Le Parti de gauche allemand salue la nouvelle direction du SPD et sa grande coalition

L'élection de Norbert Walter-Borjans et de Saskia Esken à la tête du Parti social-démocrate allemand (SPD) a suscité une réponse de fête de la part des dirigeants du Parti de gauche.Katja Kipping, la co-dirigeante du Parti de gauche, a publié une déclaration officielle sur l’évènement: «Je félicite Saskia Esken et Norbert Walter-Borjans d'avoir remporté la direction du parti. Vous êtes face à la tâche de remettre sur pied la bonne vieille dame qu'est la social-démocratie.» Pour elle, le pays a besoin d'un «changement de direction sociale et économique bien sûr» et cela ne peut être réalisé que par «des majorités à gauche de la CDU/CSU.»

D'autres dirigeants du Parti de gauche se sont exprimés dans le même sens. Dietmar Bartsch, chef du groupe parlementaire du Parti de gauche, a écrit sur Twitter: «Félicitations à Saskia Esken et Norbert Walter-Borjans! Meilleurs vœux à vous et au SPD dans cette nouvelle ère! Faites en sorte que cela compte, camarades!»

L'ancien chef de groupe parlementaire et porte-parole éminente du parti, Sahra Wagenknecht, a déclaré dans un entretien au quotidien de droite Die Welt : «J'étais heureux, car le résultat montre qu'il y a toujours de la vie au SPD et que ses membres ne sont pas disposés à regarder passivement pendant qu’il se met à dos de grandes parties de sa base d’électeurs en raison de l'absence de profil et des mauvaises politiques.»

Elle a exprimé ses espoirs «qu’avec les nouveaux dirigeants, le SPD reviendra aux politiques sociale-démocrates classiques. Cela signifie adopter des politiques pour la classe moyenne menacée de déclin social et les pauvres, pour plus de cohésion sociale et moins d'inégalités. Ensuite, le SPD aurait la chance de reconquérir des électeurs qui ont tourné le dos à tout le camp de gauche ces dernières années.»

L'effort du Parti de gauche pour présenter Esken et Walter-Borjans comme des militants pour un «camp de gauche» qui lancera une nouvelle ère de social-démocratie est manifestement absurde. Aujourd'hui, le SPD est un parti bourgeois de droite qui est associé, plus que presque tout autre, aux coupes sociales et au réarmement militaire, et est donc profondément méprisé par les travailleurs. Le congrès du parti SPD a clairement indiqué que cela ne changera pas sous la nouvelle direction.

Bien que Walter-Borjans et Esken aient déclaré dans leurs discours de campagne qu'ils renégocieraient le grand accord de coalition avec les démocrates-chrétiens et l'Union chrétienne-sociale et qu'ils mettraient même fin à la coalition si la CDU/CSU n'étaient pas prête à faire des concessions, ils avaient déclaré leur plein soutien au gouvernement de la grande coalition et à sa politique militariste anti-ouvrière au congrès du parti. À la fin du mois dernier, le SPD et la CDU/CSU ont adopté le budget présenté par le ministre des Finances Olaf Scholz (SPD), qui comprend des augmentations historiques des dépenses militaires et de profondes réductions des dépenses sociales.

Contrairement à la propagande officielle, Esken et Walter-Borjans ont toujours approuvé cette orientation.

En tant que ministre des finances dans le gouvernement du land de Rhénanie du Nord-Westphalie dirigé par le SPD entre 2010 et 2017, Walter-Borjans a supervisé un assaut majeur contre la classe ouvrière. Pour respecter le plafond sur l'endettement, il a mis en œuvre des mesures d'austérité de grande envergure, notamment une réforme du barème des salaires des travailleurs du secteur public jugée inconstitutionnelle.

Esken, membre du syndicat Verdi, qui a mené une longue carrière dans la politique locale dans le Bade-Wurtemberg, s'est révélée être une militariste intransigeante depuis son entrée au Parlement fédéral en 2013 en votant pour chaque déploiement militaire étranger de l'armée allemande.

L'accueil à bras ouvert de la nouvelle direction du SPD par le Parti de gauche en dit long sur son véritable caractère de parti bourgeois, qui ne représente pas les intérêts des travailleurs, mais de sections privilégiées de la classe moyenne et de l'État capitaliste. Kipping, Bartsch, Wagenknecht et cie soutiennent Esken et Walter-Borjans non pas malgré, mais plutôt à cause de leur politique de droite. Partout où le Parti de gauche exerce ses fonctions au niveau de l'État, il déporte les immigrants aussi impitoyablement que les autres partis, impose des réductions de dépenses budgétaires et des privatisations, et renforce le rôle de la police et de l’appareil sécuritaire. Sur les questions de politique étrangère, le Parti de gauche est depuis longtemps l'un des partisans les plus agressifs de l'impérialisme allemand.

Depuis que le Congrès américain a voté mercredi dernier pour imposer des sanctions aux entreprises impliquées dans l'oléoduc Nord Stream 2, le Parti de gauche demande sans cesse une ligne plus dure envers Washington. «Pour nous, il s'agit d'une intervention illégale et sans précédent des États-Unis dans la politique de l'Europe et de l'Allemagne», a déclaré Bartsch dans un communiqué de presse jeudi. De son point de vue, le gouvernement allemand «ne devrait pas "s'incliner" devant ces exigences et doit résister à ce "chantage".»

Ce que cela signifie a été clairement souligné par Oskar Lafontaine, le mari de Wagenknecht et fondateur du Parti de gauche, dans un commentaire sur sa page Facebook: «L'Allemagne doit avoir une politique étrangère souveraine et indépendante, ce qui signifie protéger les intérêts allemands, imposer des limites aux États-Unis et insistant auprès de la Russie sur le fait que la confiance mutuelle et le respect de la loi sont des conditions préalables à la mise en place d'une architecture de sécurité européenne incluant la Russie et à une coopération économique étroite.»

Dans un autre post, Lafontaine a déclaré sa solidarité avec le président français Emmanuel Macron. Sa demande, empruntée à Charles de Gaulle, pour une politique étrangère et de sécurité indépendante des États-Unis est «correcte», a-t-il dit. En fin de compte, l'OTAN n'est certainement «plus une alliance de défense, mais plutôt un instrument permettant aux États-Unis d'appliquer leurs politiques impériales avec l'encerclement de la Russie et de la Chine, et la conquête militaire des matières premières et des marchés», a écrit Lafontaine.

Il ne fait aucun doute que les États-Unis se préparent à une guerre contre la Russie et la Chine pour assurer sa main mise sur les marchés et les matières premières, mais l'impérialisme européen et allemand ne valent pas mieux. L'année dernière, Macron a clairement expliqué la tradition historique associée à son appel à une politique étrangère européenne indépendante. À l'occasion du 100e anniversaire de la fin de la Première Guerre mondiale, il a décrit qu'il était légitime d'honorer le général de la Première Guerre mondiale, dictateur fasciste et collaborateur nazi Philippe Petain.

Il est désormais clair que la construction d'une Union européenne sur la base du militarisme et de la guerre sera dirigée contre la montée de l'opposition sociale et politique interne. De manière significative, Lafontaine a salué la politique étrangère de Macron lorsque ce dernier mobilisait des policiers lourdement armés contre les travailleurs et les jeunes en grève en France. En tant que parti issu de l'État stalinien de l'ancienne Allemagne de l'Est et bureaucrates mécontents du SPD et de dirigeants syndicaux, le Parti de gauche craint la moindre opposition indépendante de la classe ouvrière comme la peste. Le développement de la lutte de classe internationale et la peur des grèves et des protestations poussent le Parti de gauche de plus en plus ouvertement dans les bras du SPD, et donc de la grande coalition et du militarisme allemand.

(Article paru en anglais le 17 décembre 2019)

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