Perspectives

Les leçons politiques de la défaite de Bernie Sanders lors du «Super mardi»

La campagne de Bernie Sanders a subi un revers massif suite à la victoire de l’ancien vice-président Joe Biden dans 10 des 14 États qui ont voté lors du «Super mardi». Cet événement contient des leçons dures et incontournables pour tous ceux qui ont cru que le Parti démocrate capitaliste pourrait se transformer en un instrument de politique socialiste. C’était la prémisse essentielle de la campagne de Sanders et de ses partisans au sein des Socialistes démocrates d’Amérique (DSA) et d’autres organisations de pseudo-gauche. La faillite de cette stratégie opportuniste a été révélée par le résultat des élections primaires.

Dans la semaine qui précédait le «Super mardi», le même parti qui, selon Sanders, peut être tourné vers le socialisme a mobilisé son appareil afin de ressusciter la campagne de droite de l’ex-vice-président, à moitié sénile, dont la carrière de politicien corrompu du Parti démocrate s’étend sur plus de quatre décennies.

Le Parti démocrate est le plus ancien parti politique capitaliste au monde. Son existence remonte à 1828, et au cours de sa longue histoire, il a perfectionné l’art de détourner l’opposition populaire à l’inégalité par la combinaison habile de la démagogie et de la tromperie.

L’ancien représentant du Texas Beto O’Rourke donne son appui au candidat démocrate à la présidence, l’ancien vice-président Joe Biden, lors d’un rassemblement de campagne le lundi 2 mars 2020 à Dallas. (AP Photo/Richard W. Rodriguez)

Il s’agit du parti d’Andrew Jackson; de l’expulsion forcée des Amérindiens; de la sécession du Sud; de la ségrégation de Jim Crow, de l’exclusion des Chinois; des rafles Palmer et de la destruction d’Hiroshima et de Nagasaki par la bombe atomique.

Le Parti démocrate est le cimetière des mouvements sociaux. Il a désarmé le mouvement populiste grâce à William Jennings Bryan et étouffé les rébellions industrielles des années 1930 grâce à Franklin Delano Roosevelt, au Front populaire et à la Fédération américaine du travail. Il a désarmé les protestations contre les inégalités et les guerres au Vietnam et en Irak et a intégré l’opposition dans des campagnes primaires «de gauche» pour ensuite choisir un candidat plus à droite que le précédent pendant 40 ans. Cela s’est répété en 2016, lorsque Sanders' a demandé à ses 13 millions de partisans de voter pour Hillary Clinton. Et cela se répète aujourd’hui en 2020.

La deuxième leçon du «Super mardi» est que la politique raciale activement promue par la pseudo-gauche depuis des décennies a des conséquences de droite de grande portée. La question raciale a été la principale arme utilisée par le Parti démocrate contre Sanders la semaine dernière.

Le Parti démocrate a mobilisé les représentants corrompus de la bourgeoisie et de la petite-bourgeoisie afro-américaines pour proclamer que Joe Biden représente la véritable voix de «l’Amérique noire». De James Clyburn à Al Sharpton, une litanie de politiciens afro-américains a explicitement déclaré que la solidarité raciale – et non la classe – est fondamentale.

Le Parti démocrate est bien entraîné à utiliser la «race» pour manipuler le mécontentement social et supprimer les griefs de classe derrière ses propres objectifs réactionnaires. C’est ironique que le Parti démocrate contemporain ait fait de Biden un défenseur des Afro-Américains dans les mêmes États où il a supervisé la ségrégation il y a une cinquantaine d’années. C’est doublement ironique que Biden ait fait l’an dernier l’éloge des sénateurs ségrégationnistes James Eastland et Herman Talmadge, qu’il a cités comme exemples de «civilité» politique et qu’il ait appuyé des lois «sévères contre la criminalité» qui ont fait incarcérer des centaines de milliers de Noirs au cours du dernier quart de siècle.

Biden a remporté une victoire écrasante parmi les Afro-Américains âgés du sud, dominant les régions où la proportion de pratiquants réguliers est élevée. En Caroline du Nord, où 10 pour cent de l’électorat était composé d’électeurs noirs de plus de 60 ans, Biden a remporté 66 pour cent des voix contre 11 pour cent pour Sanders. Les jeunes électeurs noirs du Sud, qui sont beaucoup moins conservateurs que leurs parents et grands-parents, étaient cependant plus susceptibles de soutenir Sanders, bien que la participation des jeunes ait diminué au niveau national par rapport à 2016.

Parmi tous les États du «Super mardi», Biden a obtenu les meilleurs résultats parmi les électeurs qui ont déclaré que les «relations raciales» étaient la question la plus importante, battant Sanders de 48 à 22 pour cent. Sanders a dominé parmi les électeurs qui ont cité «l’inégalité sociale», menant Biden 35 à 28 pour cent.

Un phénomène similaire s’est produit parmi les électrices des pays riches en dehors du Sud, démontrant l’impact du féminisme de droite. En dehors du sud, Sanders a reçu le plus faible soutien des femmes blanches diplômées de l’enseignement supérieur. Il n’a obtenu que 20 pour cent des voix de ce groupe démographique dans le Massachusetts, 25 pour cent en Californie et 18 pour cent dans le Minnesota.

Les résultats démontrent l’impossibilité de combiner la politique identitaire avec la lutte pour le socialisme. La première est basée sur la division et la lutte pour les privilèges. La seconde s’enracine dans la lutte pour l’unité de la classe ouvrière du monde, au-delà de l’origine ethnique et culturelle.

La troisième leçon de l’élection de mardi est que la politique du Parti démocrate de Sanders a produit une baisse de la participation des jeunes électeurs en 2020 par rapport à 2015. Cela montre que, contrairement à ce que prétend Sanders – qu’il est capable de mobiliser les jeunes électeurs –, de nombreux jeunes recherchent des solutions bien plus radicales que ce que le Parti démocrate a à offrir.

Il reste trois mois et demi avant la convention du Parti démocrate en juillet. Peut-être la classe dirigeante décidera que Sanders a un rôle à jouer dans l’élection de 2020.

Mais même au moment où ces lignes sont lues, les lecteurs peuvent être sûrs que Sanders est déjà en discussion avec le Parti démocrate pour déterminer comment il peut servir au mieux le parti en novembre. Sanders n’a pas critiqué sérieusement Biden après l’élection de mardi et a commencé mercredi à diffuser des publicités qui font l’éloge de l’administration de droite d’Obama.

Le coprésident de la campagne californienne de Sanders, Ro Khanna, a annoncé que Sanders allait atténuer les appels à la «révolution politique». Politico a rapporté que Khanna a déclaré que Sanders «ferait davantage appel aux électeurs plus âgés et aux démocrates traditionnels». Sanders s’est déjà engagé à soutenir le candidat de droite qui remportera l’investiture. Tout comme en 2016, cela ne pourra que mal se finir pour les partisans de Sanders.

Le Parti de l’égalité socialiste (SEP) présente Joseph Kishore et Norissa Santa Cruz comme président et vice-présidente. Notre intervention est basée sur la lutte pour briser l’emprise des partis capitalistes sur la classe ouvrière aux États-Unis et au niveau international.

L’expérience du Super mardi a puissamment justifié l’analyse du World Socialist Web Site. Dans une déclaration du 21 février 2019 intitulée «Bernie Sanders annonce sa campagne présidentielle pour 2020», le WSWS a écrit:

«La fraude fondamentale promue par Sanders et des individus comme Alexandria Ocasio-Cortez, est que le Parti démocrate peut être poussé à gauche et qu’on puisse en faire une force de changement progressiste. Articulant cette fiction politique, Bhaskar Sunkara, rédacteur en chef de Jacobin et membre influent des Socialistes démocrates d'Amérique (DSA), a proclamé mardi dans une chronique du journal The Guardian: «Sanders a lancé une révolution en 2016. Il peut l'achever en 2020» …

Les démocrates n’ont cessé de promouvoir la politique identitaire, notamment par le biais de la chasse aux sorcières #MeToo, qui sert à diviser la classe ouvrière. En même temps, elle sape les droits démocratiques fondamentaux tels que le droit à un procès équitable et à la présomption d’innocence. La simple association de Sanders avec l’opposition aux inégalités économiques a suscité des reproches au sein de son propre parti. Ces derniers entendent, comme en 2016, faire de la politique raciale, sexuelle et de genre la base d’une campagne de droite. Une telle campagne viserait à mobiliser les sections privilégiées de la classe moyenne supérieure derrière Wall Street et l’armée.

Les événements de mardi confirment cette analyse.

Kishore et Santa Cruz sont les seuls candidats qui luttent pour mobiliser la classe ouvrière indépendamment du Parti démocrate. La campagne du SEP est le fer de lance de la lutte pour éduquer la classe ouvrière. Nous luttons pour convaincre les travailleurs et les jeunes qu’ils ne peuvent libérer leur immense pouvoir social qu’en se détachant du Parti démocrate. Ils doivent lutter pour leur indépendance politique et en s’engageant dans la lutte internationale contre l’ensemble du système capitaliste. Nous invitons nos lecteurs à suivre notre campagne, à y participer activement et à lutter pour une politique socialiste indépendante dans la classe ouvrière à l’échelle mondiale.

(Article paru en anglais 5 mars 2020)

Loading