Sanders à ses partisans: c’est «irresponsable» de ne pas soutenir Biden

Quelques jours après avoir officiellement mis fin à sa campagne et soutenu Joe Biden, le sénateur du Vermont, Bernie Sanders, a intensifié ses efforts pour amener ses partisans à soutenir le porte-drapeau de droite de l’establishment du Parti démocrate.

Dans une interview avec l’Associated Press publiée mardi, Sanders a accusé d’«irresponsable» tous ses partisans qui ne font pas campagne pour Biden. «Sommes-nous aussi actifs que possible dans l’élection de Joe Biden et faisons-nous tout ce que nous pouvons pour faire avancer Joe et sa campagne dans une direction plus progressiste?» a-t-il demandé. «Ou choisissons-nous de laisser le président le plus dangereux de l’histoire américaine moderne se faire réélire?»

La colère et l’opposition des travailleurs et des jeunes à la capitulation lâche de Sanders à Biden sont très répandues. La réponse de Sanders est de déclarer: «je pense que c’est irresponsable de dire: “Beh… Je ne suis pas d’accord avec Joe Biden – je ne suis pas d’accord avec Joe Biden! – et donc je ne vais pas m’impliquer”».

Comme en 2016, mais dans un contexte social et politique beaucoup plus explosif, Sanders échange sa «révolution politique contre l’establishment» pour la misérable politique du «moindre mal».

Quelques points en réponse au sénateur Sanders.

Premièrement, soutenir Biden signifie soutenir les intérêts sociaux qu’il représente et le programme qu’il fait avancer. Biden, qui a été élu pour la première fois au Sénat américain en provenance de l’État du Delaware en 1972, a passé près de quatre décennies en tant que fidèle serviteur de la classe dirigeante. Il a un long passé de soutien à la guerre, à l’austérité, à la peine capitale et à l’incarcération de masse.

La catastrophe actuelle causée par la pandémie de coronavirus est la conséquence de la politique menée par la classe dirigeante et ses représentants, démocrates et républicains, depuis des décennies, Biden jouant un rôle essentiel. Des ressources inépuisables ont été canalisées vers les marchés boursiers et l’armée, tandis que les infrastructures sociales ont été démantelées et les inégalités ont atteint des niveaux record.

En tant que membre puis président de la commission sénatoriale sur les affaires étrangères, Biden a été l’un des principaux promoteurs du bombardement américain de la Yougoslavie (1999) sous Clinton, et des invasions américaines de l’Afghanistan (2001) et de l’Irak (2003) sous Bush. Il a voté pour le Patriot Act et l’expansion de l’espionnage intérieur illégal après les attaques terroristes du 11 septembre 2001, se vantant que la loi s’inspirait d’un projet de loi qu’il avait rédigé en 1995.

Biden a également voté pour l’abrogation de la loi Glass-Steagall en 1999, une étape importante dans la déréglementation des banques, augmentant considérablement la capacité des institutions financières géantes à se livrer à la spéculation et au pillage. En 2005, Biden a mené une campagne agressive pour la révision des lois sur la faillite des consommateurs, rendant beaucoup plus difficile pour les familles de la classe ouvrière d’échapper au fardeau de la dette.

En tant que vice-président sous Obama, Biden a supervisé le sauvetage des banques en 2008-09 ainsi que les guerres en Libye, en Syrie et au Yémen. Cela s’est ajouté à l’occupation continue de l’Irak et de l’Afghanistan et à la vaste expansion des assassinats de drones comme instrument de la politique étrangère américaine.

Au milieu de tout cela, on n’a rien fait pour se préparer à une pandémie, malgré les avertissements répétés des scientifiques et des épidémiologistes. Les démocrates, pas moins que les républicains, sont responsables de la destruction des infrastructures de soins de santé et du manque criminel de stocks de ventilateurs, de masques faciaux et d’autres équipements essentiels.

Deuxièmement, Sanders souhaite que tout le monde oublie ce qui s’est passé en 2016 et après. La canalisation de toute l’opposition derrière Clinton, la candidate largement détestée de Wall Street, a donné à Trump l’occasion de se présenter comme le seul candidat opposé au statu quo. Sanders a joué un rôle essentiel à cet égard en faisant campagne avec enthousiasme pour Clinton, comme il le fera maintenant pour Biden.

Après l’élection de Trump, la première réaction des Démocrates a été de s’engager à collaborer avec Trump sur les éléments clés de la politique de la classe dirigeante. Obama a déclaré que la compétition était une «mêlée» entre les deux camps d’une même équipe. Sanders lui-même a déclaré qu’il était «prêt à travailler avec» Trump sur la politique économique.

Et depuis trois ans et demi, les Démocrates cherchent à canaliser toute l’opposition à Trump derrière la campagne antirusse, en déclarant que la principale menace pour le peuple américain était Vladimir Poutine.

Quant à l’affirmation de Sanders selon laquelle il va faire évoluer le Parti démocrate et la campagne de Biden dans «une direction plus progressiste», c’est simplement un exercice de camouflage.

Sanders exhorte ses partisans à continuer à voter pour lui lors des primaires afin de l’aider à rassembler des délégués pour la convention du Parti démocrate afin de créer un «levier» pour «façonner la plate-forme du parti». Même dans le cadre de la politique électorale, cet argument est absurde. Quel «levier» Sanders aurait-il donné s’il avait déjà promis son allégeance inconditionnelle à Biden et sa détermination à le soutenir de toutes les manières possibles?

Fait encore plus important, il n’y a aucune différence significative entre les programmes de Sanders et de Biden. Comme Sanders s’est efforcé de souligner dans sa vidéo de soutien, les deux ne sont qu’«un peu» en désaccord.

L’asservissement de Sanders aux intérêts de la classe dirigeante est démontré par son vote en faveur du «CARES Act», cette loi fournissant de l’aide massive aux riches qui a été votée à l’unanimité au Sénat fin mars. Elle prévoit des centaines de milliards de dollars pour le sauvetage des entreprises et finance les milliers de milliards de dollars qui ont été donnés à Wall Street.

Après s’être livrée à des pillages et des vols d’une ampleur sans précédent, la classe dirigeante fait maintenant campagne pour un retour rapide au travail, une campagne à laquelle Biden a récemment donné son soutien.

Sanders – ainsi que la députée Alexandria Ocasio-Cortez et d’autres – joue un rôle auxiliaire alors que de puissantes factions de la classe dirigeante se regroupent derrière la campagne de Biden.

Le Washington Post a publié un éditorial hier, «La coalition anti-Trump se forme. La gauche et la droite doivent s’y joindre», affirmant que maintenant que Biden a obtenu le soutien de Sanders, il devrait s’efforcer de convaincre «les autres partis de droite» de le rejoindre également. Le quotidien a conseillé à Biden de ne pas faire trop de gestes creux aux partisans de Sanders. Selon le journal, ceci permettrait de «laisser de la place à sa droite pour les Républicains patriotes», y compris «ceux qui se soucient d’une défense nationale forte».

Le critique néoconservateur de droite, Max Boot, a publié un article d’opinion dans le Post en début de semaine intitulé: «Les Républicains qui n’aiment pas Trump n’ont pas d’excuses: soutenez Biden». Boot a déclaré qu’il aurait voté pour Sanders, «mais beaucoup de mes collègues anciens républicains ne l’auraient pas fait. Maintenant que Joe Biden va être le candidat démocrate, le choix est facile».

Boot a ensuite exhorté les Républicains, qui ont critiqué la politique étrangère de Trump, à se joindre à la «coalition», notamment l’ancien président George W. Bush, l’ancien vice-président Dick Cheney, l’ancien ministre de la défense de Trump, Jim Mattis, et l’ancien ministre de la sécurité intérieure de Trump, H. R. McMaster.

Le Parti démocrate, qui a tout fait pour saper la campagne de Sanders alors que le sénateur du Vermont remportait les premiers caucus et primaires, l’accueille maintenant. Le New York Times note dans un article publié hier, «L’establishment démocrate aime soudainement Bernie Sanders». On peut y lire: «Lorsqu’il gagnait les primaires, beaucoup de membres du Parti démocrate se méfiaient du sénateur du Vermont. Maintenant, c’est un ami, un compagnon de jeu d’échecs et [selon les termes d’Obama] un “original américain”».

En fait, le Parti démocrate ne s’est jamais inquiété de Sanders. Il est une quantité connue. Après avoir canalisé l’opposition derrière Clinton en 2016, il s’est fait récompenser par un poste au sein du caucus de la direction du Parti démocrate au Sénat américain. Aujourd’hui, il est sans doute à la recherche d’un poste dans une administration dirigée par Biden, ou de tout autre candidat de droite que les Démocrates finissent par choisir.

Ce qui a inquiété la classe dirigeante, c’est plutôt la colère sociale et la colère des travailleurs et des jeunes qui ont trouvé une expression temporaire et déformée dans le soutien à la campagne de Sanders. Ils étaient sous la croyance erronée que Sanders représentait une opposition à l’inégalité et au capitalisme.

Cette colère sociale n’a pas disparu, quoi que Sanders et les démocrates puissent espérer. Au milieu de la crise sanitaire, économique et sociale croissante provoquée par la réaction de la classe dirigeante à la pandémie de coronavirus, elle doit trouver et trouvera une forme véritablement socialiste et révolutionnaire.

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[15 avril 2020]

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