Des émeutes éclatent dans les prisons alors que Rome étend le verrouillage des coronavirus à toute l’Italie

Tard dans la soirée de lundi, le Premier ministre italien Giuseppe Conte a annoncé l’extension à l’ensemble du pays des ordres de quarantaine partielle donnés dimanche pour le nord de l’Italie. Cette décision est intervenue après que 1797 nouveaux cas de coronavirus et 97 décès dus à la maladie ont été signalés en Italie, portant le total à 9172 cas et 463 décès. La contagion s’étend à toute l’Europe avec 557 nouveaux cas en Espagne, 203 en France et 184 en Allemagne.

L’annonce de Conte est intervenue alors que des émeutes dans les prisons du nord de l’Italie explosaient. Ces émeutes étaient la réaction des prisonniers à la suppression par les autorités des droits de visite des familles, prétendument pour empêcher les détenus d’attraper la maladie de leurs familles. Les familles des détenus ont également protesté à l’extérieur des prisons contre le refus des autorités de libérer les prisonniers ou de leur fournir une protection quelconque contre la contagion à l’intérieur des prisons surpeuplées. Le gouvernement de Conte a envoyé des unités de police et de l’armée pour réprimer violemment les prisonniers, tuant six d’entre eux.

Les détenus protestent contre les nouvelles règles pour faire face à l’urgence du coronavirus. Notamment, la suspension des visites des proches. Ils se trouvent sur le toit de la prison de San Vittore à Milan, en Italie, le lundi 9 mars 2020. (AP Photo/Antonio Calanni)

En lisant les remarques préparées, Conte a déclaré: «Les chiffres nous disent que nous avons une croissance importante des infections, des personnes hospitalisées en soins intensifs et non-intensifs, et malheureusement des personnes décédées. Nos habitudes doivent donc changer. Elles doivent changer maintenant. J’exige des mesures encore plus strictes et plus fortes immédiatement. Je suis sur le point de signer une mesure que nous pouvons résumer par “Je reste à la maison”. La zone rouge n’existera plus sur la péninsule italienne. Toute l’Italie sera dans la zone d’urgence.»

Les autorités imposent un régime draconien. Toutes les écoles, universités, musées et grands événements publics italiens doivent être fermés jusqu’en avril. Tous les déplacements autres que ceux liés à des raisons urgentes de santé ou de travail sont interdits. Les bars et restaurants ne peuvent rester ouverts que s’ils veillent à maintenir une distance minimale entre tous les clients.

Ces mesures, qui s’appliquaient auparavant à 16 millions de personnes, vont être étendues à l’ensemble des 60,5 millions d’habitants de l’Italie dans une tentative désespérée d’enrayer la propagation du virus.

La dévastation du système de santé italien par des décennies d’austérité de la part de l’Union européenne (UE) et la réaction initiale et imprudente des autorités de l’État face au coronavirus ont des conséquences terribles. La rapidité de la propagation de la maladie dépasse les promesses insuffisantes de Conte d’obtenir 8 milliards d’euros pour la combattre, et les hôpitaux rationnent les soins car ils sont débordés par un nombre de patients atteints de coronavirus dans un état critique supérieur à celui des respirateurs dont ils disposent pour les maintenir en vie.

Giorgio, un médecin de Brescia près de Milan, a déclaré au quotidien français Libération que la situation est «terrible, les gens à l’extérieur ne s’en rendent pas compte». Il explique: «Au début, quand les premiers patients sont arrivés, nous ne comprenions pas la gravité de la situation. Nous les avons accueillis sans masque. Depuis, nous les portons, et avec des gants et des combinaisons de protection. Je vis à l’écart de ma famille […] Mais quelques jours plus tard, le nombre de patients atteints de Covid-19 a explosé. Ils ont pris plus d’un quart des lits, puis la moitié, maintenant presque tout.»

Les médecins disent maintenant aux patients atteints de coronavirus de rentrer chez eux et d’attendre de voir si leurs symptômes de pneumonie s’aggravent. C’est-à-dire s’ils doivent se faire hospitaliser pour une oxygénation ou une ventilation d’urgence. Les patients dans un état critique inondent maintenant les hôpitaux. On est obligé de les placer dans les couloirs des hôpitaux. Ils reçoivent des médicaments antipaludéens d’urgence ou des médicaments antiviraux habituellement prescrits pour le sida. Cependant, environ 5 % des patients ne réagissent pas à ce traitement et ont besoin d’une ventilation d’urgence pour survivre.

Au départ, les hôpitaux traitaient tous ceux qui développaient des symptômes critiques, a déclaré Giorgio à Libération, mais «maintenant, nous n’envoyons que les plus jeunes patients». Les anesthésistes nous demandent de ne pas leur envoyer de patients âgés qu’ils ventileront sans succès pendant 15 à 20 jours. Au départ, le seuil était de 80 ans. Maintenant, vu la détérioration et la gravité de la situation, il est de 70 ans et toute personne qui présente d’autres pathologies.» Cela suscite l’opposition des médecins, a-t-il noté, mais «dans la pratique, les directeurs des hôpitaux qui disposent de ressources pour des soins plus intensifs refusent de prendre nos patients âgés.»

Giorgio a déclaré qu’un ou deux patients meurent par jour dans son hôpital, ce qui l’a amené à demander si «le nombre de décès se trouve très largement sous-estimé». Il a ajouté: «Dans mon service, on est 11 médecins, deux d’entre nous ont de la fièvre. On m’a testé mardi, je n’ai pas encore eu mon résultat. Nous avons probablement tous le virus. Mais nous n’avons pas encore de symptômes, et vu l’urgence médicale, nous devons tous continuer à travailler.»

De telles conditions, qui foulent aux pieds les droits sociaux fondamentaux tels que le droit aux soins médicaux et le droit à des conditions de travail sûres, exposent la faillite du capitalisme. Elles sont le produit de politiques européennes imposées pendant des décennies en dépit de l’opposition de la classe ouvrière, pour enrichir l’aristocratie financière italienne et européenne. Ces politiques ont dépouillé les hôpitaux publics jusqu’à l’os et les ont laissés sans préparation pour une épidémie majeure. Près de deux décennies après que la première épidémie de SRAS de 2002-2003 a clairement montré que les épidémies de ce type de virus constituaient une menace majeure.

Les quarantaines sévères imposées en Chine ont permis au reste du monde de gagner du temps pour se préparer à l’arrivée du virus, et ont largement permis de maîtriser l’épidémie en Chine. Cependant, les gouvernements européens ont échoué lamentablement: le personnel de santé de tout le continent a été laissé sans préparation et vulnérable à la propagation de la maladie.

Les détenus dans les prisons ou les camps de réfugiés constituent une autre population extrêmement menacée. Quarante-deux prisons en Italie ont un taux de surpopulation de plus de 150 pour cent, laissant les détenus désespérément vulnérables à une maladie hautement contagieuse, mortelle et incurable comme le coronavirus.

Après que l’Iran ait libéré 70.000 détenus pour tenter d’empêcher la propagation du coronavirus dans ses prisons, les détenus d’au moins 27 établissements de la péninsule italienne ont protesté ce week-end et hier pour réclamer leur liberté et le droit de voir leur famille. Le gouvernement italien a répondu par une répression sanglante.

Samedi, 200 prisonniers se sont barricadés sur le toit d’une prison à Salerne, près de Naples; les protestations se sont ensuite étendues à Poggioreale, Pavie, Frosinone, Vercelli, Alessandria, Foggia, Modène et au-delà. Les prisonniers de la prison de San Vittore à Milan écrivent «pardon» sur une feuille qu’ils brandissent sur le toit de la prison.

Les troupes de l’armée et la police militaire des carabiniers ont agressé des détenus protestataires qui tentaient de fuir le pénitencier de Sainte-Anne à Modène, tuant six personnes. La prison se trouve près du cœur de la zone la plus touchée par le coronavirus.

La femme d’un détenu a écrit au groupe de défense des droits des prisonniers Antigone pour l’avertir: «Si le virus se frayait un chemin jusqu’à ces murs froids, ce serait la fin. Mon mari a des problèmes de santé, la prison est petite et la population est deux fois la taille pour laquelle elle était prévue. Une seule maladie suffirait à infecter le reste des détenus.»

D’autres, dont les proches ont presque fini leur peine de prison, ont demandé une libération anticipée des prisons insalubres où de nombreuses maladies circulent déjà.

(Article paru d’abord en anglais 10 mars 2020)

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