Perspectives

Alors qu’aux États-Unis les cas de COVID-19 dépassent tous ceux des autres pays

La démagogie du «retournez au travail» de Trump favorise la propagation de la pandémie

La pandémie de coronavirus continue de se propager dans le monde entier. Le nombre total de décès dans le monde s’élève à plus de 22.000. Jeudi, on a signalé plus de 6.000 nouveaux cas et 712 nouveaux décès en Italie, 6.600 nouveaux cas et 500 nouveaux décès en Espagne, et 6.000 nouveaux cas et 56 décès en Allemagne. Le virus commence seulement à se propager en Indonésie, au Brésil, en Inde et dans d’autres pays d’Asie et d’Amérique latine.

Le centre de l’accélération de la pandémie se trouve aux États-Unis. Avec le plus grand nombre de cas confirmés, soit plus de 85.000, ils ont maintenant dépassé l’Italie et la Chine. Les États-Unis ont compté 17.000 nouveaux cas hier, soit près de trois fois plus que tout autre pays. Le nombre de décès a grimpé à près de 1.300.

Dans ce contexte d’escalade de la crise, l’Administration Trump intensifie ses efforts pour promouvoir un retour rapide au travail.

«Nous devons nous remettre au travail», a déclaré Trump lors de sa conférence de presse de jeudi. «Notre peuple veut travailler, il veut retourner, il doit retourner… C’est un pays qui a été construit en accomplissant le travail, et notre peuple veut retourner au travail. Je l’entends haut et fort de la part de tout le monde».

Dans le monde imaginaire de Trump, «tout le monde» se rapporte d’abord à lui-même. Puis, à une pléthore de dirigeants d’entreprise qui veut que les travailleurs reprennent le travail et produise des masses de bénéfices, peu importe l’impact sur la santé publique.

Trump poursuit, comme perdu dans une sorte de rêverie étrange: «Ils doivent retourner au travail. Notre pays doit y retourner. Notre pays est basé sur cela. Et je pense que cela va arriver assez rapidement…»

Plus tôt dans la journée, l’Administration a envoyé une lettre aux gouverneurs des États annonçant qu’elle actualiserait ses directives sur la «distanciation sociale» au début de la semaine prochaine, pour faire pression en faveur d’un assouplissement des mesures qui ont mis fin à la production non essentielle dans de nombreux États du pays.

Les exigences de l’Administration Trump contredisent les recommandations de tous les épidémiologistes et professionnels de la santé. Yonatan Grad, professeur adjoint d’immunologie et de maladies infectieuses à l’université de Harvard, a déclaré à Medscape cette semaine que «la distanciation sociale est vraiment la chose essentielle que nous pouvons faire maintenant». Une retraite trop hâtive de la distanciation sociale risque de menacer notre infrastructure de soins de santé et aura d’énormes conséquences économiques».

Larry Gostin, professeur de droit de la santé mondiale à l’université de Georgetown, a noté qu’il «serait totalement irresponsable d’inciter les gens à reprendre le travail et une vie sociale normale. Tout porte à croire que si les gouvernements lèvent trop tôt l’éloignement physique, cela entraînera une recrudescence importante des cas et des décès».

Pour justifier un ordre de retour au travail, Trump a accumulé les mensonges. Il a affirmé que «les tests se passent très bien», que les États-Unis ont testé beaucoup plus de personnes que la Corée du Sud, que l’Administration avait auparavant critiquée pour avoir trop testé. En fait, seuls 500.000 tests ont été effectués aux États-Unis, soit moins d’une personne sur 650, un taux bien inférieur à celui de la Corée du Sud. En Californie, un des centres de l’épidémie, seule une personne sur 2.000 a été testée.

Déborah Birx, la cheffe du groupe de travail de la Maison Blanche sur le coronavirus, a reconnu lors de la conférence de presse que les États-Unis ne testaient toujours pas les personnes ne présentant pas de symptômes graves. Cela signifie qu’on ne teste pas la grande majorité des personnes atteintes du virus. De plus, les médecins signalent toujours une pénurie de tests dans tout le pays.

Qui plus est, en effectuant des tests agressifs, la Corée du Sud a pu contrôler la propagation du virus à un stade relativement précoce. Aux États-Unis, pratiquement aucun test n’a été réalisé pendant des mois – ce qui a permis au virus de se propager dans tout le pays.

S’efforçant de minimiser la gravité de la pandémie, Trump a déclaré : «le taux de mortalité, à mon avis, est très, très bas». Et ce, dans des conditions où la ville de New York, qui représente 30 pour cent de tous les cas aux États-Unis, construit des morgues de fortune pour faire face à la hausse des décès. À la Nouvelle-Orléans, qui connaît actuellement la plus forte croissance de nouveaux cas dans le monde, les hôpitaux manquent de matériel et de place. Dans un contexte de pénurie nationale d’équipements de base, les hôpitaux discutent déjà de politiques visant à déterminer qui va vivre et qui va mourir.

Et puis, il y a le mensonge que les travailleurs «veulent retourner». En fait, si l’on a arrêté la production dans certaines industries c’est en raison de grèves sauvages et de congés maladie collectifs chez les travailleurs de l’automobile, les travailleurs sanitaires, de la construction navale, des transports en commun, de l’industrie alimentaire et d’Amazon

Ces derniers jours, les principaux dirigeants de Wall Street, ainsi que la page éditoriale du New York Times, affilié au Parti démocrate, ont insisté sur la nécessité d’un retour rapide au travail, sous le slogan «le remède ne peut être pire que la maladie».

Il y a dans cette exigence une logique de classe bien définie. Jeudi, le jour où un rapport paraissait montrant que les nouvelles demandes d’allocation chômage avaient grimpé à 3,3 millions, près de cinq fois plus que les précédents pics de 1982 et 2009, l’indice Dow Jones de l’industrie grimpait de plus de 6 pour cent. Les marchés financiers américains sont en hausse de près de 23 pour cent par rapport à leur plus bas niveau du début de la semaine.

En réponse à une question faisant état de la hausse record du marché, Trump a déclaré jeudi: «Ils pensent que nous faisons un très bon travail pour gérer toute cette situation liée au virus. Je pense qu’ils estiment que l’Administration, moi-même et l’Administration, faisons du très bon travail».

Le «bon travail» que Wall Street célèbre est l’adoption imminente, sur une base très majoritairement bipartite, de la loi «CARES» (Coronavirus Aid, Relief, and Economic Security). Trump a remercié les démocrates et les républicains du Sénat «pour avoir adopté à l’unanimité les plus importantes mesures de secours financier de l’histoire américaine». Parmi ceux qui ont participé à ce vote unanime, le sénateur du Vermont Bernie Sanders.

La présidente démocrate de la Chambre des représentants, Nancy Pelosi, avait déclaré jeudi s’attendre à un «vote bipartite fort» en faveur du projet de loi. Celui-ci fut voté presque à l’unanimité par la Chambre hier et Trump l’a promulgué quelques heures seulement après.

L’élément le plus important de ce projet de loi de deux mille milliards de dollars est la somme de 425 milliards de dollars du département du Trésor américain. Ce montant va soutenir quatre mille milliards de dollars ou plus d’achats d’actifs par la Réserve fédérale qui devrait plus que doubler son bilan actuel, pour atteindre10 mille milliards de dollars. Ces programmes, annoncés au cours des deux dernières semaines, comprennent l’achat d’actifs bancaires ainsi que, pour la toute première fois, le rachat direct de dettes d’entreprises. BlackRock, le plus grand gestionnaire d’actifs au monde, supervisera ces programmes.

En substance, le Congrès donne à la Réserve fédérale le pouvoir de fournir des sommes illimitées en espèces directement aux banques et aux sociétés géantes. En dernière analyse, ce sont l’exploitation du travail et l’extraction de bénéfices qui doivent rembourser ces sommes. La classe dirigeante a l’intention de contraindre les travailleurs à retourner au travail dans des conditions dangereuses grâce au chantage économique et, si nécessaire, par la force pure et simple. La police et l’armée sont prêtes à faire respecter la discipline du travail.

La pandémie de COVID-19 a mis à nu les profondes divisions de classe aux États-Unis. Pour l’Administration Trump et la classe dirigeante, «gagner la guerre» contre la pandémie signifie avant tout rétablir les meilleures conditions pour l’exploitation intensifiée de la classe ouvrière. Mais pour la classe ouvrière, le succès de la lutte pour contenir la propagation du coronavirus se mesure en vies sauvées et non en profits réalisés.

C’est là un conflit irréconciliable. La détermination de l’élite dirigeante à faire face à la pandémie sans saper le système de profit capitaliste conduit à l’autoritarisme et à la guerre. Les efforts de la classe ouvrière pour combattre la pandémie conduisent au socialisme.

(Article paru d’abord en anglais 27 mars 2020)

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