La course à la direction du Parti travailliste britannique commence après son effondrement dans les élections générales

Le Parti travailliste doit élire un nouveau chef d'ici la fin mars, après sa débâcle lors des élections générales du 12 décembre. La compétition devrait commencer le 7 janvier, le lendemain de la prochaine réunion complète du Comité exécutif national du Parti travailliste.

Le chef du Parti travailliste Jeremy Corbyn doit se retirer à la suite d'une élection au cours de laquelle le Parti travailliste a perdu 60 sièges - dont beaucoup dans ses fiefs du nord - et les conservateurs en ont obtenu une majorité de 80 voix. La faction à Corbyn fait pression pour l'élection de Rebecca Long-Bailey, la secrétaire d’Etat aux entreprises du cabinet fantôme et députée de la circonscription de Salford et Eccles dans le nord, décrivant cela comme le moyen de préserver le supposé changement «à gauche» du Parti travailliste.

Le ministre des finances du cabinet fantôme et principal allié de Corbyn, John McDonnell, a déclaré son intention de quitter le cabinet fantôme et a nommé Long-Bailey comme sa candidate préférée pour préserver l'héritage politique de Corbyn. L'autre postulante possible du camp de Corbyn, Angela Rayner, a indiqué son intention de briguer le poste de cheffe adjointe. Long-Bailey et Rayner ne sont devenues députées qu'en 2015 et doivent leur position au cercle restreint de Corbyn plutôt que de jouir d'un réel soutien dans le parti.

Le caractère bidon de toutes les affirmations selon lesquelles il s'agit d'une compétition pour la direction du parti entre «gauche» et «droite» est démontré par le fait que les deux postulants de droite blairistes les plus éminents sont le secrétaire d’Etat du Brexit du cabinet fantôme de Corbyn, Sir Keir Starmer, et sa ministre des affaires étrangères du cabinet fantôme Emily Thornberry.

La véritable «continuité» qu'apporterait une victoire de Long-Bailey est celle d'une dirigeante superficiellement étiquetée de «gauche» servant de façade et apologiste d'un parti de droite aux intérêts de la grande entreprise et le militarisme impérialiste. Si elle perd au profit de Starmer ou Thornberry, cela ne fera que confirmer le véritable caractère du parti, quatre ans après que Corbyn a été élu avec un mandat populaire pour un changement.

Starmer a été interviewé mardi par le Guardian, qu’on a décrit comme son plate-forme électoral pour décrocher la direction, tandis que Thornberry a déclaré mercredi qu'elle serait candidate- la première députée à le faire.

Le deuxième député à déclarer sa candidature est Clive Lewis. En tant qu'officier d'infanterie diplômé de l’école militaire de Sandhurst, la plus élitiste, il a servi en Afghanistan en 2009. En tant que secrétaire d’Etat du cabinet fantôme de Corbyn, il a soutenu le renouvellement du système d'armes nucléaires Trident et s'est engagé à ce qu'un gouvernement travailliste respecte ses engagements envers l'OTAN, y compris ceux sous l’Article 5 qui prévoit de partir en guerre pour défendre un autre allié de l'OTAN. En tant que partisan fervent du maintien du Royaume-Uni dans l'Union européenne, Lewis était nommé secrétaire d’Etat aux Entreprises du cabinet fantôme travailliste, mais a démissionné en 2017 suite à la décision de Corbyn de soutenir le déclenchement de l'article 50 de la procédure pour quitter l'UE.

Les autres candidats susceptibles de tenter leur chance à la direction du parti sont tous de droite - la chasseuse de sorcières déclarée Jess Phillips, l'ancienne concurrente pour la tête du parti de Corbyn, Yvette Cooper et Lisa Nandy. En 2016, Nandy a participé à une conférence du groupe Blue Labour aux côtés de nombreuses figures de la droite, dont son fondateur, le lord travailliste Maurice Glasman, et Steven Woolfe, ancien député européen du Parti de l'indépendance du Royaume-Uni (UKIP - extrême-droite) de droite pour la circonscription nord-ouest de l'Angleterre.

Alors que les travailleurs devront faire face à l'assaut du gouvernement Johnson, une autre figure de la direction travailliste qui émigre vers de plus vert pâturages est Andrew Fisher — l'ancien directeur exécutif de la politique de Corbyn de 2016 jusqu'aux élections.

Dans un article du Guardian mardi, Fisher a présenté une évaluation élogieuse de l'avenir de la gauche travailliste. «Il y a beaucoup à critiquer. Mais Corbyn et McDonnell ont transformé le Parti travailliste», a-t-il déclaré, devenant lyrique sur le fait que « depuis que Corbyn a remporté la direction du Parti travailliste et nommé McDonnell ministre des finances fantôme, ils ont changé le Parti travailliste. Il est devenu un parti à l'aise avec le secteur public et la fiscalité plus équitable, et qui a parlé avec confiance de la fin de l'austérité, de la lutte contre le changement climatique, de l'augmentation des salaires et du niveau de vie et de l'investissement dans les services publics. Il a cessé de singer la rhétorique dressant "les bosseurs contre les fainéants" et a commencé à parler de la Sécurité sociale.»

Fisher a déclaré qu'après quatre ans au pouvoir, l'héritage de Corbyn était préservé et qu'une succession de gauche pourrait avoir lieu, car «la gauche compte maintenant des milliers d'organisateurs talentueux, de responsables politiques, de créatifs et, oui, de bureaucrates capables de gérer les choses. Jeremy et John ont rendu cela possible.»

De qui Fisher se moque-t-il?

Corbyn n'a rien changé au cours de son mandat de quatre ans. Après avoir battu ses adversaires blairistes lors de la course à la direction de 2015 - avec le soutien de centaines de milliers de membres et de partisans du Parti travailliste, sur la base de sa prétendue opposition à l'austérité et à la guerre - Corbyn a trahi ce mandat.

Il a non seulement refusé de chasser les blairistes, mais s'est opposé à ceux qui ont essayé de le faire, laissant les blairistes chasser ses propres partisans et alliés les plus proches en dehors du parti en utilisant des allégations fausses d'antisémitisme.

Il a abandonné rapidement son opposition à l'austérité, chargeant les municipalités travaillistes - qui avaient déjà procédé à des milliards de suppressions d'emplois et de services publics - de continuer à imposer les mesures d'austérité des conservateurs. Lors des deux élections générales auxquelles il a été candidat, Corbyn a adopté un plate-forme militariste, avec des promesses d'augmenter les dépenses de défense d'au moins les 2 pour cent exigés par l'OTAN et de renouveler le système d’armes nucléaires britanniques Trident.

Long-Bailey serait, tout au moins, un outil plus disposé et plus malléable de l'appareil du parti que Corbyn. En tant que secrétaire d’Etat du cabinet fantôme aux entreprises, Corbyn et McDonnell l'ont choisie pour participer à leurs côtés pendant six semaines aux pourparlers sur le Brexit avec le gouvernement conservateur de Theresa May en crise terminale en réponse à l'appel désespéré de May pour des discussions sur «l'unité nationale» afin de «préserver l'intérêt national»

Ces pourparlers ont servi pour appuyer May jusqu'à ce qu'elle soit forcée de démissionner pour être remplacée par Johnson.

Ancienne notaire qui joue sur ses origines dans la classe ouvrière, les prétentions de Long-Bailey d’être en quoi que ce soit différente des blairistes ont déjà été démasquées avant même qu'elle n’accède aux fonctions officielles.

Selon le Jewish Chronicle, au plus fort de la campagne antisémite de l'été dernier, Long-Bailey a rencontré des responsables du Mouvement travailliste juif anti-Corbyn à Manchester. Le Jewish Chronicle déclare que leur discussion comprenait un énoncé par Long-Bailey selon lequel elle soutenait l'expulsion du député travailliste Chris Williamson - membre du Parti travailliste depuis 44 ans et fervent partisan de Corbyn - sur la base de fausses allégations selon lesquelles il aurait fait des commentaires antisémites. Un article daté du 1er juillet titrait: «Rebecca Long-Bailey, désignée comme la prochaine dirigeante travailliste, dit que Corbyn a perdu la confiance de la communauté juive», déclare qu'elle a déclaré au «vice-président national du Mouvement travailliste juif Stephane Savary et à la présidente du nord-ouest du parti Dena Rynes qu'elle croyait que M. Williamson ne devrait pas être membre du parti travailliste et qu'elle ne savait pas pourquoi il n'avait pas déjà été expulsé.»

Corbyn a assisté à une réunion du groupe parlementaire du Parti travailliste mardi soir pour subir une humiliation rituelle. Un homme sans une once de combat politique dans son corps, Corbyn s'est excusé auprès des blairistes, dont certains sont maintenant privés de leurs sièges parlementaires, les mêmes qui n'ont fait que comploter son départ pendant quatre ans.

«Je suis vraiment désolé du résultat [des élections] dont la responsabilité m’incombe, a-t-il déclaré. «Je veux que nous ayons la transition la plus tranquille possible pour le parti dans son ensemble.»

Corbyn gardait le silence tandis que les va-t-en guerre pro-austérité se relayaient pour le dénoncer. Le blairiste Rachel Reeves a déclaré: « Le plus grand frein à notre soutien électoral c’était vous», suivie d'autres qui emboîtaient le pas, notamment Jess Phillips, Stella Creasy, Liz Kendall - un acolyte de Blair que Corbyn a battu lors du vote pour la tête du parti en 2015, et Dame Margaret Hodge, qui avait notoirement traité Corbyn, face à-face, de «putain d'antisémite et de raciste.

Creasy, Kendall et Hodge figuraient parmi les 66 députées travaillistes qui ont voté au Parlement pour le bombardement de la Syrie après que Corbyn leur a permis de voter selon leur conscience, moins de trois mois après son élection à la tête du parti travailliste.

Tout en se prosternant devant les blairistes, Corbyn n'a pas donné d'explications devant la classe ouvrière pour son mandat désastreux, ce qui a conduit à un gouvernement de droite extrême à l’image de celui de Mme Thatcher, dirigé par Boris Johnson. Au lieu de cela, il a publié une vidéo lundi avec le message: «À ceux qui se sentent découragés et qui ont envie d'abandonner, je leur dis de rester et de lutter pour une société meilleure. Et à ceux qui ne nous ont pas encore rejoints ; rejoignez le Parti travailliste aujourd'hui.»

La classe ouvrière n'a pas de parti pris dans la lutte pour la direction du Parti travailliste. La question centrale pour les travailleurs n'est pas de choisir son camp pour diriger ce parti pourri, pro-capitaliste, en plein déconfiture, mais d'en construire un autre, véritablement socialiste.

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(Article paru en anglais le 21 décembre 2019)

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