L'accord entre les États-Unis et la Chine marque une nouvelle étape dans la guerre commerciale mondiale

L'administration Trump revendique une victoire dans sa guerre commerciale mondiale dans la poursuite de son programme «America First» visant à inverser le déclin à long terme de la puissance économique américaine.

L'approbation par le Congrès de l'accord États-Unis-Mexique - Canada (USMCA), qui n'a été possible que grâce au soutien crucial des démocrates et des syndicats dans le cadre de la procédure de destitution contre Trump, et l'accord de principe pour un accord commercial avec la Chine dans sa «première phase» ont attiré l'attention des médias. Mais à plus long terme, l'action américaine qui a permis la semaine dernière de faire échouer les procédures de règlement des différends de l'Organisation mondiale du commerce (OMC), qui compte 164 membres, est probablement la plus importante.

Après des années d'objections à l'encontre des décisions de l'OMC comme constituant une «portée excessive» et une violation des lois américaines, qui ont commencé sous l'administration Obama et se sont intensifiées avec l'arrivée au pouvoir de Trump, le refus des États-Unis de soutenir la nomination de nouveaux juges à l'organe d'appel de l'organisation a entraîné un arrêt des activités de l'organisation la semaine dernière.

L'action par rapport à l'OMC n'a pas seulement entravé les procédures de règlement des différends commerciaux. Elle pourrait bien porter un coup fatal au fonctionnement de l'organisation créée en 1995 pour remplacer l'Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT), mis en place après la Seconde Guerre mondiale pour éviter une répétition des guerres commerciales désastreuses des années 30.

Dans l'émission Face the Nation de CBS dimanche, le représentant américain au commerce Robert Lighthizer a déclaré: «Vendredi a probablement été le jour le plus important de l'histoire du commerce.»

Alors que Lighthizer avait à l'esprit l'accord avec la Chine, ses remarques ont une signification plus large. Elles sont survenues à la fin d'une semaine qui a vu une nouvelle désintégration du système commercial multilatéral de l'après-guerre et l'accélération d'un processus où les États-Unis cherchent à utiliser leur pouvoir sur le marché pour dicter leurs conditions à leurs concurrents commerciaux.

Mais tout comme leurs guerres et leurs interventions militaires continues au cours des 30 dernières années n'ont pas réussi à ramener les États-Unis à leur position passée, les «victoires» sur le front commercial peuvent s'avérer tout aussi creuses.

Avant même que tous les détails de l'accord entre les États-Unis et la Chine ne soient rendus publics, le mois prochain, des doutes considérables ont été exprimés quant aux affirmations des États-Unis selon lesquelles cela entraînera une relance immédiate des exportations agricoles et une augmentation importante des exportations vers la Chine en général.

Lighthizer a déclaré aux journalistes que la Chine s'efforcerait d'augmenter ses achats totaux de produits agricoles américains à environ 40 à 50 milliards de dollars au cours des deux prochaines années dans le cadre d'un programme global visant à augmenter ses exportations vers la Chine de quelque 200 milliards de dollars.

Il a dit à CBS, «nous avons une liste qui comprendra: la fabrication, l'agriculture, les services, l'énergie... Il y aura un total pour chaque [catégorie].»

Trump a qualifié l'accord de «phénoménal» et a affirmé que «les agriculteurs devront acheter des tracteurs beaucoup plus gros parce que cela représente beaucoup d'affaires, beaucoup beaucoup d'affaires.»

Ces affirmations sont démenties par les faits et les chiffres. Selon le Wall Street Journal, les exportations agricoles américaines vers la Chine «n'ont été que de 10 milliards de dollars au cours des dix premiers mois de 2019, contre environ 20 milliards de dollars en 2017 avant le début de la guerre commerciale» et «on ne sait même pas comment elles pourraient atteindre 40 milliards de dollars.»

Dans une déclaration publiée vendredi, l'American Farm Bureau Federation a noté que la Chine «est passée du deuxième plus grand marché pour les produits agricoles américains au cinquième plus grand depuis le début de la guerre commerciale.»

La réaction de Beijing à l'accord commercial contraste nettement avec le battage médiatique qui émane de Washington.

Ning Jizhe, vice-chef de la Commission nationale chinoise pour le développement et la réforme, a déclaré que la Chine «accroîtrait ses achats de produits agricoles américains de qualité et compétitifs sur le marché» et que des chiffres précis seraient publiés à une date ultérieure. La référence aux prix est importante parce que la Chine a soutenu qu'en augmentant ses achats de produits américains aux niveaux exigés par Washington, elle risquait de violer les règles de l'OMC sur le commerce international.

Joseph Glauber, ancien économiste en chef au ministère américain de l'agriculture, a déclaré au Financial Times que les détails de ce que la Chine avait accepté d'acheter restaient «très obscurs» et que les engagements de Beijing à augmenter ses achats pourraient attirer l'attention d'autres pays qui pourraient se demander «si les produits américains ont reçu un accès préférentiel garanti» en violation des règles commerciales internationales.

C'est une question importante parce que la Chine cherche à se présenter comme un défenseur du système commercial international par opposition aux États-Unis et veut faire en sorte que Washington ne soit pas capable de mobiliser d'autres grandes puissances contre elle.

Brian Kuehl, codirecteur exécutif de Farmers for Free Trade, un groupe de pression opposé aux tarifs douaniers, a déclaré au Wall Street Journal: «Il y a à juste titre de nombreux doutes sur l'affirmation du président selon laquelle la Chine achètera 50 milliards de dollars de produits agricoles en une seule année, soit plus de deux fois le niveau des achats annuels d'avant la guerre commerciale.»

Tout en affirmant que des concessions majeures ont été faites par la Chine, Washington a offert peu de choses en retour. La menace d'imposition de droits de douane sur des marchandises chinoises d'une valeur d'environ 156 milliards de dollars à partir du 15 décembre a été suspendue et le droit de 15 % sur des produits d'une valeur de 110 milliards de dollars, imposé au début de septembre, a été réduit à 7,5 %. Mais les droits de douane de 25 % imposés sur des marchandises d'une valeur de 250 milliards de dollars restent en vigueur, malgré les efforts acharnés de la Chine pour les faire reculer dans une certaine mesure.

Le vice-ministre chinois du Commerce, Wang Shouwen, l'un des principaux négociateurs commerciaux, a déclaré que les États-Unis avaient accepté de supprimer les droits de douane restants «par étapes». Toutefois, il a été contredit par Lighthizer, qui a déclaré qu'il n'y avait pas d'accord de ce genre et que toute réduction supplémentaire serait envisagée dans les phases ultérieures des négociations.

Il n'y a aucun détail sur la date à laquelle de telles négociations pourraient avoir lieu, qui couvriraient les demandes américaines d'une action chinoise sur les subventions aux entreprises d'État et les plans de la Chine pour améliorer son développement industriel et technologique, les deux étant considérés par les États-Unis comme une menace pour sa domination économique et, finalement, militaire.

Les tarifs douaniers américains à l'encontre de la Chine sont en grande partie restés en place, conformément à l'insistance de Washington, dès le début du conflit, sur la nécessité d'établir une sorte de mécanisme «d'application» pour assurer la conformité de la Chine aux exigences américaines.

Selon Lighthizer, les deux parties avaient convenu d'un système de consultations en cas de différend. Si aucun accord n'a pu être trouvé, les deux parties avaient la possibilité de réimposer des mesures tarifaires punitives.

L'une des principales préoccupations des entreprises américaines tout au long du conflit commercial est qu'il crée un degré élevé d'incertitude, ce qui a une incidence sur les décisions concernant l'investissement et l'établissement des chaînes d'approvisionnement. Cette incertitude subsistera parce que les tarifs peuvent être augmentés à tout moment.

Et l'accord de la «phase un» suscite déjà l'opposition des faucons anti-Chine qui le considèrent comme ne s'attaquant pas à ce qu'ils considèrent comme la question clé - la montée de la Chine en tant que puissance industrielle et technologique qui remet en question la domination des États-Unis.

Exprimant ces opinions, largement partagées dans les milieux militaires et du renseignement, le sénateur démocrate américain Charles Schumer a déclaré: «Au début, le président Trump semblait être le premier président à oser relever ce défi, mais aujourd'hui, selon les rapports, il s'est vendu pour une promesse temporaire et peu fiable de la Chine d'acheter du soja.»

Dans un éditorial paru dimanche, le Washington Post a qualifié l'accord commercial de «pas tout à fait une victoire», soulignant l'absence de précisions de Beijing sur l'ampleur des nouveaux achats de produits agricoles américains par la Chine, et décrivant les chiffres de l'administration comme «peu plausibles» et «une dislocation potentiellement énorme des marchés mondiaux de matières premières.»
L'éditorial a également pris note de la décision de Trump de permettre à l'agence de règlement des différends de l'OMC de cesser ses activités, affirmant qu'elle «confirme en outre que M. Trump envisage une lutte commerciale essentiellement permanente non seulement avec la Chine mais avec le monde entier.»

(Article paru en anglais le 16 décembre 2019)

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