Des millions de professionnels de la santé européens mis en danger par la négligence des gouvernements

Les décès de 2335 personnes supplémentaires en Europe à cause de la COVID-19 lundi ont porté le total sur le continent européen à 26.548. Il y a eu 24.334 nouveaux cas, ce qui porte le total à 409.797.

La France a connu son pire bilan quotidien avec 418 décès, portant le total à 3024. Après la Chine, l'Italie et l'Espagne, la France a désormais franchi le seuil des 3000 morts. Le directeur général de la Santé, Jerome Salomon, a rapporté que 5107 personnes étaient dans un état grave nécessitant un respirateur.

L'Italie a signalé 812 décès supplémentaires, ce qui porte son total à 11.591. L'Espagne a signalé 812 nouveaux décès, portant son total à 7340. La Grande-Bretagne a enregistré 180 décès supplémentaires, ce qui porte son total à 1408. L'Allemagne a signalé 19 nouveaux décès; elle a maintenant subi 560 décès de COVID-19.

Ces chiffres incluent de nombreux jeunes et des personnes qui n'ont pas de problèmes de santé sous-jacents. La semaine dernière, une adolescente de 16 ans à Paris sans complications de santé est devenue la plus jeune victime du virus en Europe. Sur les 260 personnes décédées samedi dernier au Royaume-Uni, 13 ne souffraient d’aucune comorbidité.

Les professionnels de santé qui manquent cruellement de ressources paient un lourd tribut à la lutte en première ligne contre la pandémie. Cette situation intolérable menace la santé et la vie du personnel soignant et de leurs familles et l'effondrement de systèmes de santé déjà débordés.

En Italie, 8358 membres du personnel soignant ont été déclarés infectés lundi. Soixante et un sont morts. Médecins sans frontières a envoyé une équipe à Codogno, dans le nord du pays, pour s'occuper des travailleurs hospitaliers et des assistants.

En Espagne, Fernando Simon, le chef du centre de coordination d'urgence du pays, a déclaré vendredi que 9444 travailleurs de la santé étaient infectés, contre 3475 il y a moins d’une semaine. Cela représente 12 pour cent des cas actuels. On estime que les chiffres réels sont beaucoup plus élevés. Au moins trois membres du personnel soignant sont décédés.

Au Royaume-Uni, un médecin sur quatre du Service national de santé (NHS) est malade ou s'isole avec des membres de sa famille malades, selon le Collège royal de médecine (RCP). Dans l' ensemble, le syndicat des infirmiers (RCN) a constaté que jusqu'à un cinquième de l'ensemble du personnel de santé de première ligne a été contraint de se mettre en congé pour s’isoler. Au cours du week-end, les deux premiers décès du corps médical ont été signalés. Le syndicat GMB estime que 4100 ambulanciers se sont également placés en isolement, soit environ 17 pour cent des ambulanciers paramédicaux.

Une étude publiée par la prestigieuse revue médicale britannique The Lancet a révélé que dans la province chinoise du Hubei, premier épicentre de la pandémie, 70 pour cent du personnel soignant en première ligne souffraient de niveaux de stress extrêmes, 50 pour cent souffraient de troubles dépressifs, 44 pour cent d'anxiété et 34 pour cent souffraient d'insomnie. Il y a eu plusieurs cas rapportés de suicide d’infirmières dans le nord de l'Italie.

La responsabilité de la tragédie qui se déroule dans les hôpitaux à travers l'Europe incombe entièrement aux élites dirigeantes, qui n'ont pas réussi à protéger le personnel soignant. Les informations faisant état de fournitures et de matériel de protection individuelle (EPI) inadéquats sont légion.

En France, les médecins ont récupéré des masques de réserve sur les chantiers de construction et les usines. Le biologiste François Blanchecott a déclaré à la radio France Inter: «Nous en faisons la demande aux maires, aux industries, à toutes les entreprises qui pourraient avoir une réserve de masques.»

Alain Colombie, un médecin de 61 ans, a posté en ligne une photo de lui-même nu, avec les mots «chair à canon» écrits sur un brassard, pour souligner le manque de protection. Sous la photo postée sur Facebook le 22 mars il a écrit: «Président Macron, vous demandez à vos petits soldats de partir au front sans armes et sans défense (masque, gel, surchemise) et bien sûr sans considération», parlant de «non-assistance à personne en danger».

Colombie a expliqué qu’il voulait «venir à la défense de toute ma famille de personnel soignant». Il a ajouté: «Je dénonce une impréparation coupable alors que moi je communique sur la Covid-19 depuis la fin du mois de janvier».

Les médecins de petits hôpitaux de Berlin en Allemagne, ont mis en garde contre la fermeture éventuelle d’établissements en raison d'un manque de masques, de lunettes et de combinaisons.

Le professeur Julio Mayol, directeur médical de l'hôpital Clinico San Carlos de Madrid, en Espagne, a déclaré: «C'est une situation difficile, elle est vraiment mauvaise et elle empire de jour en jour, car le nombre de patients COVID-19 positifs augmente.

«Nous pouvons leur fournir plus de lits, mais nous avons besoin d'équipement de protection individuelle, et il y a une pénurie mondiale, ce qui rend très difficile pour nous d'envoyer les personnels soignants se battre en première ligne sans l'équipement adéquat […] les professionnels de la santé s'infectent. J'estime que cela pourrait atteindre 25 pour cent dans un avenir proche si nous ne faisons rien».

Le Dr Natalia Silva, de l'hôpital San Juan de Deu près de Barcelone, a déclaré à Al Jazeera: «Nous devons porter des masques que nous devons jeter après un premier usage. Au lieu de cela, nous devons les porter pendant des jours. Nous avons également des lunettes de protection mal adaptées que nous devons partager entre plusieurs médecins.»

Le gouvernement espagnol a été contraint de recruter 50.000 travailleurs hospitaliers supplémentaires, y compris des diplômés récents et des médecins et infirmières à la retraite, pour combler le déficit qui se creuse rapidement.

Samedi, Richard Horton, rédacteur en chef de The Lancet, a écrit un réquisitoire cinglant sur la réponse du gouvernement britannique à la crise:

«Le Service national de santé (NHS) n'était absolument pas préparé à cette pandémie […] Le mois de février aurait dû être utilisé pour accroître la capacité de test des coronavirus, assurer la distribution des protections EPI approuvées par [l'Organisation mondiale de la santé] et établir des programmes de formation et des directives pour protéger le personnel du NHS. Ils n'ont pris aucune de ces mesures. Le résultat est le chaos et la panique à travers le NHS. Les patients mourront inutilement. Le personnel du NHS mourra inutilement. C'est, en effet, comme l'a écrit un agent de santé la semaine dernière, «un scandale national». La gravité de ce scandale doit encore être comprise.»

Horton a republié une sélection de messages déchirants qui lui ont été envoyés par des agents de santé en Grande-Bretagne:

«C'est terrifiant pour le personnel en ce moment. Toujours pas d'accès à un équipement de protection individuelle ou à des tests.»

«On a le sentiment que nous portons atteinte à la santé des patients.»

«Lorsque j'étais responsable pour gérer les affaires d’un pays donné dans de nombreuses zones de conflit, nous étions mieux préparés.»

«Les hôpitaux de Londres sont débordés.»

«Le public et les médias ne savent pas qu'aujourd'hui nous ne vivons plus dans une ville [Londres] avec un système de santé occidental qui fonctionne correctement.»

«Comment allons-nous protéger nos patients et notre personnel? […] Je suis sans voix. C'est tout à fait inadmissible. Comment peut-on faire ça? C'est criminel […] Le NHS England n'était pas préparé […] Nous nous sentons complètement impuissants».

Malgré les promesses du gouvernement conservateur Johnson de déployer des tests de masse sur les agents de santé, seulement 900 employés du NHS ont été testés pour la COVID-19 au cours du week-end.

Il y a deux semaines, le gouvernement a mené une enquête auprès des fabricants de textiles pour leur demander quels équipements de protection ils pouvaient fabriquer, mais il n’a pas recontacté les usines qui avaient répondu. Les mêmes usines déclarent avoir reçu des appels désespérés des hôpitaux locaux pour «tout ce que vous pouvez fabriquer».

Un document divulgué lundi montrait un inventaire de stock effectué par le service régional de Santé d'Irlande du Nord. Il a constaté que 32 des 33 produits EPI liés à la COVID-19 étaient répertoriés comme «en rupture de stock». Certains fournisseurs préviennent que les équipements de protection ne seront pas disponibles avant l'été.

De nombreux membres du personnel ont déjà été contraints d'acheter leur propre équipement de protection ou d'utiliser du matériel de fortune. Le hashtag #GetMePPE est en vogue sur Twitter, et les médecins et les infirmières ont mis en place un site de production participative, «GetUsPPE.org», pour lancer un appel aux dons. Au cours du week-end, le ministère de la Santé britannique a publié des directives sur l'utilisation des EPI qui fixent une norme nettement inférieure aux directives de l'Organisation mondiale de la santé (OMS).

Presque chaque jour apporte de nouvelles preuves des avertissements ignorés et de préparatifs non effectués. En 2017, le ministère de la Santé du gouvernement britannique a rejeté les conseils d'un comité consultatif indépendant recommandant de «fournir une protection oculaire à tous les personnels hospitaliers, communautaires, ambulanciers et sociaux qui sont en contact étroit avec des patients atteints de grippe pandémique. Selon le procès-verbal de la réunion, le comité a été invité à reconsidérer et, finalement, à abandonner ses conseils en raison «du coût supplémentaire très élevé de l'ajout d'une protection oculaire».

Selon le Guardian, un examen de la stratégie de sécurité biologique du Royaume-Uni en juillet 2019 axé sur les préparatifs pour les maladies infectieuses émergentes a été reporté puis annulé. Le professeur Sir Ian Boyd, ancien conseiller gouvernemental impliqué dans la rédaction de la stratégie, a expliqué: «Il était difficile d'obtenir des ressources suffisantes pour rédiger une stratégie de biosécurité correcte. Obtenir des ressources pour étayer correctement la mise en œuvre de ses propositions s’est avéré impossible.»

La classe ouvrière commence à prendre position contre cette négligence criminelle. À la suite de grèves et de protestations de travailleurs aux États-Unis et en Europe pour exiger des conditions de travail sûres, 500 employés d'entrepôt du détaillant de mode britannique ASOS ont débrayé samedi à Barnsley, dans le Yorkshire du Sud, pour protester contre les conditions de travail dangereuses.

Une campagne internationale de masse doit être développée pour la fermeture de toutes les usines et entrepôts non essentiels et pour exiger que les travailleurs impliqués dans les services essentiels de production, de santé et de soins soient avant tout pourvus d'un équipement de protection complet par le gouvernement et les employeurs. De telles mesures doivent être financées par la ponction des richesses amassées par les super-riches.

(Article paru en anglais le 31 mars 2020)

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