Plus de 200.000  enseignants en grève au Sri Lanka

Plus de 200.000 enseignants et directeurs d’écoles publiques du Sri Lanka ont organisé une grève d’une journée mercredi pour demander la résolution de problèmes salariaux de longue date. Ils exigent aussi l’amélioration des conditions de travail et la fin des attaques du gouvernement contre l’enseignement gratuit.

Une partie de la marche de protestation des enseignants

Une alliance de syndicats a appelé à la grève. Cette alliance se constitue du «Syndicat de service des enseignants de Sri Lanka» (Ceylon Teachers Service Union – CTSU) contrôlé par le «Janatha Vimukthi Peramuna» (JVP), et du «Syndicat des enseignants de Sri Lanka» (Ceylon Teachers Union – CTU). La grève était une tentative par l’alliance de dissiper la colère croissante des enseignants.

Lors d’une manifestation le 14 février à Colombo, les responsables du syndicat des enseignants ont promis de façon démagogique d’appeler à une grève illimitée mais ont au contraire limité la marche du mercredi à une campagne de congé de maladie d’une journée. Liés à l’État capitaliste, les syndicats sont hostiles à toute mobilisation des enseignants ou d’autres travailleurs dans une lutte politique contre le gouvernement.

La grève de mercredi a été la plus grande action syndicale au Sri Lanka depuis l’arrivée au pouvoir du président Gotabhaya Rajapakse en novembre. Elle indique une opposition sociale brûlante aux attaques sociales continues contre les travailleurs par les gouvernements sri-lankais successifs. Au cours des trois derniers mois, des grèves ont éclaté dans les plantations et à la mine de Kahatagaha, propriété de l’État. Plus de 15.000 travailleurs licenciés par le gouvernement Rajapakse maintiennent également une manifestation continue à Colombo, près du secrétariat présidentiel, pour demander leur réintégration.

L’establishment politique a répondu aux grèves en encourageant le chauvinisme cinghalais contre les Tamouls et les musulmans dans une tentative de diviser les travailleurs. Parallèlement à cette propagande communautariste, les partis tamouls ont intensifié leur rhétorique nationaliste.

Malgré cela, environ 90 pour cent des enseignants des écoles publiques de toutes les ethnies ont participé activement à l’arrêt de mercredi. Presque toutes les écoles publiques dans le Nord et l’Est — ravagés par la guerre — des districts de plantation centraux et d’autres parties du pays se sont fermés. Environ 3000 enseignants de tous les districts de l’île ont organisé une marche de protestation et un rassemblement devant le ministère de l’Éducation à Colombo.

Le gouvernement a mobilisé des centaines de policiers armés de gaz lacrymogènes, de matraques et de canons à eau, prêts à attaquer les enseignants qui protestaient. La police a malmené les enseignants lorsqu’ils ont tenté de retirer les barrières qui bloquaient l’entrée du ministère de l’Éducation. À Jaffna, la capitale de la province du nord, des centaines d’enseignants ont protesté et à Vavuniya, des étudiants et des parents ont rejoint les manifestations des enseignants.

Les enseignants protestent à Jaffna

La lutte des enseignants au Sri Lanka s’inscrit dans le cadre d’une résurgence internationale de la classe ouvrière. Des centaines de milliers d’enseignants aux États-Unis, au Canada, en Pologne, en Argentine et en Inde se sont mis en grève depuis 2018. Ils luttent pour défendre la gratuité de l’enseignement et pour obtenir des salaires et des conditions de vie décents.

L’année dernière, les enseignants sri-lankais ont mené une série de luttes, dont une grève de deux jours en septembre. Les syndicats d’enseignants ont toutefois annulé la grève prévue de cinq jours en septembre après deux jours, acceptant une promesse bidon du gouvernement précédent de verser une indemnité provisoire à partir de janvier de cette année.

Les syndicats ont tout fait pour saboter l’action syndicale de cette semaine et n’ont rien fait pour mobiliser les enseignants. Dans certaines écoles, les syndicats n’ont même pas informé les enseignants du débrayage et de la manifestation. Bien qu’une majorité d’enseignants au Sri Lanka n’appartienne pas aux syndicats par dégoût de leurs trahisons, de nombreux enseignants ont participé au débrayage de mercredi.

Les revendications précédentes portaient également sur l’augmentation des dépenses gouvernementales pour l’éducation publique à 6 pour cent du produit intérieur brut. On demandait la restauration du régime de retraite de 2016 et la fin des augmentations continues des tâches non enseignantes.

Marche de protestation des enseignants

Désireuse d’éviter tout conflit avec le gouvernement, l’alliance syndicale a abandonné ces revendications et plusieurs autres. Elle a limité la grève de mercredi à un appel au gouvernement pour qu’il verse l’indemnité provisoire promise précédemment.

Lorsque le gouvernement Rajapakse est arrivé au pouvoir, le nouveau ministre de l’Éducation, Dulles Alahapperuma, a d’abord promis de payer l’indemnité, mais a ensuite fait marche arrière. Mercredi, il a déclaré aux médias que, bien que le gouvernement soit favorable au paiement de l’indemnité provisoire, les enseignants devraient attendre la formation du prochain gouvernement et la présentation d’un nouveau budget.

Le président Rajapakse prévoit de dissoudre le parlement la semaine prochaine et d’organiser de nouvelles élections générales. Il espère que le Sri Lanka Podujana Peramuna (SLPP), dirigé par son frère le Premier ministre Mahinda Rajapakse, obtiendra une majorité parlementaire de deux tiers. Le régime de Mahinda Rajapakse, à court d’argent, est déterminé à imposer le fardeau de l’aggravation de la crise économique du pays aux travailleurs sri-lankais et aux masses rurales.

S’adressant aux enseignants protestataires mercredi, le secrétaire de la CTSU, Mahinda Jayasinghe, a déclaré à plusieurs reprises que les syndicats n’avaient «jamais trahi» les luttes des enseignants. Un autre bureaucrate syndical nerveux a déclaré de manière démagogique que les syndicats ne seraient plus un «messager» pour les «fausses promesses» du ministre de l’Éducation.

Hostiles à la direction du syndicat, certains manifestants ont crié: «Assez de discussions, quelle est la prochaine action?» Un groupe d’enseignants s’est également précipité à la porte du ministère de l’Éducation en criant: «Nous avons besoin d’une réponse définitive. Nous ne pouvons pas revenir en arrière sans solution. Nous sommes fatigués des faux entretiens. Faisons une grève illimitée.»

Le leader de la CTU, nommé Joseph Stalin, a déclaré que bien qu’un fonctionnaire du ministère de l’Éducation ait été envoyé pour des discussions, «nous ne sommes pas prêts pour une discussion et nous allons appeler à une grève de cinq jours à partir du 23 du mois prochain.»

Beaucoup d’enseignants ne croyaient pas aux affirmations de Stalin, en criant «C’est trop tard». Plusieurs ont déclaré qu’ils étaient «prêts à faire grève dès demain». Sentant que les choses pouvaient dégénérer, les dirigeants syndicaux ont rapidement terminé la manifestation, mais de nombreux manifestants n’ont pas quitté l’endroit.

Un enseignant a interrogé les responsables syndicaux et a demandé pourquoi ils retardaient la grève d’un mois, le secrétaire de la CTSU. Jayasinghe, s’est précipité vers lui en déclarant: «Nous prenons cette décision avec l’accord de tous les syndicats. Si vous n’êtes pas d’accord avec cela, alors quittez le syndicat».

La réponse menaçante de Jayasinghe expose la nature antidémocratique des syndicats. Pour sauver la face, les responsables des syndicats d’enseignants ont alors déclaré qu’ils lanceraient une grève le 16 mars.

Un rôle méprisable est également joué par le «Syndicat de service réuni des enseignants» (Joint Teacher Services Union – JTSU) – comme le CTSU le mot «service» indique que le syndicat contient d’autres travailleurs avec des enseignants. Le JTSU est dirigé par le faux Parti socialiste de première ligne (Frontline Socialist Party—FSP) de pseudo-gauche. Il a organisé un coup de protestation séparé impliquant une centaine de ses membres dans la même région avant la mobilisation de la CTU et du CTSU. Les manifestants du JTSU ont tenté d’entrer dans les locaux du ministère, mais ont été bloqués par la police.

La police affronte les enseignants en grève devant le ministère de l’Éducation à Colombo

Les bureaucrates du JTSU critiquent les autres syndicats d’enseignants pour avoir accepté l’indemnité provisoire du gouvernement précédent et les mesures prises par le ministère de l’Éducation pour séparer le secteur de l’enseignement des autres services publiques. Cependant, l’organisation ne présente pas de véritable alternative et insiste sur le fait que de nouvelles protestations forceront le gouvernement à accéder aux demandes des enseignants.

Le groupe des enseignants du Parti de l’égalité socialiste (SEP) a publié une déclaration et a fait campagne auprès des enseignants lors de la manifestation de mercredi. La déclaration a souligné que l’action militante était insuffisante et que les enseignants avaient besoin d’un programme politique basé sur une perspective socialiste pour gagner leurs revendications.

La déclaration du groupe d’enseignants du SEP dit: «Il y a une ferme détermination parmi les enseignants à lutter pour le droit à une éducation gratuite, des salaires adéquats et les installations nécessaires pour fournir une éducation de qualité aux étudiants.»

«Une simple détermination ne suffit cependant pas. Il est essentiel d’identifier clairement les véritables défis auxquels les enseignants font face, de développer une stratégie pour les surmonter et de mettre en place de nouvelles formes d’organisation afin de mener à bien cette stratégie.»

Le gouvernement Rajapakse, avertissait la déclaration, prévoit de réduire le déficit budgétaire de moitié cette année et a déjà commencé à vider de sa substance l’éducation gratuite et à réduire les soins de santé, les emplois et les salaires.

La déclaration explique que la «barrière fondamentale» à laquelle font face les enseignants est le rôle réactionnaire joué par les syndicats. Elle a souligné que l’aggravation de la crise économique du capitalisme sri-lankais faisait partie de la crise mondiale du capitalisme.

La déclaration du groupe d’enseignants du SEP a appelé les enseignants à rompre avec les syndicats, qui sont liés au système capitaliste. Elle appelle à créer des comités d’action indépendants. De tels comités pourraient rallier le soutien de tous les enseignants, ainsi que des parents et des élèves, en unité avec d’autres travailleurs au Sri Lanka et à l’étranger dans la lutte pour un programme socialiste.

(Article paru d’abord en anglais 29 février 2020)

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