un processus qui équivaut une restitution extraordinaire.

Assange a comparu pour la dernière fois devant le tribunal de première instance de Westminster le 21 octobre. Il est en détention provisoire à la prison de haute sécurité de Belmarsh, en attendant les audiences d’extradition américaines qui doivent commencer en février prochain. Assange s’est fait inculper en vertu de la loi américaine sur l’espionnage et risque une peine de 175 ans de prison pour avoir dénoncé des crimes de guerre américains en Irak et en Afghanistan.

Il était dans un état visiblement pire qu’à sa dernière comparution en cour, semblant agité, fatigué et abattu. Des témoins dans la tribune publique ont convenu que sa santé semblait s’être détériorée davantage. Naomi Colvin, de «Bridges for Freedom», a plus tard tweeté qu’Assange était «visiblement déprimée, les épaules affaissées. Il avait les bras croisés, les mains dans les manches.»

L’audience a commencé par la lecture à haute voix du nom et de la date de naissance d’Assange par le greffier du tribunal, qui lui a demandé de confirmer leur exactitude. Ensuite, le greffier a demandé à Assange de confirmer qu’il était «de nationalité suédoise». Assange l’a corrigé en disant qu’il était citoyen australien.

La juge de district Vanessa Baraitser a commencé l’audience en faisant référence aux plaintes de l’avocat de la défense d’Assange, Gareth Peirce. Il a expliqué que l’accès de son client à un avocat est insuffisant. Baraitser a affirmé qu’elle n’avait «aucun désir d’empêcher un avocat d’avoir un accès adéquat à son client». C’est clairement dans l’intérêt de la justice qu’ils le fassent ainsi.»

Ses actions ultérieures ont prouvé qu'il s'agissait d'un mensonge éhonté.

Baraitser a déclaré: «Ce que je peux faire et dire, c’est que ce serait utile pour le processus d’extradition que les avocats de M. Assange aient accès à leur client.» Cependant, elle a ensuite insisté, comme par le passé, sur le fait qu’elle n’avait «aucune juridiction sur le système pénitentiaire». Qu’elle ne pouvait exercer «aucune influence» sur les décisions du gouverneur de la prison de Belmarsh concernant les droits de visite des avocats d’Assange.

Peirce a contrecarré avec un précédent juridique. Il a noté qu’un juge qui présidait l’affaire récente d’un autre accusé à Belmarsh avait demandé au gouverneur d’accorder au défendeur une visite juridique. Comme Peirce l’a expliqué, des installations sont disponibles dans l’aile des soins de santé de Belmarsh pour des visites juridiques supplémentaires. La «carence de ce qui devrait être disponible» résulte du fait que le gouverneur a donné la priorité aux différentes utilisations de cet espace.

Baraitser n’a pas bougé. Elle a répété qu’elle avait «déclaré clairement en audience publique» que ce serait «utile» pour Assange d’avoir des contacts suffisants avec ses avocats: «À ce stade, c’est tout ce que je vais faire.»

Peirce est passé aux impossibilités pratiques d’assurer la défense d’Assange dans ces conditions. Baraitser a contré que l’équipe de la défense avait préparé un «résumé des questions» qu’elle avait l’intention de soulever dans les procédures futures. Cela comprenait quelque 20-25 témoins et des notes de bas de page détaillées en référence à d’autres éléments de preuve.

La date limite pour la présentation des preuves est le 18 décembre, et la prochaine audience de mise en état est prévue pour le 19 décembre. Toutefois, Peirce a expliqué qu’il n’a pas encore été en mesure de discuter du document ou de la preuve sous-jacente avec Assange. La prochaine date disponible pour une telle réunion à Belmarsh était le 18 décembre, les autorités carcérales lui donnant moins d’une journée pour examiner les détails.

Étonnamment, Baraitser a demandé: «Êtes-vous d'accord pour dire qu'il est peut-être moins important que cette information soit examinée en détail avec votre client?»

Peirce a répondu que le document était «incroyablement détaillé… essentiel et intégral… On a acquis récemment certains éléments de preuve. D’autres font l’objet des mois d’enquête pas toujours dans ce pays, dont [Assange] n’est pas au courant du tout en raison du blocage des visites.»

«Malgré tous nos efforts, M. Assange n’a pas reçu ce qu’il devait recevoir, et nous faisons de notre mieux pour éliminer le blocage.»

Baraitser a répondu qu’elle espérait qu’ils pourraient «servir au moins une partie de la preuve» et conclure leurs discussions le 18 décembre.

La liaison vidéo a été interrompue sans qu’Assange n’ait eu la possibilité de poser d’autres questions.

Baraitser a demandé si ce serait utile qu’Assange comparaisse en personne devant le tribunal le 19 décembre. Peirce a répondu qu’elle devrait en discuter avec son client puisque c’était un «voyage difficile et claustrophobe» depuis Belmarsh. Sa réponse souligne les conditions dégradantes endurées par Assange. Avant sa dernière comparution à la cour, il a fait l’objet d’une fouille à nu à son arrivée et il s’est fait enfermer dans une pièce décrite par les prisonniers comme la «boîte chaude».

Un jour après l’audience de gestion de cas prévue le 19 décembre, un juge espagnol interrogera Assange tant que témoin de la surveillance de l’ambassade de l’Équateur par la société espagnole UC Global. On a engagé une procédure pénale contre son propriétaire, David Morales, en Espagne.

Au nom de la CIA, UC Global a espionné les conversations tenues par Assange avec ses associés, et les discussions privilégiées avec ses avocats et médecins alors qu’il était en asile politique à l’ambassade. On a consulté illégalement les téléphones, les ordinateurs portables et les documents personnels des avocats et des journalistes.

Il s’agit là d’une violation flagrante du droit fondamental à une communication privilégiée avec son avocat et l’affaire d’extradition américaine aurait déjà dû être rejetée d’office.

Un précédent clair et direct existe à cet égard. Le président américain Richard Nixon a utilisé la loi sur l’espionnage pour poursuivre Daniel Ellsberg pour avoir publié les documents du Pentagone qui dénoncent des actes criminels lors de la guerre du Vietnam. L’affaire s’est effondrée après que l’Administration Nixon eut révélé qu’elle avait supervisé des activités illégales d’espionnage lors de consultations entre le lanceur d’alerte et ses médecins.

Aujourd’hui, la classe dirigeante s’est même débarrassée de ces principes juridiques les plus élémentaires. L’affaire Ellsberg et ses révélations sur la guerre du Vietnam ont ouvert la voie à ce que l’on a appelé le «syndrome du Vietnam», une vaste hostilité populaire aux interventions militaires américaines. WikiLeaks a fait à peu près la même chose en dénonçant les crimes de guerre en Afghanistan et en Irak.

Avec leur traitement d’Assange, la classe dirigeante espère établir le précédent inverse: une éviscération des droits démocratiques et la destruction des leveurs d’alerte, des journalistes et des éditeurs opposés à ces guerres. Ceci pour ouvrir la voie à de nouveaux conflits, encore plus catastrophiques.

La séance d’hier, d’une demi-heure, s’est déroulée quelques heures seulement après l’élection générale britannique qui a donné un gouvernement conservateur. Le Premier ministre Boris Johnson dirige le gouvernement de droite la plus extrême de l’histoire britannique moderne. Sa «relation spéciale» avec l’Administration Trump l’a vu saluer l’expulsion brutale d’Assange de l’ambassade équatorienne le 11 avril. À l’époque il a écrit: «C’est juste que Julian Assange soit enfin jugé. Crédit aux fonctionnaires de @foreignoffice. Ils ont travaillé sans relâche pour obtenir ce résultat.»

(Article paru d’abord en anglais le 14 décembre 2019)

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