«Ce n’est pas un endroit agréable: c’est l’enfer»

Un documentaire d’ITV révèle les conditions de détention de Julian Assange

Le film en deux parties «Welcome to HMP Belmarsh» (Bienvenue à la prison de Belmarsh), diffusé pour la première fois sur ITV les 13 et 20 janvier, marque la première fois que la prison de haute sécurité a autorisé des caméras de télévision à l’intérieur.

Aujourd’hui, la prison de Belmarsh fait l’objet d’une nouvelle attention en tant que «Guantanamo de la Grande-Bretagne». Elle détient le prisonnier politique le plus en vue au monde, Julian Assange. L’émission d’ITV devait servir d’opération de relations publiques. Malgré cela, il a réussi à en dire plus que voulu sur les conditions épouvantables qui règnent dans la prison.

L’acteur Ross Kemp présentait l’émission. Il avait produit plusieurs documentaires sur les gangs, la police armée et les militaires britanniques déployés en Afghanistan. Il est un partisan en vue du Parti travailliste, mais il était auparavant marié à Rebekah Brooks, la fidèle adjointe de l’oligarque des médias Rupert Murdoch.

Après la diffusion de la série en deux parties, on a interrogé Kemp à plusieurs reprises sur les médias sociaux au sujet de Julian Assange. Il semble qu’il ait demandé à interviewer Assange, mais le fondateur de WikiLeaks — soumis à une campagne impitoyable de harcèlement public par la presse mondiale — a refusé de participer, craignant sans doute un coup monté. Néanmoins, Assange a été le sous-texte de tout ce qui figurait dans le film.

On a construit Belmarsh en 1991 comme la première prison «supermax» de Grande-Bretagne. Elle était particulièrement destinée aux prisonniers considérés comme une «menace pour la sécurité nationale». On a conçu la première nouvelle prison pour hommes de Londres depuis un siècle avec des dispositions spécifiques pour la détention de terroristes. Cela comprend un tunnel à l’épreuve des bombes vers la cour de la Couronne de Woolwich toute proche.

Julian Assange dans un fourgon cellulaire se rendant à la Westminster Magistrates Court à Londres, en décembre (Source: AP Photo/Frank Augstein)

L’émission mentionnait à plusieurs reprises le nombre élevé de prisonniers de catégorie A qui y étaient détenus, et les fréquentes confrontations violentes entre détenus. La catégorie A, la plus haute catégorie de sécurité, est destinée aux prisonniers «dont l’évasion serait très dangereuse pour la sécurité publique ou nationale».

Dans sa conception générale, Belmarsh comprend une unité de haute sécurité (UHS), décrite comme une «prison dans une prison». Elle a accueilli des prisonniers considérés comme les plus dangereux. Il y avait notamment des agents du KGB, des membres et des dirigeants d’Al-Qaïda et des barons internationaux de la drogue impliqués dans le crime organisé et le blanchiment d’argent (dont l’un est interviewé). On l’a également utilisée pour héberger des voyous violemment anti-islamiques et fascistes, dont Darren Osborne, le tueur de la mosquée de Finsbury Park.

Aiden James, accusé d’avoir rejoint une milice kurde anti-État islamique, est également détenu à Belmarsh, aux côtés d’hommes condamnés pour avoir combattu pour l’État islamique. Une telle proximité, tout comme la grande concentration de membres de gangs rivaux dans l’espace confiné de la prison, fait de Belmarsh un lieu intensément violent et dangereux.

Les gardiens ont montré à Kemp les listes quotidiennes des conflits, montrant la menace de violence entre les prisonniers. Un prisonnier a expliqué les risques auxquels les détenus sont confrontés en sortant de leur cellule chaque jour. En raison de son statut de haute sécurité, il a déclaré: «On pourrait penser que Belmarsh est l’une des prisons où l’on est en sécurité… Loin de là.»

Au cours des 12 derniers mois, trois prisonniers sont morts à l’intérieur de Belmarsh. Le 2 janvier, le prévenu, Liridon Saliuka, a été retrouvé mort dans sa cellule, ses proches contestant les affirmations officielles selon lesquelles il serait mort de blessures «auto-infligées» (un fait non mentionné par Kemp).

En 2009, l’inspecteur en chef des prisons britanniques a constaté un niveau «extrêmement élevé» de force utilisée contre les prisonniers, les détenus faisant état d’intimidations, de menaces et d’agressions par le personnel. Le rapport de l’inspecteur de 2018 a noté qu’on n’avait pas mis en œuvre beaucoup des «améliorations» recommandées, et que certains «résultats étaient pires que la dernière fois».

L’UHS possède sa propre unité de ségrégation, décrite par le gouverneur de l’UHS comme «la fin du monde». Kemp a noté que cette cellule ne contenait pas de lit et n’avait pas accès à l’eau.

Les capacités de la prison et les objectifs prévus soulèvent la question évidente de savoir pourquoi on l’utilisée pour détenir Assange, un journaliste condamné pour aucun crime. Le fait est qu’on l’a placé en détention préventive uniquement en relation avec une demande d’extradition du gouvernement américain. Cette demande vise à faire taire son journalisme primé qui a exposé les crimes de guerre et autres activités illégales des gouvernements des États-Unis, de la Grande-Bretagne et de l’Australie.

Peut-être pour détourner l’attention de cette question, l’émission a présenté à plusieurs reprises Belmarsh comme étant équipée pour prendre n’importe quel type de prisonnier. Outre les prisonniers de haute sécurité, Belmarsh abrite également une population carcérale générale. Charlie Pope et ses frères, par exemple, sont tous des récidivistes de la ville voisine de Woolwich qui ont séjourné à Belmarsh à plusieurs reprises. Ils décrivent la prison comme «notre local».

Cette focalisation sur la population générale visait peut-être à normaliser Belmarsh pour le téléspectateur, mais elle a servi à exposer une crise sociale plus large. Les membres de la famille Pope ont grandi dans un environnement familial marqué par la drogue et la petite délinquance. Charlie est montré en train de s’inscrire à un cours de création d’entreprise dans l’espoir de briser le cycle de la récidive. Si un des frères change de vie, ça se peut qu’ils le fassent tous, disent-ils.

Le cours auquel Charlie Pope s’inscrivait est d’un cynisme qui écrase, son fondateur déclarant que «les gens en prison ont naturellement l’esprit d’entreprise». Pope est retiré du cours suite à son implication dans un combat.

L’émission suit également une «école des gangs», qui rassemble les membres de gangs rivaux afin de les amener à partager leurs problèmes communs. On n’a pas montré ce cours en détail, peut-être parce que les membres des gangs ont été très directs sur le fait de considérer la criminalité comme une alternative à la pauvreté: «Je ne veux pas être fauché».

Près d’un tiers des personnes qui sortent de prison n’ont nulle part où aller et se retrouvent sans abri, certains récidivent pour avoir un endroit où dormir. On dit au passage que le logement et l’emploi sont les meilleures options pour faire sortir les gens de prison et les maintenir à l’extérieur, mais l’émission n’a montré qu’un exercice de lutte contre l’incendie.

Les problèmes de santé mentale s’aggravent dans les prisons britanniques, tandis qu’une crise de la drogue s’intensifie autour d’une cannabinoïde synthétique connue sous le nom de Spice. Soulignant les conditions épouvantables, un des frères Pope a décrit Spice, qui rend les consommateurs catatoniques, comme «la pire drogue», mais la «meilleure» en prison.

Le documentaire de Kemp s’est attaché à montrer Belmarsh avec un visage humain, les gardiens exprimant leur inquiétude pour certains prisonniers. On a mis l’accent en particulier sur l’interaction entre le personnel et Claire Darbyshire, la seule détenue transgenre de la prison, on l’a envoyée dans une prison pour hommes parce qu’elle était en pré-opération. Darbyshire a étouffé son père, qui souffrait de sclérose en plaques, dans ce qu’elle a prétendu être à la fois un meurtre par compassion et un pacte de suicide auquel elle n’a pas donné suite.

De même, des gardiens se sont montrés sensibles à l'égard de Liam Waters, 20 ans. Transféré à Belmarsh à la suite d'une émeute dans sa prison locale, Waters est obligé de porter une tenue distinctive pour les listes d'évasion. Il a l'air craintif et petit dans son numéro de prison surdimensionné et ses tongs sous-dimensionnées, disant à Kemp qu'il savait que Belmarsh était «l'un des endroits les plus dangereux».

Notamment, l’émission de Kemp a fortement promu l’aile santé de la prison. Belmarsh possède le plus grand service de santé de toutes les prisons britanniques, et Kemp décrit le médecin de la prison, Rachel Daly, comme son «héros». Daly a dit que les soins de santé de la prison équivalent ceux du NHS (le service de santé de l’état), une affirmation démentie par les images du documentaire.

Alors que les problèmes de santé mentale s’aggravent, on a filmé Daly et son équipe en train de mener une action d’arrière-garde pour la santé des prisonniers. Aiden James, qui souffre du syndrome de stress post-traumatique (SSPT), suite à ses expériences en Syrie, avait recommencé à s’automutiler. On a montré Daly qui luttait pour lui trouver un lit dans l’unité de santé.

Sans être mentionnées, la détérioration de la santé d’Assange et les inquiétudes des professionnels médicaux indépendants concernant son isolement dans l’unité de soins de santé ont pesé silencieusement sur l’émission. On a maintenant transféré Assange dans une autre partie de la prison suite aux protestations de son équipe juridique, des groupes de campagne et, fait plus frappant encore, de ses codétenus.

Tout en gardant le silence sur ces questions, l’émission de Kemp présentait plusieurs interviews de Tommy Robinson, connu pour ses positions fascistes, détenu à Belmarsh pour outrage au tribunal après avoir tenté de faire échouer un grave procès pour viol.

Une grande partie de l’émission a été consacrée à la publicité gratuite pour les revendications de Robinson sur son «martyre» politique.

Son transfert à Belmarsh a été présenté comme un défi pour le gouverneur de la prison, Rob Davis, le forçant à trouver un équilibre délicat entre le maintien de la paix entre les détenus et la sécurité de Robinson. L’émission montre les relations amicales entre le gouverneur Davis et Robinson, qui passe son court séjour à Belmarsh dans une suite solitaire relativement luxueuse et est libéré neuf semaines plus tôt.

Dans l’une des seules mentions d’Assange dans toute l’émission, des sacs de courrier pour Robinson sont montrés à côté d’un plus petit lot destiné à Assange. L’objectif est clairement de suggérer qu’Assange, contrairement à Robinson, ne bénéficie que d’un faible soutien public.

Kemp dit à ses téléspectateurs, apparemment sans ironie, que Belmarsh a «jusqu’à présent» gardé Robinson à l’abri de la publicité.

Davis rend visite à un Robinson souriant dans sa cellule après que la presse a rapporté qu’un retraité l’avait attaqué dans les douches de la prison. En fait, les interviews de Kemp avec Robinson reflètent la promotion fortement médiatisée de chacun des gestes de Robinson.

Robinson est présenté comme un personnage pathétique, pleurant sur sa situation désespérée en «isolement». Ce qui incite Kemp à dire: «Ce n’est pas l’isolement dans une espace très réduit. Vous avez une télévision. Vous avez une bouilloire.»

Néanmoins, malgré sa réticence déclarée à donner une tribune au voyou fasciste, Kemp a estimé qu’il «devait» interroger Robinson sur la manifestation organisée par ses partisans devant la prison. Robinson a clairement indiqué qu’il s’agissait d’une autre provocation antimusulmane, en disant qu’il pourrait les appeler à diffuser des vidéos du prophète Mahomet.

À l’intérieur d’une salle de contrôle, les agents de la prison visionnent des images de la manifestation à l’extérieur via plusieurs écrans de télévision en circuit fermé, en zoomant pour identifier les personnes qui les intéressent. Davis dit à Kemp: «Toute manifestation à l’extérieur de la prison met mon personnel en danger.» Cette scène particulière aura sans doute été suivie avec intérêt par ceux — y compris les Gilets Jaunes en France — qui ont participé aux récents rassemblements pour Assange devant la prison.

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