D'anciens dirigeants des Étudiants pour une société démocratique tentent de bâtir un appui pour Biden

La semaine dernière, le magazine Nation a publié «Une lettre ouverte à la nouvelle Nouvelle Gauche de l'ancienne Nouvelle Gauche», signée par plus de soixante anciens dirigeants des Étudiants pour une société démocratique (Students for a Democratic Society, SDS). L'objectif de cette lettre est de faire pression sur les partisans du sénateur du Vermont Bernie Sanders afin qu'ils votent pour Joe Biden, le candidat présumé du Parti démocrate à la présidence.

Les SDS ont été créés en 1960. Représentants les plus éminents de ce que l'on a appelé la Nouvelle Gauche, ils avaient rompu avec la branche jeunesse de la Ligue pour la démocratie industrielle (League for Industrial Democracy, LID). Les fondateurs des SDS se sont opposés à l'anticommunisme virulent de la LID et à la direction de l'AFL-CIO. Ils ont cherché à attirer une plus jeune génération d'étudiants. Bien qu'ils aient été actifs dans les premières manifestations contre la guerre américaine au Vietnam, l'orientation politique centrale des fondateurs des SDS est restée vers le Parti démocrate, et en opposition à la lutte pour mobiliser la classe ouvrière en tant que force sociale et politique indépendante.

Après la fin du mouvement de protestation, nombre de ses dirigeants, comme Todd Gitlin (l'un des plus notables signataires de la lettre) et le défunt Tom Hayden, se sont brusquement tournés vers la droite, s'intégrant pleinement au Parti démocrate. Ils étaient d'éminents porte-parole politiques d'une couche de la classe moyenne qui est devenue de plus en plus riche au cours des dernières décennies du 20e siècle et des premières années du 21e, en pleine hausse quasi ininterrompue de la bourse et des valeurs immobilières.

Comme beaucoup dans ce milieu social et politique, Gitlin, dont le livre The Sixties: Years of Hope Days of Rage (Les années soixante: Années d’espoir, jours de rage) fournit des détails sur la fondation des SDS, a fait son passage politique dans le camp de l'impérialisme lors des interventions des États-Unis et de l’OTAN en ex-Yougoslavie au milieu et à la fin des années 1990. Il a accepté avec enthousiasme l'intervention militaire et a régurgité la ligne de propagande du gouvernement et des médias selon laquelle le bombardement de la Serbie par l'administration Clinton était une croisade morale pour les «droits de l'homme» et contre le «nettoyage ethnique».

Plus tard, Gitlin a soutenu l'attaque américaine en Afghanistan comme une «guerre de nécessité» et, pendant la guerre en Irak, s'est opposé à l'invasion lancée par l'administration Bush uniquement pour des raisons tactiques. Gitlin a largement fait campagne pour John Kerry et plus tard pour Barack Obama. Hayden a été pendant de nombreuses années député démocrate en Californie, et a également été un des principaux partisans de la campagne d'Obama.

D'autres signataires de la lettre ont suivi une trajectoire similaire. Carl Davidson, par exemple, a passé les dernières décennies à développer la machine électorale du Parti démocrate. Lors de l'élection présidentielle de 2004, Davidson a corédigé un document intitulé Moving from Protest to Politics: Dumping Bush's Regime in 2004 (De la protestation à la politique: Se débarrasser du régime de Bush en 2004), qui plaide en faveur de la transformation du mouvement antiguerre en un appendice du Parti démocrate qui servirait à attirer les votes sur la base du mot d’ordre «n’importe qui, sauf Bush». Il a ensuite soutenu John Kerry et a ensuite dirigé «Progressives for Obama» (Progressistes pour Obama).

Ces anciens SDS se rallient maintenant autour de Joe Biden.

Leur lettre dans Nation s'ouvre sur les applaudissements de la décision longtemps attendue du sénateur Sanders d'abandonner la course à la présidence et de soutenir Biden. Toutefois, les auteurs écrivent qu'ils sont «gravement préoccupés par le fait que certains de ses partisans, y compris la direction des Socialistes démocrates d'Amérique (Democratic Socialists of America, DSA), refusent de soutenir Biden, qu'ils considèrent comme un représentant du capital à Wall Street».

La lettre est formellement adressée à la direction des DSA, qui a officiellement déclaré qu'elle n'approuverait pas Biden. Il s'agit d'une manoeuvre politique de la part des DSA, car il n'y a en fait aucun désaccord politique de principe entre eux et les auteurs de la lettre, dont nous parlerons plus loin.

La véritable préoccupation n'est pas les DSA eux-mêmes, mais les travailleurs et les jeunes qui ont été attirés par la campagne de Sanders mais qui refusent d’appuyer Biden et qui cherchent un moyen de lutter pour un véritable socialisme. Cette position, affirment les auteurs de la lettre, n'est pas conforme à «une vision à long terme de la démocratie, de la justice et de la survie de l'humanité».

Pour étayer leur argumentation, ils rappellent l'expérience de l'Allemagne lors des bouleversements révolutionnaires qui ont suivi la Première Guerre mondiale. Ils écrivent que pendant la révolution, «le grand sociologue Max Weber s'est adressé aux étudiants de gauche sur la politique».

«Il leur a fait comprendre que les meilleures politiques doivent être douloureusement conscientes des conséquences de l'action, et pas seulement des intentions. S'adressant aux jeunes hommes, il les a prévenus de façon prophétique que le coût de l'ignorance des conséquences pourrait être leur mort».

Tout d'abord, il convient de noter que Weber s'exprimait en tant qu'opposant au socialisme et partisan du militarisme allemand. Il a déclaré en janvier 1919: «Nous devons cette révolution [allemande] au fait que nous ne pouvons pas envoyer une seule division contre les Polonais. Tout ce que nous voyons, c'est de la terre, de la boue, du fumier et du désordre, rien d'autre. La place de Liebknecht est à l'asile et celle de Rosa Luxembourg au jardin zoologique.» Ces mots ont été écrits quelques jours seulement avant le meurtre de Luxembourg et de Liebknecht par les Freikorps allemands, avec le soutien de la social-démocratie allemande.

Deuxièmement, les anciens membres des SDS mettent en garde contre les «conséquences» de ne pas soutenir Biden et le Parti démocrate. Mais quelles sont les conséquences d'une telle décision?

Biden personnifie le caractère du Parti démocrate en tant que parti de Wall Street et de l'armée. Il est une figure de proue de la politique capitaliste américaine depuis près de 50 ans. Il a notamment soutenu d'innombrables interventions américaines, dont la partition brutale de l'ex-Yougoslavie – un rôle qu'il décrit comme son plus grand accomplissement en matière de politique étrangère –, le bombardement de la Serbie lors de la crise du Kosovo, et la guerre en Afghanistan et en Irak.

Biden est également complice des crimes de l'administration Obama, notamment la persécution de Julian Assange et de Chelsea Manning, la déportation de millions d'immigrants, le plus important transfert de richesse des travailleurs vers les riches de l'histoire des États-Unis, et les innombrables bombardements et interventions militaires effectués au cours des huit années de l'administration Obama.

Soutenir Biden, c'est soutenir le programme qu'il défend et les intérêts sociaux qu'il représente. En ce qui concerne la crise du coronavirus, Biden s'est engagé dans la campagne du «retour au travail» menée par Trump. Le Parti démocrate a soutenu à l'unanimité le renflouement massif des entreprises et de Wall Street, qui dépasse même ce qui a été fait après la crise de 2008.

Biden, en accord avec la politique impérialiste du Parti démocrate, a récemment dévoilé une publicité de campagne attaquant Trump pour être trop mou envers la Chine.

Depuis des décennies, la classe ouvrière se fait livrer le même discours à l’approche de chaque élection: le candidat démocrate est le moindre des deux maux. Chaque année d'élection, le résultat a entraîné un déplacement de la politique de plus en plus important vers la droite.

L'argument des anciens membres des SDS ignore complètement le fait que c'est le caractère de droite du Parti démocrate qui a permis l'élection de Trump en premier lieu. Pendant deux mandats complets, Obama, faussement présenté par ces mêmes couches comme le président de «l'espoir et du changement», a supervisé une guerre sans fin, un transfert historique de richesses vers la classe dirigeante et l'érosion continue du niveau de vie de la grande majorité de la population.

En ce qui concerne les DSA, bien que la lettre vise officiellement la décision de cette organisation de ne pas approuver officiellement Biden, leurs désaccords avec les auteurs de la lettre sont d’ordre purement tactique.

En réponse à la lettre ouverte, le magazine Jacobin, affilié aux DSA, a publié un article: «Une lettre ouverte des vétérans du SDS sermonnant les Jeunes Socialistes pour qu’ils appuient Biden était une mauvaise idée». Ils écrivent qu'«aucun socialiste ayant fait campagne pour Bernie Sanders ne devrait se sentir coupable d'abandonner [les démocrates] et de se concentrer sur la construction d'un mouvement qui est le seul véritable espoir pour l'avenir de la planète».

Cependant, le «mouvement» que les DSA et Jacobin cherchent à construire est un mouvement visant à canaliser l'opposition sociale et politique derrière le Parti démocrate. Les DSA ont passé les quatre dernières années à mobiliser les jeunes derrière la campagne de Sanders et à promouvoir l'illusion que le Parti démocrate peut être réformé. Sanders met aujourd'hui tout son poids derrière Biden, tout comme il l'a fait pour Hillary Clinton en 2016.

L’appui qu’a donné Sanders à Biden – pendant que les partisans de Sanders qui refusaient de suivre cette orientation étaient qualifiés d’«irresponsables» – survient dans des conditions où la pandémie de coronavirus révèle le conflit irréconciliable entre les intérêts de la classe ouvrière et de la classe dirigeante.

Depuis la capitulation de Sanders, Jacobin fait tout ce qui est en son pouvoir pour empêcher les jeunes et les travailleurs de tirer de cette expérience des conclusions politiques qui entraîneraient une rupture avec le Parti démocrate. Dans un long article publié dans Jacobin la semaine dernière, «Que cela vous plaise ou non, si nous dirigeons un tiers parti, nous perdrons», Dustin Guastella affirme que ce n'est pas le moment de quitter le Parti démocrate. Il exhorte cyniquement les gens à simplement «repenser le sens du mot «indépendant»». Il poursuit en affirmant qu'«il existe un potentiel d’évolution vers la gauche» du Parti démocrate «dans la prochaine décennie».

Un autre article publié la semaine dernière dans Jacobin, par Branko Marcetic, est intitulé: «C’est moi qui ai écrit le plaidoyer contre Joe Biden. Mais j'ai quelques conseils gratuits à lui donner». L'article invitait Biden à adopter un programme «de gauche» afin de gagner le soutien des jeunes.

«Si Biden et les démocrates de sa génération, écrit Marcetic, pouvaient lâchement vendre leurs principes par opportunisme politique et prétendre être quelque chose qu'ils ne sont pas une fois, ils peuvent le refaire, seulement, cette fois-ci, pour le bien. Pour la première fois depuis longtemps, la direction que prennent les choses signifie que la chose politiquement opportune est aussi la bonne chose à faire».

Il serait difficile d'évoquer un argument plus cynique ou plus malhonnête au service du Parti démocrate.

Tant les DSA que Nation partent du principe qu'il ne peut rien y avoir en dehors du Parti démocrate. Ils cherchent tous deux à piéger les jeunes et les travailleurs dans le cadre étroit de la politique capitaliste. Cependant, la vérité est que dans le «choix» entre Trump et Biden, il n'y a pas de voie progressiste pour la classe ouvrière.

Il est essentiel que les travailleurs et les jeunes tirent les conclusions politiques nécessaires de l'expérience de Sanders.

La seule véritable campagne socialiste aux élections de 2020 est celle du Parti de l’égalité socialiste. Le PES se bat pour mobiliser la classe ouvrière non pas dans le but futile de transformer le Parti démocrate, mais pour la construction d'un mouvement indépendant de la classe ouvrière afin de préparer et de mener la lutte pour le socialisme.

(Article paru en anglais le 25 avril 2020)

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