Le plan de sauvetage du gouvernement canadien accroît le contrôle des banques sur l'économie et l'État

Le gouvernement libéral du Canada canalise des centaines de milliards de dollars de soutien financier aux grandes banques et aux grandes entreprises du pays afin de garantir la richesse et les investissements des milliardaires et multimillionnaires du pays en pleine propagation de la pandémie de coronavirus. Pendant ce temps, les millions de travailleurs qui ont perdu ou vont bientôt perdre leur emploi reçoivent une aide tout à fait insuffisante par le biais de programmes temporaires improvisés.

Les soins de santé – nonobstant la pandémie mondiale – sont également laissés pour compte. Mercredi, la ministre fédérale de la santé Patty Hadju a admis que des années d'austérité ont laissé les hôpitaux du pays, qui sont surchargés dans le meilleur des cas, sans l'équipement indispensable pour lutter contre la pandémie. Pourtant, le gouvernement libéral n'injecte qu'un maigre financement d'urgence dans le système canadien de santé, en difficulté.

Les médias contrôlés par les entreprises, le premier ministre Justin Trudeau et son gouvernement libéral, les néo-démocrates et les syndicats ont créé une perception publique selon laquelle l'adoption par le Parlement du projet de loi C-13 le 24 mars dernier a permis de débloquer un généreux soutien, d'un montant total de 107 milliards de dollars, pour les travailleurs touchés par la pandémie. Tout cela n'est que mensonge. La part du lion de cette somme souvent répétée est engloutie par des reports d'impôts qui bénéficieront massivement aux grandes entreprises et aux riches.

En revanche, le gouvernement accorde aux travailleurs licenciés une prestation imposable de 2000 dollars, la Prestation canadienne d’urgence (PCU), et ce, pour une durée maximale de quatre mois. Les travailleurs admissibles à l'assurance-emploi, qui auraient eu droit à un maximum de 2292 $ par mois, ne peuvent plus obtenir les 292 $ supplémentaires par mois parce que le gouvernement a transféré toutes les demandes d'assurance-emploi faites après le 15 mars au système PCU.

À ce jour, le financement fédéral du secteur des soins de santé canadien, qui manque de ressources, a été limité à 3 milliards de dollars seulement. Ce n'est que le 10 mars que le gouvernement libéral fédéral a écrit aux provinces, qui sont responsables de la gestion du système de santé, pour déterminer leurs besoins en approvisionnement, alors que la menace d'une pandémie était claire depuis janvier.

En revanche, les sommes mises à la disposition de l'élite et des grandes entreprises sont littéralement illimitées. Elles comprennent:

 Un programme de 150 milliards de dollars pour racheter les hypothèques des banques.

 Un programme d'achat d'actifs de la Banque du Canada dans le cadre duquel elle achètera au moins 5 milliards de dollars d'actifs financiers chaque semaine, sans limite supérieure. Selon des estimations prudentes, cette initiative, communément appelée «assouplissement quantitatif», ajoutera 200 milliards de dollars au bilan de la banque centrale d'ici la fin de l'année.

 Une décision du Bureau du surintendant des institutions financières de réduire les exigences de fonds propres des grandes banques de 2,25 % à 1 %, fournissant ainsi aux principales institutions financières canadiennes une injection de liquidités de 300 milliards de dollars.

 Une myriade de nouvelles initiatives de rachat, telles que le mécanisme d'achat par acceptation bancaire, en vertu duquel diverses branches de l'État canadien achèteront des instruments financiers obscurs utilisés par les institutions financières et les entreprises pour fournir du crédit et répartir les risques, mais dont la valeur s'effondre en même temps que les marchés financiers.

Prises ensemble, ces mesures représentent plus de 650 milliards de dollars de fonds publics versés dans les coffres des grandes entreprises et de l'élite financière.

Les mécanismes mis en place pour faciliter ce vaste transfert de richesse sont conçus pour garantir non seulement que les banques puissent compenser leurs pertes, mais aussi qu'elles puissent s'enrichir davantage en agissant comme intermédiaires pour une grande partie des prêts d'urgence et de l'aide que le gouvernement accorde aux entreprises, grandes et petites, et aux propriétaires de maisons.

Prenons le Programme d'achat de prêts hypothécaires assurés de la Société canadienne d'hypothèques et de logement, doté de 150 milliards de dollars. Dans la mesure où les politiciens et les médias en parlent, ils présentent ce programme comme un moyen d'injecter des fonds dans les banques qu'elles utiliseront à leur tour pour «aider» les clients en difficulté, y compris les travailleurs, qui ne peuvent pas payer leur hypothèque.

Mais, comme cela a déjà été révélé dans un certain nombre de reportages des médias, les banques ajoutent tout report de paiements hypothécaires au total des sommes dues, ce qui signifie que les propriétaires de maison finissent par leur devoir encore plus d'argent. En outre, les banques ont rechigné à transférer les récentes réductions du taux préférentiel de la Banque du Canada en réduisant le coût des nouveaux prêts hypothécaires.

Les banques vont également récolter des millions en paiements d'intérêts et autres frais sur les prêts ou autres investissements accordés par le gouvernement aux entreprises. Parmi ces mesures figurent des garanties gouvernementales de 12,5 milliards de dollars pour que les banques puissent accorder des prêts aux exportateurs, ainsi qu'un programme de prêts de 40.000 dollars aux petites et moyennes entreprises. Les plans de sauvetage de plusieurs milliards de dollars prévus mais non encore annoncés publiquement pour des industries spécifiques, comme le pétrole et le transport aérien, seront également probablement acheminés via les banques.

L'ampleur du soutien potentiel du gouvernement au secteur privé ne connaît pas de limites. Un article du Globe and Mail a rapporté que la partie 8 du projet de loi C-13 permet au ministre des Finances, Bill Morneau, de créer une société ou une entité pour acheter des actifs d'institutions financières ou de sociétés privées, y compris des actifs matériels. Morneau «serait autorisé à détenir toutes les actions de cette société de portefeuille au nom du [gouvernement]. Le ministre aurait le pouvoir de fixer les règles de fonctionnement de la société, de lui donner des directives, et de la fusionner, la vendre, la liquider ou la dissoudre, y compris de vendre une partie ou de la totalité des actions de la société», a noté le journal.

Morneau, l'ancien propriétaire et directeur général de l'un des plus importants fonds de pension privés du Canada, a également le pouvoir, jusqu'au 30 septembre, de prêter toute somme d'argent à toute entreprise, de lui fournir une marge de crédit ou une assurance prêt, ou de garantir sa dette. Après cette date, ces mesures peuvent encore être prises après consultation du cabinet.

De manière significative, le Globe a cité comme exemple des mesures envisagées le sauvetage des activités canadiennes de Chrysler et de General Motors pour un montant de 13,7 milliards de dollars en 2009. Ce plan de sauvetage, mis en œuvre dans le contexte de la crise financière mondiale, a garanti la rentabilité des constructeurs automobiles grâce à des réductions de salaire massives, à la mise en place d'une structure salariale à plusieurs niveaux, à la suppression des avantages sociaux et à la destruction de milliers d'emplois dans le secteur automobile. Paul Booth, un haut fonctionnaire impliqué dans le sauvetage du secteur automobile, a fait remarquer au Globe que l'aide gouvernementale aux entreprises devrait être fournie à condition qu'elles puissent «se reconstruire après la crise.» En d'autres termes, les entreprises bénéficiant d'un soutien gouvernemental devraient être restructurées aux dépens des travailleurs afin de garantir le flux continu de paiements de plusieurs milliards de dollars aux dirigeants et aux actionnaires.

Alors que le niveau de vie des travailleurs sera encore plus réduit, les différents plans de sauvetage du gouvernement ne posent aucune exigence, même de caractère très limité, aux banques, comme la réduction des salaires et des primes des dirigeants ou la baisse des taux d'intérêt usuraires de leurs cartes de crédit. Au contraire, un article paru vendredi dans le Globe a rapporté que les grandes banques canadiennes se vantent qu’elles continueront à verser des dividendes aux actionnaires aux taux d'avant la crise, contrairement à leurs concurrents internationaux.

L'ampleur sans précédent du transfert de richesse du public vers le privé par le biais de la socialisation de la dette des entreprises privées produit un changement qualitatif dans la relation entre l'État et l'élite financière. Le gouvernement ne se contente pas de transférer des ressources aux mains des super-riches, mais engage des sociétés financières pour participer au travail effectué par des agences et des institutions officiellement publiques.

C'est ce que met en évidence la nouvelle selon laquelle la Banque du Canada a embauché BlackRock, le plus grand gestionnaire privé de patrimoine au monde, pour l'aider à gérer ses programmes d'achat d'actifs. Alors que la Banque continuera à gérer ses achats de dettes gouvernementales et municipales, BlackRock la conseillera sur le rachat de dettes d'entreprises dans le cadre de son nouveau Programme d'achat de papier commercial.

Comme l'a noté avec approbation le National Post, de droite, en choisissant de travailler avec BlackRock, le gouverneur de la Banque du Canada, Stephen Poloz, a «fait passer l'urgence avant les hésitations sur les pièges potentiels tels que les conflits d'intérêts, un processus d'appel d'offres précipité et une mauvaise optique.» Le quotidien favorable aux entreprises a même été contraint de constater que BlackRock est «devenu un symbole de la porte tournante entre le gouvernement et la finance», et a cité l'exemple de Jean Boivin, ancien vice-gouverneur de la Banque du Canada, qui est actuellement à la tête de la recherche chez BlackRock et qui est largement considéré comme un successeur potentiel de Poloz.

Les principales banques canadiennes seront également directement impliquées dans la gestion des actifs de la Banque du Canada nouvellement acquis. Gestion de placement TD supervisera son portefeuille, tandis que CIBC Mellon agira en tant que dépositaire: des services pour lesquels elles seront sans doute généreusement rémunérées.

L'intégration directe et ouverte de l'élite financière dans les institutions de l'État capitaliste à une échelle sans précédent est incompatible avec le maintien de formes démocratiques de gouvernement. Dans des conditions où les travailleurs sont confrontés à la double menace d'un effondrement économique sans précédent et de la probabilité croissante que le système de santé du pays, chroniquement sous-financé, cède sous l'effet d'une vague de patients atteints de la COVID-19, l'élite capitaliste au pouvoir orchestre le plus grand vol public de l'histoire du pays.

À cet égard, la nouvelle selon laquelle plus de 24.000 militaires sont prêts à être déployés dans tout le pays revêt une signification nouvelle et inquiétante. Bien que présentée dans les médias comme une étape nécessaire pour soutenir les autorités civiles débordées en matière de soins médicaux et de logistique, comme le transport, la réalité est que l'élite au pouvoir prépare la répression policière et militaire pour défendre ses vastes richesses contre l'éruption de la colère sociale qui, elle le sait, viendra inévitablement. Alors que des centaines de milliards de dollars sont déversés sur l'élite financière sans aucune condition, des millions de Canadiens sont au bord de la ruine économique. Comme le révélait une enquête menée par le cabinet comptable MMP avant l'annonce de mesures de confinement généralisées par les gouvernements à travers le Canada, 47% de la population est à 200 dollars de l'insolvabilité.

(Article paru en anglais le 4 avril 2020)

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