Craintes croissantes d’une crise de la dette mondiale

L’oligarchie mondiale se réunit au Forum économique mondial de Davos, en Suisse. Toutefois, il y a des signes de plus en plus alarmants qui montrent que la dette mondiale, alimentée par l’argent bon marché des banques centrales, est une bombe à retardement.

«Les tensions commerciales croissantes, la baisse des investissements, la faible confiance et la dette élevée risquent d’entraîner un ralentissement prolongé de l’économie mondiale», a noté le rapport annuel du Forum économique mondial sur les risques mondiaux.

La dette mondiale est en voie d’atteindre un niveau record de plus de deux cent cinquante-sept mille milliards de dollars dans les mois à venir. Elle avait déjà fait un bond en amont de neuf mille milliards de dollars dans des trois premiers trimestres de 2019, selon un rapport publié par l’Institut de finance internationale au début du mois.

Le journaliste Glenn Greenwald assiste à une conférence de presse avant le début d'une manifestation de soutien en juillet de l'année dernière [Crédit: AP Photo/Ricardo Borges]

La dette totale s’élève maintenant à 32.500 dollars pour chacune des 7,7 milliards d’habitants de la planète et représente 320 pour cent du produit intérieur brut mondial. Dans les grandes économies, la dette totale s’élève à cent quatre-vingt mille milliards de dollars, soit l’équivalent de 383 pour cent de leur PIB combiné.

La dette publique totale s’élève à plus de soixante-cinq mille milliards de dollars. C’est en hausse par rapport aux trente-sept mille milliards de dollars d’il y a dix ans, le ratio de la dette publique au PIB qui atteigne un niveau record aux États-Unis et en Australie. La dette des sociétés non financières a augmenté à plus de soixante-douze mille milliards de dollars l’an dernier et atteint maintenant un niveau record de 92 pour cent du PIB. La dette des ménages est passée à quarante-six mille milliards de dollars.

L’Institut de finance international (IIF) a noté que la croissance de la dette en Chine est à nouveau à la hausse alors que l’économie ralentit. «Après un ralentissement marqué en 2017-18 lors de la grande poussée de livraison, l’accumulation de la dette en Chine a repris, notamment dans le secteur des sociétés non financières», a-t-il déclaré.

La dette totale de la Chine est maintenant proche de 310 pour cent du PIB, l'une des plus élevées des marchés dits émergents.

Le rapport de l’IIF fait suite à des conclusions similaires de la Banque mondiale. Dans un rapport publié le mois dernier, la Banque mondiale a déclaré que depuis 2010, une quatrième «vague d’endettement mondial» a conduit les pays en développement à accumuler une dette «colossale» de 55.000 milliards de dollars. C’est le niveau le plus élevé de l’histoire. Elle a noté que les trois précédentes vagues d’endettement s’étaient terminées par des crises. La crise latino-américaine a eu lieu dans des années 1980; la crise financière asiatique a eu lieu à la fin des années 1990; et la crise financière mondiale de 2008-2009.

L’augmentation de la dette est le produit de l’injection de milliards de dollars sur les marchés financiers par les principales banques centrales du monde — l'assouplissement quantitatif. Cela était leur réponse à la crise financière mondiale et à la réduction des taux d’intérêt à des niveaux historiquement bas. Le principal effet de ces mesures a été de créer une nouvelle bulle sur les marchés financiers. Les cours des actions atteignaient des sommets records, mais cela a créé ainsi les conditions d’un nouvel effondrement potentiellement encore plus grave que celui de 2008.

Les signes d’une telle crise sont déjà visibles. Un article paru lundi dans le Financial Times avertissait que «le marché de la dette des entreprises du monde en développement gonfle rapidement. C’est un accident qui ne peut qu’arriver». Il a cité une lettre adressée aux investisseurs par un important fonds spéculatif. Gramercy Funds Management a écrit qu’il y avait un risque de dislocations soudaines, car l’argent était rapidement retiré.

«Nous sommes convaincus que les "marchés liquides" ne sont pas nécessairement liquides», a écrit Robert Koenigsberger, le directeur des investissements, dans une lettre cosignée par l’éminent analyste financier Mohamed El-Erian, un conseiller principal du fonds. La «tempête de dislocation parfaite» n’attend que de se mettre en marche.

La baisse des taux d’intérêt a entraîné des rendements négatifs sur environ 11.000 milliards de dollars d’obligations au dernier décompte. Aussi, la baisse a entraîné un déplacement vers des investissements plus risqués à la recherche de rendements plus élevés. Par conséquent, selon le Financial Times, le marché des obligations de sociétés des marchés émergents a presque quadruplé pour atteindre plus de 2000 milliards de dollars au cours de la dernière décennie. En outre, le secteur des obligations à haut rendement a presque quintuplé.

Lorsqu’on a testé le système, Koenigsberger a déclaré au journal: «C’est raisonnable de s’attendre à ce qu’il échoue». Un test pourrait se présenter sous la forme d’une augmentation rapide de l’incertitude financière, éventuellement déclenchée par une récession ou une crise dans un pays.

Un autre facteur potentiel de risque est la croissance de la dette des marchés émergents libellée dans une devise forte, comme le dollar américain, qui devient de plus en plus difficile à rembourser si la monnaie locale subit une dévaluation rapide. La dette en devises fortes a atteint plus de 8000 milliards de dollars au troisième trimestre de l’année dernière, soit une augmentation de 4000 milliards de dollars au cours de la dernière décennie.

Le risque de crise de la dette est accru par le ralentissement continu de l’économie mondiale. Le Fonds monétaire international, a publié sa dernière mise à jour pour coïncider avec la réunion annuelle du Forum économique mondial à Davos (Suisse) cette semaine. Le FMI a réduit ses prévisions de croissance pour 2020 de 3,4 à 3,3 pour cent et a réduit ses prévisions pour l’année prochaine de 3,6 à 3,4 pour cent. Ces chiffres ne sont que légèrement supérieurs à la croissance de 2,9 pour cent en 2019, qui était la pire année depuis la crise financière de 2008-2009.

Ce chiffre aurait été encore plus bas si la Réserve fédérale et d’autres grandes banques centrales n’avaient pas réduit les taux d’intérêt au cours du second semestre de l’année dernière. La directrice générale du FMI, Kristalina Georgieva, a déclaré que les 71 réductions des taux d’intérêt par 49 banques centrales l’année dernière étaient «l’assouplissement monétaire le plus synchronisé depuis la crise financière mondiale» et sans elles «nous aurions techniquement parlé de récession».

L’enquête annuelle menée par PricewaterhouseCoopers (PwC) auprès de près de 1600 chefs d’entreprise de 83 pays était publié au début de la réunion de Davos. L’enquête a révélé que plus de la moitié d’entre eux s’attendaient à une baisse de la croissance en 2020. L’année dernière le taux était de 29 pour cent et seulement 5 pour cent en 2018. Ils ont déclaré que leurs entreprises étaient soumises à plus de pression qu’à aucun autre moment au cours des 11 dernières années.

Cependant, le président américain Trump a balayé toutes ces préoccupations dans son discours d’ouverture de la réunion de Davos hier. Il a fait l’éloge des politiques de son Administration, déclarant que c’était le moment d’être optimiste.

«Je suis fier de déclarer que les États-Unis sont en plein boom économique comme jamais le monde n’en a connu. Le redressement économique de l’Amérique n’a été rien de moins que spectaculaire. Il s’agit d’un boom des cols bleus. Le rêve américain est de retour, plus grand, meilleur et plus fort que jamais.»

Ce paquet de mensonges est exposé sur tous les fronts. La croissance économique américaine se situe juste au-dessus de 2 pour cent, le plus bas niveau de toute reprise de l’après-guerre. Loin d’élever le niveau de vie des travailleurs américains, cette croissance est fortement concentrée au sein de l’oligarchie financière.

Les réductions d’impôts tant vantées par l’Administration à la fin de 2017 n’ont pas entraîné une augmentation des investissements et des emplois bien rémunérés, mais on les a utilisées presque exclusivement pour financer des rachats d’actions afin de relancer le marché boursier.

Dans le même temps, l’endettement des entreprises a atteint près de 6000 milliards de dollars, soit 47 pour cent du PIB, les entreprises les plus faibles étant responsables de la majeure partie de cette augmentation, car elles effectuent des opérations financières plus risquées. La croissance de la dette américaine a suscité l’an dernier un avertissement du spécialiste de la dette de l’IIF, Emre Tiftik, selon lequel les États-Unis étaient «assis sur une bombe non explosée, et nous ne savons vraiment pas ce qui va déclencher l’explosion».

(Article paru d’abord en anglais 22 janvier 2020)

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