Les négociations entre la Russie et le Belarus sur l'énergie échouent, Minsk se rapproche des États-Unis et de l'OTAN

Vendredi à Sotchi, le président russe Vladimir Poutine et le président biélorusse Alexandre Loukachenko n'ont pas trouvé de solution à un conflit de plusieurs mois sur les livraisons de pétrole russe au Bélarus.

En décembre, la Russie avait suspendu une grande partie de ses livraisons de pétrole au Bélarus après l'échec des négociations sur les prix et l'intégration de la Russie et du Bélarus dans un «État d'union». L '«État d'union» fut officiellement créé en 1997, mais peu de mesures ont été prises en vue de sa réalisation effective. Parmi les autres États membres potentiels de «l'État d'union», figuraient le Kazakhstan, la Moldavie et, jusqu'au coup d'État pro-occidental de Kiev en 2014, l'Ukraine.

Carte du Bélarus

La Russie a refusé de continuer à accorder au Bélarus des livraisons de pétrole subventionnées sans que le Bélarus soutienne un plan d'intégration économique et politique plus rapide. Cela comprendrait la création d'instances supranationales et d'une monnaie unique. L'économie biélorusse est fortement tributaire des subventions de la Russie et des expéditions de pétrole en franchise de droits. Sur la base du contrat maintenant expiré, la Russie a livré 24 millions de tonnes de pétrole au Bélarus chaque année, soit 2 millions de tonnes par mois, mais en janvier, elle n'a livré que 500.000 tonnes.

En janvier, Loukachenko a annoncé qu'il souhaitait réduire la dépendance du Bélarus à l'égard des approvisionnements énergétiques russes, qui représentent actuellement 80 pour cent des importations du pays, pour les ramener à 40 pour cent. La Biélorussie essaie maintenant d'organiser des livraisons depuis les États-Unis, la Pologne, le Kazakhstan et l'Azerbaïdjan ainsi que la Norvège.

Vendredi, lors de la réunion, la Russie et la Biélorussie ont convenu de poursuivre les livraisons de gaz en 2020 au même prix qu'en 2019. Cependant, Poutine aurait insisté sur le fait que la Russie n'accorderait au Bélarus des prix commerciaux que pour les livraisons de pétrole et que les livraisons seraient liées à la mise en œuvre d'un plan d'intégration des économies russe et biélorusse. Dimanche, il a été signalé que le Bélarus était prêt à payer les prix du marché mondial pour les livraisons de pétrole russe.

La récente recrudescence des tensions entre la Russie et le Bélarus a lieu alors que les États-Unis intensifient de manière agressive leurs efforts pour attirer Minsk dans son giron. Juste une semaine avant la rencontre de vendredi entre Poutine et Loukachenko, le secrétaire d'État américain Mike Pompeo s'est rendu à Minsk et a eu une discussion de plus de deux heures avec le président biélorusse. Il s'agissait de la première visite d'un secrétaire d'État américain au Bélarus depuis 1993, et à la suite de la visite de l'ancien conseiller à la sécurité nationale de Trump, John Bolton, dans le pays en août 2019. Pompeo a promis à Loukachenko que les entreprises américaines «se tiennent prêtes à livrer à 100 pour cent du pétrole dont vous avez besoin à des prix compétitifs.»

Loukachenko a tenté d'exploiter l'amélioration des relations avec les États-Unis pour faire pression sur la Russie dans les négociations énergétiques. Quelques jours avant la rencontre avec Poutine, il a déclaré que la Russie avait été secouée par la visite de Pompeo mais qu'ils devraient cesser de «pleurer», ajoutant: «Si Trump vient demain, que feront-ils [les Russes] alors?»

En décembre, des manifestations de quelques milliers de personnes de l'opposition nationaliste pro-américaine ont eu lieu à Minsk pour s'opposer à une intégration plus étroite entre la Russie et le Bélarus.

Le Bélarus est d'une importance géostratégique majeure pour les puissances impérialistes dans leurs préparatifs de guerre contre la Russie. La plupart des exercices militaires de l'OTAN en Europe ont lieu aux frontières du pays, qui partage quelque 1200 kilomètres de sa frontière avec les États membres de l'OTAN. Plusieurs responsables de l'État biélorusse ont également été touchés par les sanctions américaines contre la Russie.

Le Bélarus est généralement considéré comme l'allié le plus proche de la Russie en Europe de l'Est et les deux pays partagent des liens historiques et culturels de longue date.

Cependant, Loukachenko, au pouvoir depuis 1994, peu après la dissolution de l'Union soviétique, a tenu à soutenir le coup d'État de Kiev en février 2014, orchestré par l'impérialisme allemand et américain pour resserrer le nœud coulant politique et militaire autour de la Russie. Loukachenko a dénoncé l'annexion de la Crimée comme un «précédent dangereux» et le Bélarus a été l'un des premiers pays à reconnaître les élections présidentielles ukrainiennes de mai 2014 qui amena Petro Porochenko au pouvoir. Le Bélarus accueillit les négociations sur les «accords de Minsk» avec la participation allemande et française en 2014 et 2015.

Le Bélarus et l'Ukraine ont développé une coopération militaire et industrielle de plus en plus étroite, en particulier dans le secteur de l'armement. Le Bélarus a fourni un soutien militaire et technique à l'armée ukrainienne, qui est engagée dans une guerre par procuration avec la Russie dans l'est de l'Ukraine, avec un financement militaire important et le soutien des États-Unis. Le pays a également aidé les entreprises européennes à contourner les contre-sanctions russes en renommant leurs produits «fabriqués au Bélarus» avant de les réexpédier en Russie.

La Pologne et la Lituanie jouent un rôle clé dans le rapprochement entre le Bélarus et l'OTAN. Le gouvernement polonais d'extrême droite du Parti du droit et de la justice (PiS) travaille à un rapprochement avec Minsk depuis son arrivée au pouvoir en 2016. La Pologne et la Biélorussie ont des liens économiques assez étroits. Pour le gouvernement polonais, la création de liens plus étroits avec le Bélarus sur le plan économique et politique fait partie du plan visant à établir une alliance de régimes de droite en Europe de l'Est qui peut être mobilisée pour une guerre contre la Russie. Cette alliance dite Intermarium (article en anglais) est également approuvée par des sections de l'establishment politique au Bélarus ainsi qu'en Lituanie. Le président américain Donald Trump a exprimé son soutien à ces plans (article en anglais) à Varsovie en 2017.

Le gouvernement lituanien a également systématiquement cherché à améliorer ses relations avec Minsk en étroite consultation avec Washington. Le ministre lituanien des affaires étrangères, Linas Linkevicious, s'est rendu à Minsk peu avant Pompeo pour discuter d'éventuelles futures livraisons de pétrole. En mai, la Lituanie et le Bélarus prévoient un forum économique à Klaipeda pour discuter de leur développement de la coopération économique, y compris dans le secteur de l'énergie.

Le Bélarus a également intensifié ses efforts pour approfondir la coopération avec l'OTAN et les États-Unis à d'autres niveaux. L'automne dernier, le ministère biélorusse de la défense a déclaré qu'il «souhaitait maintenir et développer le dialogue avec l'OTAN» et a demandé «un dialogue régulier entre les représentants du ministère de la défense du pays et les responsables correspondants de la structure militaire de l'alliance» qui était actuellement «absent».

Ces derniers mois, Loukachenko et le chef de la défense du pays, Oleg Belokonev, ont explicitement proposé que Minsk participe aux exercices et à l'entraînement militaires de l'OTAN. Les exercices militaires conjoints sont, en fait, interdits au Bélarus dans le cadre de l'OTSC [Organisation du Traité de sécurité collective] dirigée par Moscou, et une telle mesure signifierait de facto une rupture des relations Minsk-Moscou. Belokonev a déclaré aux médias locaux que le Bélarus envisage une coopération militaire avec l'OTAN sur le modèle de la Serbie, qui a des liens étroits avec la Russie mais a également des liens pour l’entraînement militaire avec l'OTAN.

Le Bélarus a déjà commencé à développer une coopération militaire bilatérale avec l'OTAN, les États-Unis, le Royaume-Uni, l'Allemagne, la Pologne, la Lituanie et la Lettonie.

Le 30 janvier, le vice-ministre des affaires étrangères Oleg Kravchenko était à Washington pour prendre la parole au Conseil de l'Atlantique, un groupe de réflexion parmi les plus agressifs dans son plaidoyer pour les préparatifs de guerre contre la Russie. Kravchenko a proposé que Minsk puisse jouer le rôle d'un pont entre Moscou et l'Occident, en particulier dans la crise ukrainienne. Il a déclaré que «les alliés reconnaissent qu'une adhésion trop étroite avec l'OTAN pourrait être contre-productive», mais que «le Bélarus peut jouer un rôle utile s’il n'est pas poussée trop fort».

Foreign Affairs, le journal officiel du Conseil de sécurité nationale des États-Unis a publié la semaine dernière un article intitulé «Le Bélarus sera-t-il la prochaine Ukraine?». Il a noté que le Bélarus était au moins aussi important que l'Ukraine en termes d'importance géostratégique pour la Russie et que Moscou ne tolérerait pas que le Bélarus soit entraînée trop étroitement dans l'orbite des États-Unis et de l'OTAN, déclarant: «... si le Bélarus basculait vers l'ouest, Moscou perdrait un terrain militaire potentiel et risquerait de voir l'influence politique et économique occidentale s'étendre sur une population que de nombreux Russes considèrent comme faisant partie de leur propre nation. [...] Moscou réagirait à toute effondrement de l'autorité de l'État au Bélarus de la même manière qu'il l'a fait après le renversement du président ukrainien Viktor Ianoukovitch en 2014. » L’article a conclu en exhortant les gouvernements occidentaux à soutenir plus fermement Loukachenko, déclarant que «bien que l'autoritarisme de Loukachenko a souvent été pénible, sa capacité à garder l'influence russe à distance a été un cadeau sous-estimé pour la stabilité régionale.»

(Article paru en anglais le 11 février 2020)

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