Quelques jours après l'accord de «paix» afghan, les États-Unis bombardent les talibans

L'armée américaine en Afghanistan a lancé mercredi une frappe de drone contre des combattants talibans alors qu'ils menaient une attaque contre les forces de sécurité afghanes à un poste de contrôle dans la province méridionale de Helmand.

Le bombardement aérien, qui survient quelques jours seulement après la signature à Doha le 29 février du soi-disant «Accord pour ramener la paix en Afghanistan» entre Washington et les talibans, est une autre indication que cet accord visant à mettre fin à la guerre de près de deux décennies de Washington commence bat déjà de l’aile.

Un porte-parole de l'armée américaine à Kaboul a déclaré que la frappe de drone était le premier bombardement aérien effectué par les forces américaines en 11 jours, depuis le début d'une «réduction de la violence» d'une semaine convenue avec les talibans comme condition préalable à la conclusion l'accord de Doha. Le colonel Sonny Leggett, a décrit l'attaque comme une «frappe défensive pour perturber l'attaque» lancée contre les forces de sécurité du gouvernement fantoche afghan soutenu par les États-Unis.

Leggett a tweeté: «Les dirigeants talibans ont promis à la communauté internationale de réduire la violence et de ne pas multiplier les attaques. Nous appelons les talibans à cesser les attaques inutiles et à respecter leurs engagements.»

En réalité, les talibans n'ont promis rien de tel. La réduction de la violence – et non un cessez-le-feu complet – a été conclue dans le cadre du processus de négociation entre Washington et le mouvement islamiste qu'il combat depuis qu'il a renversé le gouvernement dirigé par les talibans, connu sous le nom d'Émirat islamique d'Afghanistan, avec l'invasion américaine d'octobre 2001.

Ces négociations ont exclu le régime soutenu par les États-Unis à Kaboul, dirigé par le président Ashraf Ghani, et ne comprenaient aucun engagement des talibans à suspendre les opérations militaires contre ses forces. L’accord s'est seulement engagé à ne pas attaquer les États-Unis et leurs alliés dans la «coalition» dominée par l'OTAN. Toute cessation d’attaques contre les forces du régime de Kaboul dépendrait d'un accord conclu dans les négociations «intra-afghanes» qui sont requises dans l'accord de Doha, ont soutenu les talibans.

Le porte-parole de l'armée américaine a déclaré qu'il y avait eu 43 attaques contre des points de contrôle du gouvernement afghan le 3 mars, tandis que le régime de Kaboul a déclaré qu'au moins 20 de ses soldats et policiers avaient été tués. L'Armée nationale afghane (ANA) a été fortement tributaire de la puissance aérienne américaine dans ses tentatives de vaincre les talibans, qui contrôlent désormais davantage le pays qu'à tout moment depuis l'invasion de 2001. Dans de nombreux secteurs, les rangs de l'ANA se sont dispersés face à de plus petites forces talibanes.

La frappe de drone américaine est survenue un jour après que le président américain Donald Trump a eu un appel téléphonique de 35 minutes avec le chef adjoint des talibans, le mollah Abdul Ghani Baradar. Selon le compte-rendu de la conversation fourni par les talibans, Baradar a promis que l’organisation chercherait à établir «de futures relations bilatérales positives» une fois les termes de l'accord de Doha mis en œuvre.

Ces conditions comprennent, du côté de Washington, une réduction de la force d'occupation américaine actuelle en Afghanistan de 13.000 à 8600 en juillet, qui sera suivie neuf mois et demi plus tard, fin avril 2021, d'un retrait de toutes les forces américaines et de la «coalition». En échange, les talibans se sont engagés à refuser l'implantation d’Al-Qaïda sur le sol afghan ou tout autre groupe qui pourrait «menacer la sécurité des États-Unis et de ses alliés».

De son côté, Trump a déclaré lors d'une conférence de presse tenue après la conversation que «La relation que j'ai avec le mollah est très bonne.» À la même occasion, il a répété un thème sur lequel il revient sans cesse, déclarant en rapport avec la guerre en Afghanistan: «C'est un combat que, si nous devions le faire, nous le gagnerions. Mais je ne veux pas tuer des millions de personnes. Nous le gagnerions assez rapidement, mais je ne veux pas tuer des millions de personnes.» Trump a répété tellement de fois qu'il ne veut pas tuer des millions de personnes qu’il ne serait que raisonnable de supposer qu'il veut le faire désespérément, sinon en Afghanistan, alors ailleurs sur la planète.

Alors que l'accord de Doha appelle à l'ouverture de «négociations intra-afghanes» prévue pour le 10 mars – mardi prochain – sur fond d’affrontements armés croissants et des divisions profondes au sein du régime de Kaboul lui-même, cela semble extrêmement improbable. Les objectifs déclarés de ces négociations, un «cessez-le-feu permanent et stable» et «un accord sur la future feuille de route politique de l'Afghanistan», ne semblent pas près de se réaliser.

L'accord signé entre Washington et les talibans à Doha prévoit la libération de 5000 combattants talibans emprisonnés – la moitié du total détenu par les États-Unis et leur régime fantoche – ainsi que 1000 soldats du régime détenus en captivité par les talibans. Un accord parallèle conclu entre les États-Unis et le régime fantoche du président Ghani, également conclu le 29 février, appelle simplement à des «démonstrations de bonne foi», comme un échange de prisonniers.

Le président Ghani a déclaré qu'il n'a convenu à aucune libération de prisonniers et que Washington n'avait pas le droit de négocier un tel échange. Cette apparente rébellion par un régime qui dépend entièrement de l'argent et de la puissance de feu des États-Unis pour sa survie même est motivée par le fait que les prisonniers talibans, qui sont au nombre de 10.000, constituent une des rares monnaies d’échange qui lui restent.

Les talibans ont à leur tour affirmé qu’ils ne discutent de rien avec le régime de Kaboul, qu’ils considèrent à juste titre comme illégitime, avant que les prisonniers ne soient libérés. Ils ont fait savoir que ses attaques contre les forces du régime se poursuivront jusqu’à la tenue des pourparlers.

La question de savoir qui participera à ces pourparlers n'est pas claire. Ce n'est que le mois dernier que Ghani a été proclamé vainqueur des élections présidentielles tenues en septembre de l'année dernière sur fond d'accusations de bourrage des urnes et de fraude. Son principal rival, Abdullah Abdullah, a refusé de reconnaître les résultats et a tenté de créer un gouvernement parallèle, allant même jusqu’à la nomination de gouverneurs de certaines provinces. Pour sa part, Washington n'a pas encore officiellement reconnu la victoire de Ghani, se contentant de «noter» l'annonce des résultats officiels, sans faire part de ses félicitations. La plupart des gouvernements du monde ont fait de même.

À Washington, l'accord chapeauté par le secrétaire d'État Mike Pompeo à Doha a été critiqué par les démocrates et les républicains.

Dans une tribune libre publiée dans le New York Times, Susan Rice, ancienne conseillère en sécurité nationale de Barack Obama, a écrit que les «faiblesses fondamentales» de l'accord de Doha «mettront très probablement en danger la sécurité nationale des États-Unis et mineront les perspectives d'une paix juste et durable». Surtout, les États-Unis se retrouveraient «sans aucune capacité militaire ou antiterroriste en Afghanistan», ouvrant la «perspective d'un retrait des Américains sous les balles, à la vietnamienne». En d'autres termes, une guerre de près de 19 ans qui a coûté la vie à plus de 175.000 Afghans, tué près de 2400 soldats américains, tout en blessant des dizaines de milliers d'autres et coûtant bien plus de mille milliards de dollars, doit se poursuivre.

Un groupe de républicains du Congrès, dirigé par Liz Cheney, cacique du parti à la Chambre des représentants des États-Unis, a publié une déclaration disant que l'accord de Doha «mettrait la sécurité du peuple américain entre les mains des talibans et affaiblirait notre allié, le gouvernement actuel de l'Afghanistan».

Subissant une pression similaire, Trump a abandonné sa promesse de retirer toutes les troupes américaines de la Syrie, laissant sur place une force de plus de 500 militaires pour «sécuriser le pétrole» dans le nord-est de la province de Deir Ezzor. Tout laisse à penser qu’il dénoncera l'accord sur l'Afghanistan une fois les élections de 2020 terminées.

Ce qui motive l'opposition au sein des deux partis capitalistes n’est pas une préoccupation concernant «la sécurité du peuple américain» ou le «terrorisme», mais plutôt les intérêts stratégiques de l'impérialisme américain qui ont motivé en premier lieu l'invasion de l'Afghanistan en 2001. Une présence continue dans le pays permet de faire valoir le rôle des forces militaires dans les régions riches en énergie d'Asie centrale, ainsi qu'aux frontières de l'Iran et de la Chine, ainsi qu'à proximité de la Russie.

(Article paru en anglais le 5 mars 2020)

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