Les troubles se propagent en France en réponse aux violences policières

Mardi soir a vu la quatrième nuit consécutive en France d’une escalade de manifestations et de heurts entre des jeunes et la police antiémeute dans la banlieue de Paris et d'autres grandes villes.

Les troubles ont été provoqués au départ par le dernier acte de brutalité policière. Samedi soir, un policier de Villeneuve-la-Garenne, une ville des Hauts-de-Seine au nord de Paris, a ouvert la portière de sa voiture au moment du passage d'un motocycliste de 30 ans. Le jeune homme a subi une fracture à la jambe due à l'incident et reste à l'hôpital.

Une vidéo montrant la victime a rapidement circulé sur les médias sociaux, accompagnée des témoignages de nombreuses personnes indiquant que le policier avait intentionnellement ouvert la porte sur le chemin de la moto. La voiture de police était banalisée, et le policier a reconnu qu'il n'avait pas utilisé sa sirène ou ses gyrophares, tout en admettant qu'il tentait d'arrêter la victime.

Anis Kesraoui, un ami de la famille de la victime, a déclaré à France Télévision: «Il n’y avait pas écrit “police”, c’était une voiture noire, banalisée. La voiture était arrêtée aux feux. Le jeune homme arrivait de moto de là-bas. Et arrivé ici, il [le policier] a ouvert délibérément sa portière.» Il a ajouté: «On peut voir, sur les vidéos, l'impact qui est à l'intérieur et non pas à l'extérieur [de la portière].»

D'autres résidents qui étaient présents sur les lieux ont déclaré que l'agent sentait l'alcool. Selon Le Monde, il était un commissaire gradé, dont on compte environ 1200 en France et plus de 100 en région parisienne.

La version policière des faits a changé. Tel que documenté par Libération, un premier rapport de police a affirmé que le policier se tenait devant sa voiture et avait tenté d'arrêter le motocycliste, qui a refusé puis a heurté la voiture alors qu'il tentait de s'échapper. Cette affirmation semble avoir été abandonnée: des comptes rendus ultérieurs ont admis que l'agent était à l'intérieur de son véhicule lorsque la porte a été ouverte.

La victime poursuit la police en justice pour violence en réunion avec arme et par personne dépositaire de l’autorité publique. Son avocat, Stéphane Gas, a déclaré que «mon client revenait de chez lui et le policier n'a donné aucun signe de sa présence; il n'a même pas allumé son gyrophare et il n'y a donc pas eu de refus d'obtempérer aux instructions de la police.» Il a déclaré à Libération: «Mon client est ferme là-dessus. Il a dit: “Il n’y a pas de débat, j’avais le droit de passer, la portière s’est ouverte au moment où je passais à côté du véhicule. Il n’y avait pas de policier à l’extérieur de la voiture.”»

Des policiers lourdement armés ont arrêté des dizaines de jeunes lors d'affrontements au cours des quatre dernières nuits, les jeunes ayant répondu avec des pétards et des jets de pierres. Bien que les affrontements aient commencé à Villeneuve-la-Garenne, ils se sont étendus à d’autres quartiers de la région voisine de Seine-Saint-Denis, à Nanterre, au nord-ouest de Paris, et dans la nuit de mercredi à d'autres villes, y compris en banlieue de Lyon.

La France a connu des flambées répétées de révoltes urbaines dans les banlieues appauvries autour de ses grandes villes. En octobre 2005, deux jeunes ont été tués alors qu'ils fuyaient la police dans les banlieues de Paris, déclenchant des émeutes contre les inégalités, la pauvreté et le harcèlement et violence incessants provenant de la police, des troubles qui ont été brutalement réprimés par la police antiémeute. Le gouvernement Sarkozy décréta l'état d'urgence au niveau national et arrêta plus de 2800 personnes au cours de plusieurs semaines.

Le dernier acte de brutalité policière gratuite vient s'ajouter aux conditions d'inégalités qui n'ont fait qu'empirer depuis 2005, car l'aristocratie financière en France a siphonné des sommes de richesse de plus en plus importantes tandis que les programmes sociaux et les emplois décents sont ravagés.

En Seine-Saint-Denis, le taux de chômage est plus du double de la moyenne nationale et plus d'un sur trois des 15 à 24 ans est au chômage.

Ces conditions n'ont été qu'exacerbées par la réponse du gouvernement Macron à la pandémie de coronavirus. La Seine-Saint-Denis et les Hauts-de-Seine ont été parmi les plus durement touchés par la pandémie. Les dernières données gouvernementales disponibles, du 13 mars au 6 avril, révèlent que – après la région de l'Est de la France où le coronavirus s’est d’abord concentré – la Seine-Saint-Denis a connu la plus forte augmentation de mortalité par rapport à l'année dernière de toute zone du pays, à savoir 101 pour cent.

La Seine-Saint-Denis ne compte que 0,5 lit d'hôpital pour 10.000 habitants, soit environ un tiers du pourcentage de Paris proprement dit, qui lui-même a un dispositif de lits tout à fait insuffisant et qui a été rapidement submergé par la pandémie.

En raison du refus du gouvernement Macron de fournir un véritable soutien, le confinement a été une catastrophe économique et sociale pour de larges sections de travailleurs et de jeunes. Ils sont confinés dans des logements exigus, entassés les uns sur les autres avec les membres de leur famille et incapables de sortir. De plus, les familles de la classe ouvrière ne peuvent désormais plus accéder à des programmes de repas scolaires essentiels subventionnés où les enfants mangent pour 1 € par jour.

Des queues de distribution gratuite de nourriture dans la région Seine-Saint-Denis se sont multipliées au cours de la dernière semaine et s'étendent sur des centaines de mètres.

Mardi, un reportage dans Le Parisien portait sur un organisme de bienfaisance local qui distribuait de la nourriture à des familles confinées à Villeneuve-la-Garenne, où les violences policières ont eu lieu samedi. Une mère de 40 ans, dont le mari est éboueur et dépend désormais de la charité pour nourrir ses enfants, a déclaré: «La cantine nous coûtait moins de 100 euros par mois pour les trois enfants, calcule Samia. Du coup, le budget nourriture a explosé avec le confinement. On a déjà dépensé 500 euros alors qu'on n'est qu'à la
moitié du mois. Habituellement on débourse 300-400 euros par mois. Je ne
sais pas comment on va faire, j'ai peur.»

D'autres travailleurs ont décrit qu’ils combinaient le déjeuner et le dîner ou sautaient complètement des repas pour que leurs enfants puissent manger. «Avant c'est moi qui participais à des distributions alimentaires, avoue-t-elle. Là, je me retrouve bénéficiaire de plein fouet.»

Dans son discours de lundi la semaine dernière, le président Emmanuel Macron a annoncé un paiement unique insultant aux familles les plus pauvres de 150 € par enfant. Quatre jours plus tard, le gouvernement a promulgué un paiement de 20 milliards d'euros aux plus grandes sociétés françaises, dont Renault et Airbus.

Tous les partis officiels de la France sont impliqués dans la catastrophe sociale mise à nu par la pandémie et qui constitue la toile de fond des rébellions de jeunes: du Parti socialiste (PS) qui a participé à des décennies d'austérité, réduisant au minimum les services de santé et sociaux essentiels, aux syndicats et à leurs alliés de la pseudo-gauche comme le Nouveau Parti anticapitaliste (NPA), qui ont saboté toute lutte indépendante de la classe ouvrière et soutenu le PS.

La répression policière contre les manifestations est expression de l'extrême peur de la révolution sociale qu’a la classe dirigeante. Au sein des cercles dirigeants, l'élément central des plans de «déconfinement» est la préparation d'une répression policière contre une éruption inévitable d'opposition aux politiques réactionnaires de la classe dirigeante.

Un article publié dans Le Parisien le 11 avril intitulé, «Confinement: pourquoi le «jour d’après» inquiète les services de renseignement», cite des documents internes du Service central du renseignement territorial (SCRT) du 7,8 et 9 avril. Les documents constatent que: «Le jour d'après est un thème fortement mobilisateur des mouvances contestataires. Le confinement ne permet plus à la gronde populaire de s'exprimer, mais la colère ne faiblit pas et la gestion de crise, très critiquée, nourrit la contestation.»

Le site Web Gala a cité un conseiller ministériel anonyme vendredi dernier disant que: «Il y aura une vague dégagiste après la crise. C'est mort pour nous». Le terme dégager fut un des principaux slogans de la révolution tunisienne de 2011.

(Article paru en anglais le 23 avril 2020)

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