Le journal allemand de droite Bild mène campagne contre la Chine

L'accusation selon laquelle les politiques du gouvernement chinois sont responsables de la pandémie de coronavirus et les dommages économiques qu'elle a causés est maintenant soulevée par les gouvernements et les médias du monde entier. Cependant, elle n'a aucun fondement dans les faits.

L'accusation sert à détourner l'attention de l'échec de l'élite dirigeante à faire face à la pandémie, tout en agitant l'opinion publique pour faire la guerre à la Chine. Les puissances impérialistes américaines et européennes veulent par tous les moyens nécessaires, y compris la force militaire, empêcher la Chine de sortir de la pandémie renforcée économiquement et géostratégiquement.

Aux États-Unis, le président Trump et les démocrates de l'opposition soutiennent la dénonciation de la Chine. La semaine dernière, Trump a justifié sa décision de suspendre le financement de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) à cause de sa prétendue dépendance à l'égard de la Chine. De nombreux grands médias diffusent la théorie du complot selon laquelle le coronavirus a été fabriqué dans un laboratoire chinois. Ou ils affirment que la maladie ne s'est propagée si largement dans le monde que parce que la Chine n'avait pas rendu publiques les informations à ce sujet pendant six jours en janvier. Les démocrates accusent Trump d'être trop mou envers la Chine.

En Allemagne, le journal Bild et son rédacteur en chef, Julian Reichelt, mènent la campagne anti-Chine.

Le 15 avril, le journal à grand public a publié un article intitulé «Ce que la Chine nous doit: payer la facture pour le coronavirus». L'article appelle la Chine à payer pour les pertes de l'industrie touristique («une baisse des ventes de 24 milliards d'euros en mars et avril seulement»), du commerce de détail («1,15 milliard d'euros de ventes perdues par jour») et de nombreux autres secteurs, dont Volkswagen («2 milliards d'euros de pertes par semaine»). En outre, on cite le budget fédéral qui a accumulé des dépenses de plusieurs milliards d'euros pour le compte de l’UE, et la baisse du PIB, qui, en fonction de l'ampleur de la récession, pourrait aller de 1784 à 4305 € par habitant. Bild déclare qu'il est un «fait» que le coronavirus s'est propagé de Wuhan au monde entier «parce que le gouvernement chinois a supprimé des informations importantes pendant une semaine». Il déclare que «des experts renommés du droit international» sont «d'avis que la Chine a violé son obligation de partager des informations avec l'Organisation mondiale de la santé». En raison de ce retard, poursuit-il, «les systèmes de santé du monde entier ont perdu beaucoup de temps pour se préparer à la pandémie». Les États touchés ont donc «le droit de poursuivre la Chine pour dommages- intérêts devant un tribunal international».

Le journal à sensation se fait l’écho explicitement de la British Henry Jackson Society néoconservatrice qui demande aux États du G7 de poursuivre la Chine pour 3700 milliards d’euros de dommage-intérêts.

L'ambassade de Chine à Berlin a répondu à Bild et Reichelt dans une lettre ouverte. Dans ce document, ils ont réfuté les accusations avec à l’appui des données accessibles au public confirmées par l'OMS.

Dès le 31 décembre 2019, les autorités chinoises ont régulièrement informé l'OMS et, depuis le 3 janvier 2020, les États-Unis et d'autres pays, des «infections pulmonaires d'origine inconnue à Wuhan». À l'époque, 44 cas étaient connus. Le SRAS-CoV2 a été identifié pour la première fois le 8 janvier, et le 11 janvier, la Chine a publié en ligne le séquençage des gènes du virus et transmis les données génétiques à l'OMS. Sur la base de recherches épidémiologiques approfondies, la Chine a confirmé le 20 janvier que le virus était capable de transmission interhumaine et, trois jours plus tard, elle a imposé une quarantaine à Wuhan.

«De nombreux pays qui doivent désormais lutter contre le COVID-19», a écrit l'ambassadeur de Chine, «ont eu le temps de se préparer à la transmission transfrontalière du virus après que la Chine eut signalé son épidémie dans le cadre des réglementations sanitaires internationales (RSI)». Les accusations visent à «détourner l'attention de leurs propres erreurs et faiblesses».

C’est indubitablement le cas. Bien après que le caractère et l'ampleur de la pandémie aient été connus, les gouvernements américain et européen ont laissé passer des semaines, au cours desquelles ils ont minimisé la pandémie, la qualifiant de «grippe», ont poursuivi une politique «d’immunité collective» et ont évité de prendre même les mesures élémentaires de prévention et de protection. Si la Chine avait émis un avertissement une semaine plus tôt, rien n'aurait modifié cette réponse. Le rédacteur en chef de Bild, Reichelt, a répondu à la lettre de l'ambassade par une lettre hystérique à l’attention du président chinois Xi Jinping, qu'il a également publiée sous forme de vidéo le 16 avril. La lettre est remplie d'accusations, d'insultes, de déclarations racistes et d'arrogance impérialiste.

Par exemple, Reichelt accuse Xi de «fermer tous les journaux ou sites Web critiques, mais pas les étals où la soupe de mulot est vendue». Il a fait de son pays «un champion du monde du vol de propriété intellectuelle. La Chine s'enrichit des inventions des autres, au lieu d’inventer elle-même». «Le plus gros succès d'exportation chinois, que personne ne voulait mais qui a tout de même voyagé à travers le monde» est le coronavirus.

Reichelt est un expert dans la conduite de campagnes de propagande dégoûtantes. Même le journal conservateur FAZ l'a décrit en 2017, après une apparition télévisée sur la guerre en Syrie, comme un «propagandiste de guerre» qui opère «comme un journaliste à la gâchette facile», «jouant sur des émotions et toujours à la recherche d’ennemis».

Reichelt n'agit pas de sa propre initiative. Bild, et son journal frère du dimanche Bild am Sonntag (BAMS), servent les intérêts de l'élite dirigeante depuis des décennies comme mécanismes pour mener des campagnes de propagande immonde pour soutenir la mise en œuvre de politiques réactionnaires. L'ancien chancelier Gerhard Schröder a prononcé la fameuse phrase que pour gouverner il n'avait besoin d’autre chose que de «Bild, BAMS et la télé». Des personnalités publiques et toute personne bien en vue se précipitent pour assister au bal de la presse annuel de Bild.

Reichelt, 39 ans, qui a commencé sa carrière comme stagiaire au Bild et a terminé sa formation à la Springer Academy, qui appartient à la maison d’édition du journal, a été nommé à la tête du journal à sensation le plus vendu en Allemagne par Kai Dieckmann. Dieckmann a longtemps été considéré comme un proche associé de l'héritière de la maison d'édition, Friede Springer, qui à son tour entretient des liens étroits avec la chancelière allemande Angela Merkel.

D'autres médias se sont joints à la campagne anti-Chine, peut-être avec moins de vulgarité que Bild, mais avec un programme politique beaucoup plus clair.

Par exemple, Der Spiegel a rapporté avec inquiétude les efforts d'aide internationale de la Chine. La machine de propagande de la direction de l'État chinois met tout en œuvre pour «faire évoluer la perception publique de la Chine dans cette crise en sa faveur», a-t-il accusé. Ils se présentent «avant tout comme des combattants efficaces contre le virus et une aide solidaire qui est toujours là en cas d'urgence quand on en a besoin».

Chaque ligne de l'article reflète la crainte de l'impérialisme allemand de perdre du terrain au profit de la Chine. Le président serbe Alexander Vucic a embrassé le drapeau chinois lors de l'arrivée d'aide, a noté avec inquiétude Der Spiegel. La Chine s’active également dans l'UE, «l'Espagne, la France, l'Autriche, l'Allemagne et l'Italie qui ont tous reçu du matériel médical, et des médecins sont même allés en Italie». Les relations entre Rome et Pékin étaient déjà étroites avant la crise, l'Italie devenant le premier pays d'Europe occidentale à soutenir la nouvelle politique chinoise de la nouvelle «Route de la soie». Der Spiegel a noté que l'offensive de propagande chinoise est surveillée avec inquiétude par le gouvernement allemand. À cet égard, il a fait référence à un document secret du ministère de la Défense qui accuse la Chine d'une campagne de désinformation. Même les efforts déterminés de la Chine pour développer un vaccin, et le déploiement de plus de 1000 chercheurs pour s'attaquer à cette tâche sont interprétés comme un acte hostile par le ministère de la Défense. Le développement d'un vaccin vise à prouver «que la Chine est aujourd'hui le leader mondial de la science biomédicale, devant les États-Unis».

Nous sommes depuis longtemps dans une compétition de systèmes, note Der Spiegel, citant l'expert en politique étrangère du FDP, Johannes Vogel. Pour certains «qui ont refusé de l'accepter, ils commencent à s’en rendre compte maintenant.»

Le fait que cette «approche stratégique» inclut des moyens militaires est démontré par la décision du ministère de la Défense de publier le document sur la Chine. La crise du coronavirus accentue à la limite toutes les contradictions du capitalisme mondial, qui mûrissent depuis un certain temps. Cela vaut autant pour la lutte des classes que pour les rivalités entre les grandes puissances.

Les plans de guerre contre la Chine, poursuivis depuis longtemps par les États-Unis et l'OTAN, prennent des formes de plus en plus dangereuses. Ceci est confirmé par l'agitation hystérique du journal Bild. Elle rappelle le fameux discours de Hun avec lequel le Kaiser Wilhelm II a envoyé des troupes allemandes pour écraser la révolte des Boxers il y a 120 ans.

Le danger d'une guerre catastrophique ne peut être arrêté que par un mouvement indépendant de la classe ouvrière internationale, qui relie la lutte contre le militarisme et la guerre à la lutte contre leur source: le système capitaliste.

(Article paru en anglais le 23 avril 2020)

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