La chute des marchés reprend : pour Wall Street la pire semaine depuis 2008

Wall Street a terminé vendredi sa pire semaine depuis la crise financière de 2008, les actions ayant à nouveau chuté après une brève reprise. L’indice Dow Jones a terminé en baisse de 916 points, soit 4,6 pour cent, ce qui le porte à 35 pour cent sous son niveau record de la mi-février.

L’indice S&P 500 a chuté de 4,4 pour cent, portant sa perte de la semaine à 18 pour cent. Aucun signe à l’horizon d’une diminution de la vague des ventes alors que les effets du coronavirus se font sentir de plus en plus dans l’économie réelle.

Goldman Sachs a averti que le produit intérieur brut des États-Unis allait chuter de 24 pour cent au deuxième trimestre, et estime que les nouvelles demandes d’allocations chômage atteindront 2 millions lorsque les chiffres apparaîtront la semaine prochaine.

Hors la chute précipitée de la bourse, le développement économique le plus significatif de la semaine a été la transmission de la crise à tous les secteur du système financier ; aucune catégorie d’actifs n’est plus à l’abri.

Un tournant majeur fut atteint mercredi lorsque, contrairement à ce qui se passe dans des conditions «normales», les bons du Trésor américain, considérés comme une valeur refuge dans la tourmente des marchés, ont été liquidés. Le fait qu’ils soient vendus fait augmenter leur rendement.

La chute des marchés boursiers a eu un effet de cascade. Alors que les prêteurs lancent des appels de marge sur les prêts qu’ils ont émis pour financer leur spéculation boursière, les débiteurs sont contraints de vendre leurs actions, ainsi que d’autres actifs, afin d’obtenir des liquidités pour payer la marge.

De tels mouvements de vente généralisée pour obtenir des liquidités ont, à leur tour, conduit à des restrictions sur les marchés du crédit, menaçant un arrêt total du genre de celui qui s’est développé en 2008.

L’intervention de la Réserve fédérale américaine, qui a annoncé la reprise des achats d’actifs à hauteur de 700 milliards de dollars, ainsi qu’une intervention sur le marché du papier commercial, a fait baisser le rendement des bons du Trésor. Mais le resserrement du crédit s’est poursuivi sur d’autres marchés financiers.

Hier, la Réserve fédérale a annoncé qu’elle prenait des mesures pour tenter de stabiliser le marché américain des obligations municipales. Ce marché d’une valeur de 3,9 mille milliards de dollars a été fortement touché par la volatilité car les investisseurs se débarrassent de la dette des collectivités locales. Au cours de la semaine écoulée, jusqu’à mercredi, quelque 12,2 milliards de dollars furent retirés des fonds de placement municipaux.

La Réserve fédérale a déclaré qu’elle étendait son «programme de soutien au flux de crédit à l’économie en prenant des mesures pour améliorer la liquidité et le fonctionnement des marchés monétaires essentiels des États et des municipalités».

Selon un article du Wall Street Journal: «Sur le marché des obligations municipales où les dettes restent souvent sans être échangées pendant des mois, les conditions sont plus difficiles que les pires conditions dont se souviennent les investisseurs».

L’article notait que mercredi dernier, les taux avaient grimpé à 5,2 pour cent – contre 1,3 pour cent la semaine précédente – sur les obligations variables dont les taux sont révisés chaque semaine.

Pour illustrer l’effet de cette hausse, le journal indique que l’État du Wisconsin paierait environ 64.700 dollars d’intérêts la semaine suivante, contre environ 15.000 dollars précédemment, sur des avoirs en obligations à taux variable d’environ 58 millions de dollars.

Autre mesure de la Réserve fédérale : sa succursale de New York, qui dirige les opérations de marché de la banque centrale, a annoncé hier l’achat de titres adossés à des hypothèques pour une valeur de 15 milliards de dollars, suivie de 100 milliards de dollars supplémentaires au cours de la semaine prochaine.

La Réserve fédérale de New York a déclaré qu’elle était prête à «mener d’autres opérations d’achat dans les jours à venir si cela s’avérait approprié pour le bon fonctionnement du marché».

Alors que la crise financière se poursuit, de nouveaux champs de mines apparaissent.

L’un d’entre eux est le marché des obligations de prêt garanties (CLO), dans lequel des prêts potentiellement risqués sont regroupés en titres qui sont ensuite vendus aux investisseurs.

En les regroupant, ces prêts risqués peuvent être transformés en investissements mieux notés, ce qui permet d’obtenir un taux de rendement plus élevé que celui pouvant être obtenu ailleurs.

L’hypothèse sous-jacente de cette alchimie financière est que la diversification des prêts regroupés dans le paquet signifie que les problèmes dans un domaine seront compensés par la croissance dans d’autres, et que la valeur du titre sera maintenue.

C’est la même méthodologie que celle à la base du boom des prêts hypothécaires à risque. Dans ce cas, on avait supposé que les prix de l’immobilier ne chuteraient pas simultanément dans tous les domaines. Lorsque cette chute a eu lieu, la bulle a éclaté et a déclenché la crise financière de 2008.

Le marché des CLO est fondé sur l’hypothèse qu’un effondrement généralisé de l’économie n’aurait pas lieu – l’événement même en train de se produire rapidement à présent.

Alors que les marchés financiers s’effondrent, les mesures prises par la Réserve fédérale, comme celles de la Banque centrale européenne et d’autres banques centrales du monde – procéder à des achats massifs d’actifs financiers – le sont en prétendant qu’il s’agit là de mesures d’urgence qui seront retirées lorsque les conditions «normales» reviendront.

Mais ce que la crise a révélé, c’est que tout le système de mécanismes de marché s’est complètement effondré et qu’un retour en arrière est impossible.

Qu’y a-t-il de «normal», par exemple, dans le marché boursier lorsque la valeur des actions, largement gonflée après l’injection pendant des années d’argent ultra bon marché, est devenue totalement dissociée de l’économie réelle sous-jacente?

Et qu’est-ce qui constitue la normalité dans n’importe quelle partie du système financier lorsque, en raison du développement de mécanismes obscurs d’accumulation de profits par la spéculation, personne n’a la moindre idée de la valeur réelle d’un quelconque actif?

Les mesures d’urgence prises par les banques centrales ne sont pas temporaires, pas plus que ne l’était la fourniture continue d’argent ultra bon marché après le krach financier de 2008.

Elles signifient plutôt le développement d’une nouvelle étape dans l’effondrement du système capitaliste, dans laquelle les pouvoirs de l’État sont mobilisés dans leur totalité pour soutenir l’oligarchie financière.

La logique de ce processus est en train de se dessiner. Une branche de l’État, le gouvernement, s’endette pour financer le renflouement des entreprises, tandis que l’autre, la banque centrale, achète la dette.

Tous les dogmes du marché libre sont simplement abandonnés et on utilise le pouvoir de l’État pour mobiliser toutes les ressources de la société afin de garantir que la richesse des élites financières soit maintenue, toujours, bien entendu, aux dépens de la masse de la population.

(Article paru d’abord en anglais 21 mars 2020)

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