Coronavirus en Europe: les hôpitaux débordés deviennent des pièges mortels

À ce jour, la pandémie de coronavirus a fait plus de 23.000 morts dans le monde. Vendredi, les données de l'Université Johns Hopkins ont fait état de près de 44.000 cas confirmés en Allemagne, dépassant le nombre de cas en Corée du Sud (9.240) et en Iran (29.400), et se rapprochant rapidement des niveaux en Espagne (plus de 56.000), aux États-Unis (près de 76.500) et en Italie (près de 81.000), où le virus hautement infectieux a déjà tué plus de 8.200 personnes et continue de faire rage malgré un couvre-feu général.

Alors que l'armée dans le nord d'Italie transporte toujours des cercueils en dehors du territoire parce que les personnes décédées ne peuvent plus être accueillies par les crématoires complètement surchargés, les 24 heures de vendredi ont vu plus de 700 personnes succomber à la maladie.

L'inactivité criminelle des gouvernements européens ces derniers jours a conduit à un cercle meurtrier et vicieux de surmenage, d'infection et d'absences au travail dans les hôpitaux du continent. Mardi, les premiers signes de cette menace ont été annoncés par les instituts de recherche italiens. Selon ces informations, 5.760 des cas d'infection en Italie sont survenus parmi le personnel soignant.

Un reportage du New York Times donne un aperçu des conditions catastrophiques qui règnent déjà dans les hôpitaux européens. Dans la province de Brescia, centre de l'épidémie en Italie, 10 à 15 pour cent des médecins et infirmières ont été infectés et rendus inaptes au travail, selon un médecin de la région. Mais le problème est répandu dans toute l'Europe. En Italie, en France et en Espagne, plus de 30 médecins et infirmières sont morts du coronavirus, et des milliers d'autres ont dû s'isoler, selon le Times.

En France, 490 agents de santé ont été isolés en raison d'une infection par le virus. En Espagne, où le nombre de cas double tous les quatre jours, les autorités déclarent que 5.400 médecins sont infectés, soit près de 14 pour cent de tous ceux qui sont malades.

Dans les campagnes, selon le Times, certaines communautés espagnoles ont dû renvoyer à la maison jusqu'à 30 pour cent de leurs infirmières pour des raisons de santé au cours de la semaine dernière. Dans la capitale, Madrid, les morts en masse ont conduit au stockage temporaire des cadavres dans le stade olympique de patinage avant de les enterrer.

Dans les trois pays, le nombre de médecins et d'infirmières disponibles s'amenuise, conclut le journal. En même temps, le pourcentage de personnes infectées qui ne présentent actuellement aucun symptôme reste incertain. Comme ils ne sont pas suffisamment protégés dans leurs missions quotidiennes de porter secours et qu'il y a un manque de matériel de protection sur tous les plans, «les travailleurs [personnel soignant] infectés et leurs cliniques deviennent de plus en plus des porteurs de maladies ambulants».

Un porte-parole du syndicat espagnol des infirmières SATSE a déclaré au Times que même lorsqu'il était déjà connu que le virus se répandait dans les hôpitaux, on leur avait dit de limiter l'utilisation d'équipements de protection à des circonstances précises. L'absence de leurs collègues au travail, à son tour, a accru la pression sur le reste du personnel hospitalier, qui est déjà soumis à un stress extrême. Les hôpitaux espagnols comptent déjà parmi les pires sources d'infection du pays.

Les évaluations des principaux épidémiologistes et médecins ne laissent aucun doute sur le fait que la catastrophe qui a secoué l'Italie, l'Espagne et la France pourrait devenir une réalité amère en Allemagne dans les prochaines semaines si les mesures appropriées ne sont pas prises.

Vendredi dernier, Lothar Wieler, directeur de l'Institut Robert Koch, un institut de santé publique en Allemagne, a averti la presse que la pandémie était d'une «ampleur que je n'aurais jamais pu imaginer moi-même». Depuis lors, le nombre d'infections en Allemagne a presque doublé et le nombre de morts a quadruplé à 239. De plus, des épidémiologistes chevronnés estiment que le nombre de cas non déclarés pourrait s’élever à 10 fois plus que les chiffres officiels.

«Quiconque pense toujours que le système de santé allemand peut facilement faire face à une situation comme celle d'Italie n'a rien compris», a déclaré Der Spiegel en citant Gerald Gass, président de la Fédération hospitalière allemande. Les médecins et les directeurs d'hôpitaux ont averti le magazine d'informations d'une «catastrophe imminente» et des «effets massifs» de la pandémie.

Der Spiegel lui-même parle d'un «état d'urgence» et d'une «pénurie imminente de respirateurs». D'innombrables hôpitaux et personnel infirmier sont déjà à la limite absolue de leurs capacités. Au moins 17.000 postes d'infirmières sont actuellement vacants.

«Les patients sont simplement poussés directement dans l'unité de soins intensifs sans que personne ne cherche à savoir s'ils pourraient être contagieux», a déclaré une infirmière à Spiegel. «Avant même d’avoir eu le temps de faire un diagnostic, nous avons tous été en contact avec eux – et sans vêtements de protection.» L'ensemble du poste de travail est ensuite contaminé.

«Tenir compte du fait qu'un médecin ou une infirmière a déjà été infecté et pourrait ainsi devenir un risque pour les patients et les collègues n'est plus prise en compte à certains endroits», poursuit l’article en première page de Der Spiegel. «Une perte de personnel ne peut être compensée, malgré tous les efforts pour recruter des étudiants et des médecins retraités pour la crise.»

Le taux d'infection parmi le personnel soignant augmente rapidement dans toute l'Allemagne, comme en France, en Espagne et en Italie. En même temps, les vêtements de protection et les désinfectants se raréfient dans de plus en plus d'hôpitaux allemands, de sorte que certaines cliniques ont dû provisoirement acheter de l'alcool auprès de fabricants de peinture industrielle et de producteurs de viande, rapporte Der Spiegel. Le médecin principal d'une clinique privée de Bavière a ouvertement exprimé la situation inhumaine à laquelle le personnel soignant est confronté dans ces conditions: «Tout le monde travaille jusqu'à ce qu'il présente des symptômes. Sinon, la situation n’est plus gérable.»

De plus, la pression pour maintenir les profits fait en sorte que de nombreuses cliniques dépendent «des revenus des interventions de prothèses du genou, des opérations de la hanche ou des examens de cathéter cardiaque». Ces procédures lucratives sont toujours en cours, bien que les experts «les considèrent souvent comme inutiles».

Une lettre ouverte du personnel infirmier au ministère fédéral de la Santé, signée par 300.000 personnes sur Internet en quelques jours, cite une communication de l'Association des hôpitaux du Bade-Wurtemberg, qui a apparemment été coordonnée avec les ministères du Land: «Des efforts sont menés pour obtenir du matériel de protection, mais [...] on ne sait pas quand il sera disponible. Si aucun ne peut être organisé, nous devons simplement continuer à travailler sans protection».

Entre-temps, les informations dans les médias font état de plus en plus de personnes malades à la recherche de tests COVID-19 qui se retrouvent devant des cabinets médicaux fermés et sont ensuite obligées d'attendre dans le froid pendant des heures et de remplir d'innombrables documents avant d'en avoir accès à une clinique préfabriquée.

Partout où les taux d'infection augmentent rapidement, l'Europe n'a pas les nécessités de base pour lutter efficacement contre la pandémie. Par exemple, les infirmières de la région du Grand Est en France sont obligées d'envelopper leurs chaussures dans des sacs en plastique et du ruban adhésif parce que des combinaisons de protection sont introuvables.

Le Dr Klaus Reinhardt, président de l'Association médicale allemande, a récemment envoyé une lettre confidentielle au ministre fédéral de la Santé Jens Spahn, énumérant certaines des lacunes les plus importantes. Mercredi, il a déclaré à l'ancien éditeur de Handelsblatt, Gabor Steingart: «Depuis des semaines, les collègues travaillant dans les services de consultation externes et leur personnel travaillent sans protection adéquate. Le personnel infirmier rend visite aux personnes âgées soignées principalement à domicile et se déplace ainsi sans protection parmi le groupe de patients les plus à risque de mourir. Les médecins généralistes, qui dans leur pratique sont quotidiennement en contact avec des patients potentiellement infectés sans masque de protection, doivent néanmoins garantir les soins habituels de nombreux patients dans les EHPAD. Le cas d'une infection en chaîne dans un EPHAD à Würzburg avec neuf décès est un avertissement. »

Jean-Paul Hamon, président de la plus grande association française de médecins, a également exprimé «une inquiétude particulière» à la télévision française quant au manque de protection des infirmières en gériatrie et des médecins généralistes. Ces derniers représentent la majorité de médecins tués par le virus en France.

Dans les hôpitaux allemands, selon Reinhardt, les soins «normaux» des personnes atteintes de maladies mortelles commencent à s'effondrer parce que «les accidents vasculaires cérébraux, les crises cardiaques, les hémorragies cérébrales et les obstructions intestinales continuent de se produire sans changement». Pendant ce temps, poursuit Reinhardt, les médecins généralistes n'ont «plus de matériel de protection» et il «n'est pas en vente, pour personne, car il a simplement disparu du marché».

Les 20 masques par jour et par cabinet promis par le gouvernement «ne serviraient à rien» dans cette situation, et les masques réellement disponibles n'étaient «en aucun cas suffisants». Comme indiqué par Der Spiegel, dans certains cas, les cliniques doivent actuellement payer 25 fois le prix normal des masques respiratoires.

La cause immédiate de la grave pénurie de masques est qu'une cargaison de 6 millions de masques, qui aurait dû arriver en Allemagne le 20 mars, avait étonnamment «disparu sans laisser de traces». L'Office fédéral de l'équipement des forces armées est responsable de «l'approvisionnement central» des matériels de secours pour les coronavirus. Tel que rapporté par Der Spiegel, citant une note interne du département militaire, les masques nécessaires de toute urgence «ont disparu» sous les yeux des autorités de l'armée au Kenya. Le contexte de l'incident n'a pas été encore éclairci.

Entre temps, Attilio Fontana, président de la région italienne de Lombardie, a déclaré au magazine d'information qu'il «ne pourra bientôt plus proposer de traitement aux malades» car il n'y avait pas assez de respirateurs.

«Il y a un manque de matériel de protection partout, l'improvisation est répandue», a déclaré le docteur Antonio Antela au Times depuis son lit de malade à l'hôpital universitaire de Saint-Jacques-de-Compostelle, en Espagne. Le médecin avait été admis aux soins intensifs pour pneumonie et a testé positif pour le coronavirus. Hamon, également infecté, conclut: «L'État n'est pas du tout préparé. Il nous doit une explication.»

La véritable explication est que derrière le «chaos» apparent et la pénurie omniprésente, il y a une politique de classe qui a été consciemment poursuivie en Allemagne, en Italie, en France, en Espagne et dans d'innombrables autres pays par des gouvernements successifs depuis la dissolution de l'Union soviétique. Rien qu'en Allemagne, entre 1990 et 2010, environ 180.000 lits d'hôpital (26%) ont été supprimés, 360 hôpitaux (15%) ont été fermés et le nombre de lits d'hôpital pour les soins hospitaliers aigus a été considérablement réduit.

«Cette pandémie se dirige vers nous depuis des semaines de manière prévisible», note la lettre ouverte des infirmières au ministère de la Santé. La lettre, qui exige également des augmentations salariales importantes, explique: «Nous attendons de votre part concrètement [...] une organisation immédiate de l'approvisionnement en matériel de protection efficace, y compris par tous les moyens. En cas d'urgence, également en nationalisant les fabricants et leurs fournisseurs pour protéger les infirmières ».

Le Comité international de la Quatrième Internationale (CIQI) préconise d'unir les travailleurs à travers l'Europe et au-delà dans la lutte contre le virus et l'indifférence criminelle des gouvernements. Les effets de la pandémie mondiale sont, aux yeux de millions de personnes, la preuve du manque de scrupules et de la faillite morale, économique et politique de la classe dirigeante.

La classe ouvrière doit contrer cette politique avec son propre programme. Une déclaration du CIQI publiée le 28 février explique que la lutte contre la pandémie nécessite des mesures d'urgence coordonnées à l'échelle mondiale et la mise à disposition immédiate de milliers de milliards de dollars et euros. Ces revendications s'inscrivent dans une perspective socialiste internationale et doivent être mises en œuvre contre la résistance de tous les partis bourgeois et des syndicats. Nous invitons tous ceux qui sont d'accord avec ces revendications à nous contacter aujourd'hui.

(Article paru en anglais le 28 mars 2020)

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