La réponse de Merkel au coronavirus: mesures draconiennes pour la population allemande, prêts illimités pour les entreprises

La chancelière allemande Angela Merkel a annoncé des mesures d'urgence radicales lors d'une conférence de presse lundi soir, en réponse à l'escalade rapide de la pandémie de coronavirus. La chancelière a déclaré qu'elles comprenaient des mesures « très restrictives » qui n'ont pas été vues en Allemagne depuis la guerre.

Les frontières extérieures ont été en grande partie fermées et des contrôles stricts mis en place aux points de passage frontaliers. On a dit aux entreprises en général de fermer, à l'exception des supermarchés, des pharmacies, des stations d'essence et des banques. Les heures d'ouverture des restaurants sont désormais sévèrement limitées, avec des réglementations visant à assurer une distance minimale entre les tables et à limiter le nombre de clients.

Toutes les écoles, universités et installations sportives et récréatives doivent être fermées. Les réunions dans les collèges communautaires, les écoles de musique et autres établissements privés d'enseignement et de loisirs sont également interdits. Les services religieux aussi sont interdits, y compris dans les églises, les mosquées et les synagogues.

Merkel pendant sa conférence de presse à la chancellerie lundi soir (photo AP/Markus Schreiber, pool)

Ces mesures étaient en réponse à la propagation rapide du coronavirus en Allemagne, qui aurait dû être endiguée beaucoup plus tôt. Le nombre de personnes infectées est passé de 4 800 le week-end à plus de 11000 mercredi soir, avec plus de 26 décès. Cela est dû au fait que le gouvernement fédéral a réagi avec une négligence maligne à la propagation de la pandémie et à la croissance rapide des cas en Italie et en Espagne en particulier.

La réduction des contacts sociaux physiques est essentielle pour ralentir la propagation exponentielle de la pandémie - tous les experts sont d'accord sur ce point. Mais alors que la liberté de mouvement de la population est considérablement réduite, le gouvernement ne fait pratiquement rien pour lutter activement contre cette dangereuse maladie.

Pas un mot dans l’allocution de Merkel sur la nécessité de procéder à des tests universels de dépistage du virus. Pourtant, l’expérience de la Chine et de la Corée du Sud montrent clairement que des tests généralisés sont décisifs pour contenir le virus. L'Organisation mondiale de la santé a également recommandé de toute urgence une telle approche. Merkel n'a pas annoncé de mesures supplémentaires pour augmenter la capacité des hôpitaux.

Ce n'est pas la vie des gens, mais les profits des grandes entreprises qui sont la principale priorité du gouvernement. « Nous voulons maintenir autant que possible les processus économiques », a déclaré Merkel au début de sa conférence de presse. Bien qu'elle ait noté combien les contacts sociaux étroits étaient dangereux pour la propagation du virus, le domaine où des milliers de personnes sont chaque jour côte à côte pendant des heures brillait par son absence dans sa liste d'interdictions: les usines.

Les travailleurs sont contraints de continuer à travailler, même dans des secteurs de l'industrie qui n'ont absolument rien à voir avec la garantie des nécessités essentielles de la vie.

Les écoles ont été fermées, mais les enseignants sont obligés d'entrer dans des bâtiments contaminés et de rédiger des plans de service d'urgence. Il en va de même pour les jardins d'enfants et les garderies.

Vendredi dernier, le gouvernement fédéral a annoncé un plan de sauvetage pour les entreprises et les banques « d'un montant illimité ». Alors que la grande coalition et la précédente coalition du Parti social-démocrate (SPD) et du parti Vert ont réduit à l'extrême les dépenses de santé et de services sociaux, pendant des décennies, au moins 500 milliards d'euros seront mis à disposition pour protéger les banques et les grandes entreprises contre la crise du coronavirus. C'est plus que la totalité du budget fédéral annuel ou que le fameux plan de sauvetage des banques en 2008.

« Nous avons assez d'argent et nous l'utilisons », a déclaré le ministre des finances Olaf Scholz (SPD), un défenseur acharné de l'équilibre budgétaire et de l'absence de nouvelle dette publique face aux appels à une augmentation des retraites ou des prestations sociales.

Scholz et le ministre de l'économie Peter Altmeier (chrétien-démocrate) affirment constamment qu'il s'agit de « sauver les salariés et les entreprises » et mettent l'emploi en avant. Mais c’est de la poudre aux yeux. Déjà lors du sauvetage des banques en 2008, il avait été question du besoin de créer un filet de sécurité sociale pour les salariés. Il en a résulté des programmes d'austérité et une réduction drastique des dépenses sociales pour les travailleurs, tandis que l'élite financière s'est enrichie de manière exponentielle.

Le programme comprend des mesures visant à faciliter l'accès à l’aide pour le chômage technique, la prise en charge par l'État des contributions patronales de sécurité sociale, à offrir des liquidités considérables aux entreprises et à permettre aux entreprises de différer le paiement des impôts.

Le caractère de classe des politiques de la grande coalition ne pourrait guère être plus clair. Alors qu’on refuse les tests de dépistage du coronavirus et que les travailleurs sont contraints, malgré la menace immédiate d'infection, d'entrer dans les usines, l'État ouvre le Trésor public sans restriction à l'oligarchie financière.

Les grandes entreprises, en particulier, en profiteront. Alors que les prêts de la Banque de reconstruction (KfW), contrôlée par l'État, étaient jusqu'à présent accessibles aux petites et moyennes entreprises dont le chiffre d'affaires annuel ne dépassait pas 500 millions d'euros, cette limite sera désormais portée à 2 milliards d'euros. Et dans les programmes déjà existant pour les grandes entreprises, la limite pour le paiement des intérêts sera portée à celles ayant un chiffre d’affaires de 5 milliards d'euros. La prise en charge du risque par la KfW sera en outre portée à 80 % du prêt total.

« Le gouvernement fait un chèque en blanc », tel était le titre de l'article du quotidien de droite Frankfurter Allgemeine Zeitung. « On met le paquet » a déclaré le ministre des finances, Olaf Scholz, qui ajoute « On y va au bazooka ».

Bien que ce plan de sauvetage financier gigantesque aura des conséquences politiques de grande envergure et déclenchera des mesures d'austérité radicales, il n'a pas fait l'objet d'un débat sérieux au Parlement fédéral ou des parlement des Lands. En un seul jour, il a été adopté par le cabinet, voté par les deux chambres du Parlement fédéral et signé par le président. Jamais renflouement financier aussi vaste n'a été adopté aussi rapidement par le Parlement. Les députés n'ont même pas eu le temps d’en lire le texte, et encore moins d'en discuter au sein des commissions compétentes.

Les représentants des organisations patronales étaient ravis. Ingo Kramer, le président du syndicat patronal allemand, a qualifié le plan de sauvetage de mesure appropriée. Le directeur de l'association des employeurs de la métallurgie, Oliver Zander, a déclaré, « nous sommes extrêmement satisfaits ». La semaine dernière encore, son association avait exigé précisément la mesure adoptée par le gouvernement.

Les syndicats et le Parti de gauche se joignirent à cette jubilation. « Il n'y a pas eu autant d'unité entre les syndicats et le patronat depuis longtemps », commenta le Tagesschau, le journal télévisé le plus suivi d'Allemagne. « Les principaux représentants des deux parties » avaient « indiqué qu'ils approuvaient fortement ce que le Parlement fédéral avait approuvé et le gouvernement annoncé pour lutter contre les suites économique de la crise du coronavirus ».

Les intérêts conflictuels des travailleurs et des employeurs ne jouent pas un rôle majeur dans les conditions actuelles, a déclaré Reiner Hoffmann, chef de la Confédération allemande des syndicats, mais plutôt la responsabilité commune de veiller à ce que l'économie continue de tourner. Il était nécessaire de « montrer que nous sommes capables d'agir dans une telle situation de crise ».

Dietmar Bartsch, chef du groupe parlementaire du Parti de gauche, a déclaré à Deutschlandfunk que tout devait être fait pour que l'économie continue de tourner alors que le virus se propageait. Face à la crise, ce n'était pas, pour l'opposition, le moment de critiquer en grand, a-t-il ajouté. « Donc, ce que j'entends de Mme Merkel et de M. Söder : 'nous faisons tout ce qui est nécessaire et possible' – voilà l’approche de la raison ».

(Article paru en anglais le 18 mars 2020)

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