La famille royale britannique déchirée par un conflit entre factions

La division entre la famille royale d'un côté et le prince Harry et sa femme Meghan de l'autre est un spectacle dégradant.

Les médias sont inondés de commentaires largement hostiles sur la façon dont un couple dont le mariage - impliquant une Américaine de «double héritage» - aurait pu propulser la monarchie dans le 21e siècle, s'est avéré être un mariage entre des ingrats égoïstes qui ont mis la reine dans un situation terrible.

La réunion de lundi à Sandringham entre Harry, la reine, le prince Charles et le prince William s'est terminée par une annonce que le monarque «soutenait le désir de Harry et Meghan de créer une nouvelle vie» et qu'une «période de transition» allait maintenant commencer.

Cette déclaration ne résoudra rien sur le fond. La famille royale reste si amèrement divisée que la survie future de la monarchie a été remise en question.

Harry et Meghan ont présenté un cahier de doléances, certaines de caractères manifestes et d’autres insinuées, pour justifier leur décision de «prendre du recul en tant que membres "éminents" de la famille royale.» Celles-ci sont axées sur leur traitement par un média vénal, à la fois intrusif et intrinsèquement raciste envers Meghan Markle, et les suggestions selon lesquelles les relations avec le prince William, Kate et les autres membres de la famille sont «toxiques».

Après avoir déclaré plus tôt qu'il ne supporterait pas que sa femme soit traitée comme sa mère, Harry a décidé qu'il n'était plus disposé à continuer de jouer son rôle. Cela semble être fondé sur des calculs selon lesquels les récompenses financières liées à ce rôle font pâle figure en comparaison avec l'argent à brasser lorsque les activités commerciales sont libérées des contraintes imposées sur les membres «éminents» de la famille royale.

Le site Web du couple, sussexroyal.com, présente une explication de leurs efforts supposés pour «se tailler un nouveau rôle progressiste au sein de cette institution», qui souligne une détermination à «devenir financièrement indépendante, tout en continuant à soutenir pleinement Sa Majesté la Reine.»

En pratique, cela signifie privatiser en partie leur rôle royal pour profiter de la marque «Sussex Royal».

Les atouts listés de Harry et Meghan à l’attention des employeurs / investisseurs potentiels sont répertoriés comme faisant la promotion de «communautés sous toutes leurs formes - de personnes, de géographies, d'ethnicité, de sexe et de groupes socio-économiques variés», Meghan ayant la mission supplémentaire de «l’émancipation des femmes et des filles».

En ce qui concerne leur revenu, le couple «s'efforcera de devenir financièrement indépendant», par lequel ils précisent de ne plus profiter de la «subvention souveraine», l'argent de l'État dont ils se plaignent qu’il «ne couvre que cinq pour cent des coûts pour le duc et la duchesse». Ils conserveront leur argent provenant du domaine privé du duché de Cornouailles du prince Charles, d'un milliard de livres sterling, qui finance les 95 pour cent restants de leurs activités, pour un coût de 5 millions de livres sterling.

Ils veulent également conserver l'accès au Frogmore Cottage à Windsor comme base au Royaume-Uni, rénové l'an dernier à un coût de 2,4 millions de livres sterling à la charge des contribuables, et pour que l'État continue de garantir leur sécurité au Royaume-Uni et dans leur nouveau foyer d'adoption au Canada. Les voyages internationaux seront également payés par l'État, un forfait d'une valeur de plus d'un million de livres sterling par an.

Cette prétendue «indépendance financière» laisse les Sussex libres de déployer leurs ailes commerciales. Le couple a breveté la marque «Sussex Royal» au Royaume-Uni en juin dernier, sur 100 articles, notamment des livres, des calendriers, des blocs-notes, des vêtements, des campagnes de financement d’associations caritatives.

Ils cherchent maintenant à déposer la marque en tant que marque mondiale. Les estimations de ce qui peut être gagné varient considérablement, allant de 500 000 de livres par an à 500 millions de livres. Les invitations à faire des conférences aux États-Unis à elles seuls peuvent rapporter 500 000 dollars l’engagement. Meghan peut renouveler ses recommandations de lignes de vêtements et a déjà accepté une voix-off pour un dessin animé Disney, initialement pour une œuvre caritative.

Des comparaisons ont été faites entre Harry et Edward VIII et entre Meghan et Wallis Simpson. À première vue, la crise actuelle n'est pas celle de la gravité de la crise d'abdication de 1936. Harry n'est que sixième en lice pour le trône et aurait toujours à accepter le rôle de «rechange» à l '«héritier», William. Bien que Meghan soit, comme Wallis Simpson, une divorcée américaine, elle a été baptisée dans l'Église d'Angleterre par l'archevêque de Canterbury et a épousé Harry à la chapelle Saint-Georges du château de Windsor.

Plus important encore, Simpson était une espionne des nazis qui exploitait les sympathies d'Edward pour Hitler, ce qui menaçait de discréditer une monarchie qui avait exprimé son soutien aux nazis tout au long des années 1930 et forçant son remplacement par son frère cadet, George VI.

Néanmoins, si banales que soient les questions immédiates en jeu, la décision des Sussex met en évidence des tensions de longue date et non résolues qui remontent à la mort de la mère de Harry, Diana, en août 1997 à Paris. Elle décéda dans un accident de voiture alors qu'elle était poursuivie par la presse à la suite de son divorce difficile avec Charles. Ces tensions ont failli faire couler toute «l'entreprise». Aujourd'hui, elles réapparaissent au milieu d'une crise plus générale, non seulement de la famille royale, mais de toutes les grandes institutions de l'État britannique.

Après son mariage avec Charles en 1981, Diana était censée apporter une touche de glamour à l'institution fatiguée de la monarchie dans le but de s’adapter au climat «yuppie» incarné par le gouvernement Thatcher de l'époque. En échange, elle était censée garder le silence pendant que Charles poursuivait sa liaison avec Camilla Parker-Bowles.

Ce plan a échoué parce que Diana a pu exploiter ses liens avec les couches de super riches nouvellement dominantes associées à la mondialisation économique pour contester le pouvoir de la monarchie comme l'incarnation du privilège héréditaire, que les nouveaux riches considéraient avec dédain. Elle a également utilisé les médias pour cultiver le soutien populaire en exploitant une hostilité confuse envers «l'establishment».

La mort de Diana a provoqué une opération de sauvetage politique prolongée qui commença sous le Parti travailliste de Tony Blair, mais qui n'a semblé vraiment porter ses fruits que lorsque le fils aîné de Diana, William, ait épousé la «roturière» Kate Middleton en 2011 et ensuite fournit un héritier, George, en 2013.

Harry, un cas plus problématique, a été recyclé comme philanthrope mondial après s'être déshonoré plus tôt en se déguisant en nazi pendant une fête et en faisant des commentaires racistes pendant son service dans les forces armées. Son mariage avec Markle était censé enterrer ce passé troublé et permettre à la monarchie d’endosser l’allure d’une entité populaire. Cela devait permettre à la reine, maintenant âgée de 93 ans, de céder la place à son fils de 71 ans, Charles, pour un bref intermède avant que William ne monte sur le trône.

Ces projets étaient déjà en difficulté avant qu'Harry ne cherche à se libérer de la dynastie de Windsor en utilisant ses contacts et ceux de Meghan avec l'élite mondiale, y compris les Obamas et Oprah Winfrey aux États-Unis. Leur déclaration récente est intervenue quelques mois seulement après que l'oncle de Harry, le prince Andrew, ait été contraint de quitter ses fonctions officielles à cause de ses liens avec le milliardaire responsable d’agressions sexuelles et de proxénétisme Jeffrey Epstein. Le financier américain aurait procuré des filles mineures au prince et à d'autres célébrités avant sa mort suspecte dans une cellule de la prison de New York en août de l'année dernière.

La fonction essentielle de la famille royale en tant que représentant du pouvoir de l'État britannique a rendu ses membres avides particulièrement sensibles au chant des sirènes d'une élite mondiale dont la richesse éclipse la leur. Dans la dernière Liste publiée par le Sunday Times des 1000 habitants les plus riches du Royaume-Uni, par exemple, la reine n'est classée qu'en 356e place. Mais les changements économiques et sociaux de grande envergure associés à la mondialisation ont également miné les fondations de nombreuses autres institutions publiques.

Ce n'est pas pour rien que le jeu de mots «Megxit» (un clin d’œil au Brexit) a été inventé dans les médias. Sur fond de conflit qui fait rage entre les puissances impérialistes rivales pour le contrôle des marchés et des ressources mondiaux, la Grande-Bretagne a été plongée dans une crise historique de la classe dirigeante au sujet de quitter l'Union européenne et de s'orienter, comme Harry et Meghan, vers les États-Unis. Dans ce processus, le Royaume-Uni sur lequel la reine veille est en proie d’un démantèlement, car le nationalisme écossais menace l'Acte d'Union et le retour à la guerre civile pour l'unification irlandaise est une possibilité réelle. Le Parti travailliste, cet autre grand mécanisme de garde-fou du capitalisme, est sur le point de s'effondrer.

La menace la plus fondamentale à la survie de la famille royale à l'heure actuelle ne trouve aucune expression politique: une polarisation sociale croissante qui alimente une éruption de la lutte des classes qui peut balayer non seulement la monarchie, mais aussi tout l'appareil de la domination bourgeoise qu'elle incarne.

Le soutien à la monarchie est déjà fragile et pourrait ne pas survivre longtemps à l'occupant actuel du trône. L'avidité obscène d'Harry et Meghan et les médisances lancées de tout bord par tous les protagonistes ne feront que nourrir l'aliénation croissante de millions de gens envers l'élite parasitaire qui dicte la vie sociale, y compris ceux qui s'habillent de capes en hermine, d'uniformes militaires tape-à-l’oeil, de couronnes et de diadèmes.

(Article paru en anglais le 14 janvier 2020)

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