Les inégalités sociales au cœur des élections législatives irlandaises

Les élections générales en République d'Irlande ont lieu le 8 février. Il y a 531 candidats en lice pour occuper 159 sièges de députés dans 39 circonscriptions. La campagne électorale se déroule dans des conditions de colère immense ressenties par les travailleurs contre le parti de droite sortant de Fine Gael du premier ministre Leo Varadkar.

Le gouvernement de Varadkar a été maintenu au pouvoir au cours des quatre dernières années grâce à la coopération de Fianna Fáil, le principal parti nationaliste bourgeois d'opposition. Sous la direction de Micheál Martin, Fianna Fáil a signé un accord de «confiance et de soutien» avec Fine Gael qui a alimenté le ressentiment contre l'ensemble de l'establishment politique.

Les inégalités sociales croissantes, la baisse du niveau de vie, qui ont abouti à la pire crise du logement de l'histoire du pays, et une grave détérioration du système de santé et des principaux aspects de l'assistance sociale côtoient une concentration de richesse extrême entre les mains de très peu d'individus.

Une nouvelle étude de l'association caritative Oxfam a montré que la République d'Irlande compte le cinquième plus grand nombre de milliardaires par rapport à sa population de tous les pays du monde. L'Irlande reflète la tendance mondiale des inégalités de richesse où seulement Hong Kong, Chypre, la Suisse et Singapour devancent l’Irlande pour le nombre de milliardaires par habitant.

Au cours des trois dernières semaines, la question des sans-abris et la crise du logement ainsi que le scandale des malades contraints d'attendre des soins sur des brancards dans des hôpitaux surpeuplés et en sous-effectif ont été au coeur de la campagne.

Il y a eu un tollé général à propos de l'introduction de mesures visant à repousser l'âge de la retraite légale de 66 à 68 ans. Elle a déjà été relevée en 2014 de 65 à 66, mais selon les conditions des opérations de sauvetage des banques imposées par la Commission européenne, la Banque centrale européenne et le Fonds monétaire international en 2011, le gouvernement de l'époque, la coalition de Fine Gael / Labour, a légiféré pour relever le l'âge de la retraite en trois étapes d'ici 2028 à 68. Cela impose des épreuves considérables. Les travailleurs ayant le droit de partir actuellement à la retraite à 65 ans se retrouvent désormais obligés de solliciter des allocations de chômage pendant un an après avoir travaillé toute leur vie.

Les syndicats coopèrent pleinement avec le gouvernement pour conclure des accords via le Tribunal du travail parrainé par l'État. Les chauffeurs d’autobus ont subi la privatisation de larges pans du service public national des autobus, par exemple, tandis que leurs grèves ont été bloquées ou étranglées par les syndicats.

L'année dernière, alors que la crise des services de santé irlandais atteignait un point critique, les dirigeants syndicaux ont imposé un accord négocié avec le tribunal du travail à 40.000 infirmières et sages-femmes. L'accord a été largement rejeté par les travailleurs des services de santé parce que les syndicats avaient lié les infirmières à des programmes de «performance au travail» qui augmentaient la charge de travail.

La classe ouvrière, tout en supportant les conséquences de l'effondrement des services publics, a connu une détérioration générale de sa qualité de vie. Les statistiques publiées récemment montrent que les travailleurs irlandais ont vu leur niveau de vie chuter de 14 pour cent depuis le krach bancaire et financier de 2008.

Les travailleurs doivent souvent se déplacer des centaines de kilomètres dans des embouteillages pour se rendre au travail dans les grandes villes. L'Irlande a les coûts de garde d'enfants les plus élevés d'Europe et un taux de criminalité en hausse qui est dû à la pauvreté croissante et un système de classes oppressif.

Bien que les statistiques officielles portent le nombre de sans-abri à 10.000, cela n'inclut pas les jeunes, dont beaucoup avec enfants, qui ont été contraints de vivre avec leurs parents en raison de la hausse vertigineuse des loyers.

Les partis politiques, dont Fianna Fáil, Labour, Sinn Féin, les Verts et la pseudo-gauche de People Before Profit / Solidarity (PBP / S), ont tous surenchéri sur des promesses électorales creuses depuis l’appel aux urnes, espérant tirer leur épingle du jeu sur la base de l'aggravation des conditions sociales.

Brendon Howlin, du parti moribond de Labour, a déclenché la surenchère, affirmant lors du lancement du manifeste du parti: «Nous allons construire 80.000 logements sur cinq ans.»

Mary Lou McDonald de Sinn Féin et le groupe PBP / S ont tous deux «promis» 100.000 logements et un retour à 65 ans de l'âge de retraite. Les Verts, qui lorsqu’ils étaient au pouvoir avec Fianna Fáil en 2012 avaient imposé l’austérité brutale en réduisant les pensions de retraite, les salaires, les avantages sociaux et les dépenses couvrant de vastes secteurs sociaux, ont promis 200.000 nouveaux logements.

Fianna Fáil a rapidement égalé le chiffre de 200.000, mais personne n'en croit un mot.

Le niveau de désaffection à la fois pour Fianna Fáil et Fine Gael et une radicalisation parmi de larges sections des travailleurs est indiqué par les derniers sondages d'opinion donnant le Sinn Féin plus de soutien que tout autre parti. Le Sinn Féin est désormais potentiellement le plus grand parti avec 25 pour cent de popularité contre Fianna Fáil avec 23 pour cent et Fine Gael à 20 pour cent, bien que leur faible nombre de candidats, 42, signifie qu'il est peu probable qu'il soit le plus grand groupe du prochain Dáil Éireann (Parlement).

Cela rend l’option d’un gouvernement de coalition composée d’un ou deux des partis principaux avec Sinn Féin, une sérieuse possibilité.

Le commentateur libéral Fintan O'Toole a médité sur l'utilité de cela dans l'Irish Times dans un article intitulé: «Il est temps pour le Sinn Féin de revenir».

O'Toole a noté que la décision du Labour d'entrer au gouvernement avec Fine Gael en 2011, au lendemain de la crise financière, pour aider à imposer une austérité écrasante à la classe ouvrière a détruit le Labour. Cela signifiait que «le Sinn Féin occuperait l'espace où devrait être un parti social-démocrate traditionnel».

O'Toole est conscient de la grande vulnérabilité de l'économie irlandaise aux vagues mondiales d'instabilité, à commencer par, mais sans y être limité, l'impact du Brexit. Il voit la nécessité pour le Sinn Féin de se présenter afin de jouer le rôle de la Syriza irlandaise. Syriza, avec sa rhétorique de gauche, arriva au pouvoir en Grèce en 2016 et revint rapidement sur toutes ses promesses préélectorales, imposant de nouveaux niveaux d'austérité brutale aux travailleurs grecs.

Les partis qui ne sont de gauche que de nom cherchent à attirer le soutien de la classe ouvrière afin de lier les intérêts des travailleurs au capitalisme et aux besoins politiques de l'élite dirigeante. Tous, y compris les groupes de pseudo-gauche, ont clairement indiqué qu'ils recherchaient une sorte d'alliance avec les principaux partis nationalistes bourgeois.

Richard Boyd Barrett, le chef de l'Alliance PBP / Solidarité à cinq députés, a rassuré ceux qui votent pour eux qu'ils «ne soutiendront pas un gouvernement dominé par le Fianna Fáil ou le Fine Gael», mais chercherait «une large alliance de gauche pour former un gouvernement» comprenant le Sinn Féin, les Verts et le Labour.

Mais Eamonn Ryan des Verts ainsi que McDonald du Sinn Féin ont à maintes reprises précisé que leur objectif principal était d'entrer au gouvernement avec Fine Gael ou Fianna Fáil.
Les travailleurs ont besoin d'une véritable alternative socialiste pour faire face à ce qui est une crise mondiale du système capitaliste, qui ne peut admettre aucune solution nationale. Aucune manœuvre de politique de marchandage ou de mensonges réformistes ne changera la donne.

Au contraire, le sort des travailleurs en Irlande est lié à celui des travailleurs à travers le monde et exige un rejet du système capitaliste et la construction d'une section du Comité international de la Quatrième Internationale en Irlande.

(Article paru en anglais 6 février 2020)

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