«Trump s’intéresse plus à faire démarrer l'économie qu'à nos vies»

Les travailleurs américains de l’automobile s'opposent à la réouverture précipitée des usines

Aux États-Unis, les travailleurs de l'automobile expriment leur inquiétude et leur colère face au projet de redémarrer l'industrie automobile, malgré les avertissements d'experts en santé publique selon lesquels le rassemblement de milliers de travailleurs dans les usines accélérera la propagation de la pandémie mortelle de COVID-19. Même si le nombre de morts a atteint 190.000 dans le monde et près de 50.000 aux États-Unis, les constructeurs automobiles rouvrent des usines en Asie, en Europe et en Amérique du Nord.

«Il est ridicule d'essayer de nous forcer à retourner au travail», a déclaré un travailleur de la FCA à l'usine Jeep de Toledo, Ohio, au World Socialist Web Site. «La pandémie est loin d'être terminée. Si nous reprenons le travail, la vague ne fera qu'augmenter. Il n'y a aucun moyen de rester en sécurité en travaillant sur une chaîne de montage. On ne peut pas construire des Jeeps à six pieds l'un de l'autre.»

L'industrie automobile nord-américaine a été fermée à la mi-mars après une vague de grèves sauvages et d'autres actions dans le Michigan, l'Ohio et l'Indiana, ainsi qu'en Ontario, au Canada, suite au refus des constructeurs automobiles et du syndicat UAW (United Auto Workers – Travailleurs unis de l’automobile) de fermer les usines, malgré le nombre de travailleurs malades. Ce retard a coûté la vie à au moins une vingtaine de travailleurs de Fiat Chrysler et Ford.

Des travailleurs assemblent des camions Ford à l'usine de Ford Kentucky à Louisville, KY (AP Photo / Timothy D. Easley)

Les dirigeants de l'industrie automobile ont rencontré Trump la semaine dernière et envisagent d'ouvrir des usines de montage dès le début du mois de mai. Les gouverneurs des États industriels du Midwest, dont la démocrate du Michigan Gretchen Whitmer, ont cherché à se montrer plus prudents, mais ont clairement indiqué qu'ils assoupliraient les mesures de confinement pour répondre aux besoins des entreprises.

«Nous allons devoir examiner le processus de réengagement des secteurs de notre économie», a déclaré Whitmer plus tôt cette semaine. Même si elle envisage de prolonger le confinement à domicile jusqu'à la mi-mai, elle a déclaré que ce serait en grande partie aux entreprises «d'améliorer vos protocoles, que ce soit le nettoyage de vos espaces de travail ou le port de masques en tissu que vous pouvez vous procurer maintenant.»

Au moment d'écrire ces lignes, le Michigan avait 35.291 cas confirmés de COVID-19, avec 1.325 nouveaux cas enregistrés jeudi, le nombre le plus élevé depuis le 14 avril et le troisième jour consécutif où les cas sont de nouveau en hausse. Les trois comtés qui composent la métropole de Detroit – Wayne, Oakland et Macomb – et sont également le centre de l'industrie automobile de l'État, représentent 75 pour cent des cas et 82,5 pour cent des quelque 3.000 décès du Michigan.

Le syndicat UAW a mis en place un groupe de travail conjoint sur le coronavirus avec GM, Ford et FCA pour fournir une couverture aux sociétés alors qu'elles cherchent à rouvrir les usines et à sacrifier des travailleurs dans la poursuite de leurs profits. «Nous sommes satisfaits de la réponse et de la coopération des constructeurs automobiles pour travailler sur les protocoles de santé et de sécurité dont nous aurons besoin sur les lieux de travail quand il sera opportun de redémarrer», a déclaré jeudi soir le président de l'UAW, Rory Gamble.

Bien conscient qu’un retour précipité au travail provoquerait une vague d'opposition, y compris contre l'UAW, Gamble a déclaré: «Nous suggérons fortement à nos entreprises dans tous les secteurs que la date de début mai est trop tôt et trop risquée pour nos membres, leurs les familles et leurs communautés», et il a soutenu le discours de Whitmer sur une prolongation du confinement.

Cependant, des dirigeants syndicaux au niveau local ont déjà envoyé des messages à la recherche de «volontaires» pour venir travailler dès la semaine prochaine afin de préparer la réouverture des usines.

«J'ai reçu un appel automatisé la semaine dernière, qui a dit que l'usine serait ouverte au travail le lundi 27 avril et m'invitant essentiellement à revenir au travail», a fait savoir au WSWS un travailleur de l’usine d’emboutissage de Dearborn, où son collègue Gregory Boyd est décédé de COVID-19. «Beaucoup de gars dans l’atelier, je dirais la majorité, ont des conditions médicales sous-jacentes: diabète, insuffisance cardiaque, obésité. Après avoir passé son temps dans une usine automobile, on a des problèmes médicaux. L'entreprise s’en fout si on vit ou meurt. Ils veulent juste reprendre la production.»

Un jeune travailleur de l'usine de camions Ford Dearborn a ajouté: «Nous ne devrions pas retourner au travail tant que ce coronavirus n'est pas sous contrôle. Nous avons besoin de tests de dépistage à 100 pour cent et nous ne l'avons pas. Ma tante est allée à l'hôpital Sinai Grace pour le traitement de ses conditions préexistantes; et pendant qu'elle était là, elle a été testée positive et est décédée. Elle avait 75 ans.»

«Nous devons savoir ce qui se passe. J'ai vérifié sur Internet et vous êtes les seules personnes à m'avoir fourni des faits réels avec lesquels je peux voir clair», a-t-il déclaré en se référant au World Socialist Web Site. «Nous en avons besoin. Les médias nous disent ce que les entreprises veulent qu’on entende.»

Le travailleur de Toledo Jeep a dénoncé les tentatives de l'UAW de se faire passer pour des défenseurs de la santé et de la sécurité des travailleurs. «Ce qui me met vraiment en colère, c'est la façon dont le syndicat a tenté de s’attribuer le mérite de la fermeture de mars. Ils ont prétendu l'avoir fait. Non! Les travailleurs ont protesté et débrayé. Tout le monde a vu la vidéo où le responsable syndical dit aux travailleurs de "se calmer". Nous payons des cotisations syndicales aux personnes qui dorlotent l'entreprise. Ils savent exactement ce qui se passe dans l'usine et ils ne font rien. Nos cotisations syndicales sont utilisées pour payer les honoraires d’avocats de nos responsables corrompus et inculpés. Ils ne vont même pas se battre pour régler un grief, alors comment peut-on compter sur eux pour défendre nos vies?»

«Si les hôpitaux ne peuvent pas obtenir les EPI (équipement de protection individuel) dont ils ont besoin, comment les travailleurs de l'automobile les obtiendront-ils?» a-t-il poursuivi. «Beaucoup de mes collègues souffrent d'asthme, de diabète et d'autres problèmes de santé sous-jacents. Il n'y a aucune possibilité que nous soyons en sécurité là-dedans. Il y a 6.000 travailleurs répartis sur deux quarts de travail, plus les chauffeurs et les fournisseurs de pièces. Comment diable serons-nous en sécurité dans cet environnement? Avant la pandémie, l'entreprise maintient toujours la ligne d’assemblage en mouvement lorsque des travailleurs sont blessés ou tombent raides morts. Alors, comment sera la situation avec beaucoup de malades autour?»

«La société nous considère comme jetables. Ils voudraient bien qu’on quitte ou meure, et au lieu de me payer 29$ l'heure, ils peuvent payer quelqu'un d'autre 15$ l'heure. Nous produisons 500 Jeeps à chaque quart de travail, donc moins nous sommes payés, plus l’entreprise augmente ses bénéfices. On appelle ça un soi-disant choix – soit on va travailler et on meurt peut-être, soit on perd son emploi.»

L'attitude de GM à l'égard de la sécurité des travailleurs a été démontrée par sa décision de garder ouvert son entrepôt de service après-vente près de Flint, au Michigan, malgré l'infection d'au moins quatre travailleurs, et par le licenciement, le mois dernier, d'un président du syndical local, Travis Watkins, avec la complicité de l'UAW. Watkins a été licencié après avoir publié des avertissements sur la propagation de la maladie dans l'usine sur une page Facebook privée pour les travailleurs, après qu'au moins 10 travailleurs ont été «embarqués sur des brancards, avec masques».

«Retourner au travail maintenant serait de garder la pandémie en vie», a déclaré un travailleur GM de l'usine d'assemblage de Flint au WSWS. «Cela ne s'est pas stabilisé, très peu de personnes ont été testées, il n'y a pas de recherche des contacts. Trump s’intéresse plus à faire démarrer l'économie qu'à nos vies. C'est un meurtrier et il prône des drogues qui n'ont pas été correctement testées.»

«La situation dans les maisons de retraite est insupportable. Des cadavres entassés dans des placards! Vous ne pouvez pas simplement claquer les doigts et dire aux gens de retourner au travail. Le gouvernement est incompétent et [le candidat démocrate à la présidence Joe] Biden fait peur. Quant au syndicat, il ne nous tient au courant de rien. Ils sont totalement de mèche avec GM.»

L'opposition à des conditions de travail mortelles est internationale. La semaine dernière, des centaines de travailleurs ont débrayé dans les usines Lear Automotive de Ciudad Juárez, de l'autre côté de la frontière d'El Paso, au Texas, après que la direction et le syndicat CTM aient dissimulé la mort de travailleurs. Au moins seize travailleurs de Lear sont morts dans deux usines de la ville.

Mónica Rosales, dont le père Raul Rosales est décédé plus tôt cette semaine, a déclaré au WSWS: «Mon père a commencé à manifester des symptômes le 28 mars. Le 5 avril, il est entré dans un hôpital privé parce qu'il a pu payer les frais médicaux plus élevés. Il nous a dit qu'il avait eu des contacts avec une personne au travail qui avait l'air malade, qu'ils avaient contrôlé cette personne mais ne l'avaient pas renvoyée chez elle. Ils n'ont pas fermé l’usine même lorsque Lear a fermé aux États-Unis. Il est irresponsable qu'ils l'aient gardée ouverte et aient exposé leurs employés. »

Les travailleurs d'autres ateliers de misère dans la maquiladora de Matamoros, en face de Brownsville, au Texas, ont également fait grève, forçant la fermeture de leurs usines. «Même s'il y a une crainte des représailles et des privations à la maison», a déclaré une employée de Matamoros au WSWS, «ce qui compte, c'est notre santé et la sécurité de nos familles». Faisant référence aux décès à Ciudad Juárez, elle a ajouté: «Nous sommes la classe la plus non-protégée; c'est comme si nous étions jetables pour les employeurs.»

L'UAW et les partis démocrates et républicains ne feront rien pour empiéter sur les profits et la mainmise économique des entreprises et de Wall Street. Au lieu de cela, ils prévoient d'utiliser la catastrophe économique croissante – plus de 26 millions de demandeurs d’allocations chômage au cours du mois dernier – pour forcer les travailleurs à retourner au travail.

Les travailleurs doivent rejeter le faux choix de mourir au travail ou de mourir de faim. Pour lutter pour leurs droits à la santé, à un lieu de travail sûr et àla sécurité économique, les travailleurs devraient organiser des comités d'usine de base, indépendants du syndicat UAW.

Face aux entreprises, à l'UAW et à l'establishment politique qui accélèrent leurs efforts pour redémarrer les affaires avec une insouciance criminelle, la formation de ces comités d'usine est une tâche urgente. Ces comités doivent s'opposer à la réouverture de la production non essentielle et exiger plutôt une expansion massive des tests gratuits et universels et une protection complète du revenu pour les personnes touchées par les fermetures. Tout plan de reprise du travail doit être soumis au contrôle de tels comités de travailleurs, en concertation avec des experts médicaux.

GM, Ford et Fiat Chrysler ont réalisé des bénéfices records depuis la restructuration de 2009 basée sur la réduction des emplois et des salaires des travailleurs, et ont gaspillé des milliards de dollars sur les rachats d'actions, les paiements de dividendes et les salaires des dirigeants. Au lieu que ce soit les travailleurs qui paient pour la crise, ces derniers doivent plutôt affirmer leurs propres intérêts de classe en luttant pour transformer les entreprises et les banques en entreprises publiques, sous propriété collective et gérées démocratiquement par les travailleurs, et basées sur la production pour les besoins humains au lieu du profit privé.

(Article paru en anglais le 24 avril 2020)

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