L'économie politique de la dette capitaliste

En réponse à un article paru la semaine dernière sur la contraction de l'économie américaine et l'offre apparemment inépuisable d'argent mis à la disposition des entreprises et de Wall Street, un lecteur a soulevé une question importante dans la section «Commentaires».

«Quelqu'un pourrait-il expliquer ce que les auteurs veulent dire lorsqu'ils disent que l'argent sera “d'une manière ou d'une autre, extrait de la classe ouvrière”?

«Je peux comprendre que la dette soit synonyme d'austérité dans des pays comme la Grèce ou l'Espagne, mais je ne vois pas vraiment comment cela fonctionne en Amérique. Les États-Unis n'ont pas des billions de dollars de dettes de toute façon? Et si oui, quelle différence font les billions de dettes supplémentaires?

«Est-il vrai que les billions alloués à Wall Street ce mois-ci sont de l'argent directement prélevé sur les programmes sociaux, ou est-ce plus opaque que cela?»

La référence à la situation en Grèce et en Espagne, en contraste avec celle des États-Unis, est basée sur les opinions exprimées par de nombreux experts et commentateurs économiques. Ils soutiennent que, le dollar étant la monnaie mondiale la plus importante, les autorités financières et le gouvernement peuvent continuer à augmenter la masse monétaire indéfiniment et que les États-Unis sont en quelque sorte exemptés des lois en vigueur dans le reste de l'économie mondiale.

L'objectif de cette réponse à la question est de montrer que ce n'est pas le cas, et de soulever deux questions clés qui découlent directement de la crise.

La première est que la classe ouvrière américaine, loin d'être exempte, est déjà confrontée à une nouvelle attaque frontale massive contre son niveau de vie, ses emplois et ses conditions de travail, et même sa vie elle-même, en plus de celles qui ont déjà eu lieu au cours des dernières décennies. Et, de plus, qu'elle sera confrontée, au cours d'une bataille féroce pour se défendre, à la nécessité d'entreprendre une lutte pour prendre le pouvoir politique.

La seconde est que le processus d'ajout de billions de dollars d'argent créé numériquement à la montagne de capital fictif déjà existante contient en lui les graines à germination rapide d'une crise économique et financière allant bien au-delà de tout ce qui a été vécu jusqu'à présent.

Comme un certain nombre de répondants l'ont correctement noté dans Disqus, les réponses aux questions soulevées par le lecteur s'appuient sur l'analyse marxiste de la valeur. Examinons cette question.

Le circuit du capital dans sa forme la plus élémentaire est argent - marchandise - argent. L'objectif et la force motrice du mode de production capitaliste sont de disposer de l'argent pour acheter des marchandises, puis de vendre des marchandises pour obtenir à la fin une plus grande quantité d'argent, après quoi le processus reprend immédiatement, de sorte que la quantité d'argent supplémentaire ainsi obtenue s'accumule encore plus.

Dans ce circuit sans fin, l'argent n'est pas, comme le décrivent les économistes bourgeois, un simple dispositif technique inventé d'une manière ou d'une autre pour sécuriser le processus d'échange. Il est le représentant matériel de quelque chose d'autre, la valeur.

Cette valeur est dérivée de la quantité de travail socialement nécessaire, à un stade donné du développement des forces productives, requise pour produire la marchandise en question. C'est-à-dire que le processus de A-M-A' – la mise en place d'une masse initiale d'argent, l'achat de marchandises et l'obtention d'une masse d'argent plus importante A' – est en fin de compte l'accumulation de valeur.

La question clé est de savoir d'où vient cette valeur ajoutée? Karl Marx a répondu à cette question. Il a résolu le problème qui avait tourmenté ses prédécesseurs classiques (en particulier Adam Smith et David Ricardo) dans le domaine de l'économie politique. Comment était-il possible, dans une société de marché où s'échangent des équivalents, qu'un surplus s'accumule entre les mains de la classe capitaliste?

Marx a fait valoir que, contrairement à la conception précédente, l'ouvrier ne vendait pas son travail au capitaliste. Au contraire, l'ouvrier vendait sa force de travail – non pas le travail, mais la capacité à travailler.

La valeur de cette marchandise était déterminée par la valeur des produits nécessaires pour faire vivre le travailleur et sa famille, produisant ainsi la prochaine génération de travailleurs salariés.

Ayant acheté la marchandise force de travail, le capitaliste était alors en droit de la consommer, et, comme tout autre acheteur d'une marchandise, de jouir des fruits de cette consommation. La consommation de la marchandise force de travail a lieu dans le cadre de la production. Dans le processus de travail, le travailleur crée plus de valeur que ce qui est incorporé dans la marchandise qu'il ou elle a vendue au capitaliste: cette marchandise étant la force de travail.

La valeur des marchandises qui comprend la valeur de la force de travail vendue au capitaliste incarne, disons, quatre heures de travail, mais le travailleur travaille pendant huit, dix ou douze heures – et c’est l'origine de la plus-value.

C'est-à-dire que la force de travail est une marchandise exceptionnelle ou particulière, en ce sens que sa consommation est la source d'une valeur supplémentaire, ou plus-value, et que ce processus se déroule non pas en contravention des lois de l'échange de marché, mais en conformité avec celles-ci.

La plus-value a été accumulée non pas parce que le travailleur individuel a été trompé – Marx suppose que le travailleur est payé à la pleine valeur de sa force de travail – mais par un système de relations sociales dans lequel l'équivalence donne lieu à une inégalité massive – l'accumulation de la richesse à un pôle et la pauvreté à l'autre, même si les ressources matérielles s'accroissent.

Le caractère historique de la découverte de Marx a été défini par son collaborateur de toujours, Frederick Engels, dans son ouvrage Anti-Duhring.

Engels y explique que le socialisme avant Marx avait critiqué le mode de production capitaliste et dénoncé ses conséquences. Mais il ne pouvait pas les maîtriser et ne pouvait que les rejeter comme étant mauvaises.

Marx, cependant, a montré à la fois la nécessité du développement du capitalisme à une période donnée – le développement des forces productives de la société – et la nécessité de sa chute. Et il en a mis à nu le caractère essentiel.

Engels a écrit qu'avec ces deux découvertes – la conception matérialiste de l'histoire et le secret de la production capitaliste – «le socialisme est devenu une science». Il a ajouté: «L'étape suivante consistait à en élaborer tous les détails».

L'un des détails les plus préoccupants de la période actuelle est le rôle de la finance, ou du capital fictif, qui s'est développé au cours des 150 dernières années depuis la publication de Das Kapital, développement dont Marx était bien conscient, mais qui commençait à peine à émerger en son temps.

Les entreprises géantes ne sont pas financées par des entrepreneurs individuels, qui dépendent de leurs propres économies accumulées ou de celles de leur famille. L'échelle de la production capitaliste est allée bien au-delà de cela. Elle dépend de la mobilisation des ressources de la société dans son ensemble, via le marché boursier et le crédit émis par les banques.

La mythologie du capitaliste individuel, luttant pour avancer contre vents et marées, prenant des risques, etc., est maintenue pour des raisons politiques et idéologiques comme justification de l'accumulation privée du profit de ce qui est essentiellement un processus social.

L'essor de la finance a conduit à l'émergence d'une nouvelle catégorie économique, le capital fictif.

Si l'argent est collecté, soit par l'émission d'actions, soit par un prêt bancaire, et que cet argent est utilisé pour acheter des machines, des matières premières et de la main-d'œuvre pour lancer la production et l'extraction de plus-value, alors nous avons du capital productif, c'est-à-dire du capital qui extrait de la plus-value.

Mais le même capital existe aussi sous une autre forme: sous forme d'actions ou de titres de créance. Cependant, il ne s'agit pas d'un capital productif, mais d'un capital fictif. Il n'est pas engagé dans l'extraction de plus-value. Il s'agit plutôt d'une créance sur la plus-value extraite de la classe ouvrière par le capital sous sa forme productive.

Ce processus n'avait commencé qu'à l'époque de Marx, mais il avait quelques commentaires perspicaces à faire à ce sujet qui n'ont rien perdu de leur pertinence. Le développement des sociétés par actions, écrit-il, «fait renaître une nouvelle aristocratie financière, une nouvelle espèce de parasites, sous forme de faiseurs de projets, de fondateurs, et de directeurs simplement nominaux; tout un système de filouterie et de fraude au sujet de fondation, d'émission et de trafic d'actions».

Ce processus, poursuit-il, balaie toutes les justifications idéologiques du mode de production capitaliste. «Ce que risque le commerçant en gros qui spécule n'est pas sa propriété privée, mais de la propriété sociale. La phrase creuse sur l'origine du capital dans l'épargne est tout aussi inepte, puisqu'il exige justement que d'autres épargnent pour lui... Le luxe qu'il déploie devenant lui-même moyen de crédit donne un démenti cinglant à l'autre formule: celle de l'abstinence. Des conceptions qui ont encore un sens à un moindre degré de développement de la production capitaliste deviennent ici complètement absurdes» [Karl Marx, Le Capital Livre 3, p 410, 411, Éditions sociales, 1976].

La masse de plus-value extraite de la classe ouvrière constitue une réserve qui se répartit entre les différentes sections du capital productif et les créances des détenteurs de capital fictif.

Bien sûr, on peut tirer une grande richesse du commerce des actions en bourse et de la panoplie de mécanismes obscurs des marchés financiers pour le commerce de la dette qui se sont développés au cours de la période récente.

Mais le fait que ces activités puissent être rentables ne signifie pas que ces divers actifs financiers incarnent une valeur en soi. Ils restent, en dernière analyse, des revendications de valeur – un fait qui se révèle lorsqu'une entreprise ou un établissement fait faillite et que les prix du marché de tous les actifs financiers qui en découlent s'effondrent et que les demandeurs obtiennent ce qu'ils peuvent de la carcasse.

Ces actifs financiers et les mécanismes qui leur sont associés se sont considérablement développés au cours des quatre dernières décennies, dans le cadre d'un processus découlant du divorce toujours plus marqué entre l'accumulation de richesses et le processus de production proprement dit.

Les racines de cette séparation sont visibles dans le schéma de base de la production capitaliste: A-M-A'. C'est-à-dire dans l'argent comme point de départ et d'arrivée de l'ensemble du processus.

Quelles que soient les expressions utilisées par les politiciens bourgeois sur la nécessité de renflouer et de distribuer des fonds pour «sauver l'économie», la production capitaliste ne concerne jamais la production de biens matériels et de services pour répondre aux besoins de la société. Ce n'est qu'un moyen pour atteindre une fin, et le capital, comme l'a souligné Marx, considère le processus de production réel – la création de richesses matérielles – comme un intermédiaire peu commode dont il s'efforce continuellement de se libérer, afin de passer directement de l'argent à encore plus d'argent.

Ce n'est pas, il faut le noter, un produit de la cupidité individuelle et insatiable, bien qu'elle existe en abondance, mais elle est enracinée dans la logique objective des relations sociales et économiques capitalistes.

La suppression de «l’intermédiaire» s'est accélérée à partir des années 1980. La baisse du taux de profit qui a mis fin au boom capitaliste de l'après-guerre – un boom basé sur des taux de profit constants ou en hausse et une expansion conséquente de l'industrie – a conduit à la montée de la financiarisation et à l'accumulation de richesses par la spéculation et le parasitisme.

De nouvelles formes toujours plus fantastiques de capital fictif ont été créées, y compris des dérivés financiers obscurs tels que les swaps de défaut de crédit et les obligations de prêts garantis. Des algorithmes ont été mis au point pour faciliter le commerce informatisé rapide, de sorte que les spéculateurs puissent instantanément tirer profit des légères variations des marchés pour réaliser des bénéfices. Tout est devenu l'objet de la spéculation, des prêts immobiliers aux cartes de crédit et aux dettes d'études, en passant par la solvabilité des entreprises, la volatilité du marché boursier, les taux d'intérêt et les fluctuations des devises.

Les bénéfices étaient de plus en plus récoltés non pas par le développement de la production, mais par le jeu et la spéculation dans ce casino géant, et lorsqu'une bulle financière éclatait, la Fed américaine était prête à injecter plus d'argent pour créer la suivante.

Cela a conduit au krach de 2008. La Fed et ses homologues mondiaux ont toutefois réagi en mettant encore plus d'argent à disposition, via des taux d'intérêt ultra bas et un assouplissement quantitatif, créant une nouvelle montagne de capital fictif qui menaçait de s'effondrer avant même que le coronavirus ne frappe.

En effet, on peut dire que la pandémie a joué un rôle utile pour le capital, en ce sens qu'elle a fourni à la Fed et aux autres grandes banques centrales la justification nécessaire pour mener une opération de sauvetage qu'elles auraient dû entreprendre de toute façon.

En réponse à la menace d'effondrement des marchés apparue à la mi-mars, des billions de dollars ont encore été injectés dans le système financier.

Mais peu importe à quel point il semble que la «valeur» puisse simplement être créée à partir de rien, cette masse gargantuesque de capital fictif repose en fin de compte sur la plus-value obtenue de l'exploitation de la classe ouvrière. Ses revendications ne peuvent être satisfaites que si la réserve de plus-value disponible est augmentée.

C'est là que se trouve la source matérielle objective de la volonté de tous les gouvernements capitalistes, quelle que soit leur couleur politique, d'un retour au travail, quels que soient les dangers pour la santé des travailleurs.

L'extraction de la plus-value doit reprendre, et ce à un rythme encore plus féroce que par le passé. C'est pourquoi les mesures dites «d'urgence» introduites dans la crise actuelle, qui suppriment les salaires et conditions de travail antérieurs, seront rendues permanentes, tout comme l'ont été les nouvelles mesures – telles que le système de salaire à deux niveaux, les contrats à durée indéterminée et le développement de la «gig economy» (catégorie d’emplois instables, temporaires et mal payés; l’emploi «sur demande») – après la crise de 2008.

Le vampire du capital fictif créé par la Fed et d'autres banques centrales, ainsi que les déficits des gouvernements pour financer les entreprises et les banques, doivent avoir du sang frais sous forme de plus-value pompée dans ses artères.

Ce sang doit être fourni par l'intensification immédiate de l'exploitation de la classe ouvrière. Mais en plus, les services sociaux vitaux tels que la santé, l'éducation, les retraites, etc. épuisent la réserve de plus-value disponible pour l'appropriation par le capital fictif, et ce détournement de la plus-value doit être stoppé. Il ne s'agit pas ici de prédire ce qui va se passer, mais d'étudier ce qui s'est déjà passé.

Au lendemain de la crise de 2008, le principal gouvernement capitaliste s'est engagé à fournir une relance budgétaire. Un peu plus d'un an plus tard, lors d'une réunion du G20 en juin 2010, cette politique a été inversée et des mesures d'austérité ont été mises en œuvre, entraînant, entre autres, les réductions désastreuses des services de santé que la pandémie actuelle a révélées.

Le correspondant de Disqus pose la question de savoir quelle différence l'ajout de billions de dollars supplémentaires fera au déficit américain, étant donné que les niveaux d'endettement sont déjà considérablement élevés.

En abordant cette question, il convient tout d'abord de noter que, même avant la pandémie, des inquiétudes ont été exprimées quant au niveau de la dette publique américaine et à sa viabilité. La poursuite de l'accumulation de la dette n'est pas une simple augmentation quantitative, mais est plutôt de la nature d'un saut qualitatif.

On estime que le ratio de la dette publique américaine au PIB sera de 99 % cette année, contre 79 % l'année dernière, et qu'il passera à 108 % en 2023, battant ainsi le précédent record établi pendant la Seconde Guerre mondiale.

L'une des questions clés est de savoir quel effet cela aura sur le système financier mondial, dans des conditions où le dollar américain est la base du système monétaire international.

Selon l'historien économique Adam Tooze, il peut continuer à fonctionner tant que le dollar est mis à la disposition des autres banques centrales afin d'éviter un effondrement du système de crédit mondial.

Tooze a publié un livre intitulé Crashed pour le dixième anniversaire de l’effondrement de 2008, dans lequel il souligne le rôle majeur joué par la Fed en fournissant des swaps de dollars à d'autres banques centrales, ce qui a permis d'éviter un gel total du système de crédit. Il s'est donc félicité de la prolongation de ce programme à la mi-mars, alors que la bourse américaine était en chute libre.

Dans un article publié dans le New York Times le 20 mars, il a déclaré que c'était une «bonne nouvelle» et que la Fed prenait sa responsabilité internationale au sérieux. L'article était même intitulé «C'est la seule chose qui pourrait sauver le monde de l'effondrement financier».

Au cours de son article, Tooze s'est penché sur la question de la valeur.

«L'économie américaine elle-même peut paraître faible», a-t-il écrit, «mais le dollar reste le moyen de paiement et la réserve de valeur le plus universellement reconnu».

Mais il n'a pas expliqué comment ces dollars, créés numériquement en appuyant sur un bouton d'ordinateur, pouvaient être une «réserve de valeur». De plus, son argument était essentiellement circulaire. Il s'est exprimé comme suit: le dollar est le moyen de paiement le plus universellement reconnu parce qu'il est une réserve de valeur, et il est une réserve de valeur parce qu'il est le moyen de paiement le plus universellement reconnu.

Tooze, qui se décrit comme un historien «de gauche», est bien conscient, d'après son étude de la crise de 2008, des implications de l'augmentation massive de la dette.

Dans un article publié dans le Guardian le 27 avril, il écrit qu'il y aura une «énorme pile de reconnaissances de dette» découlant de la crise, et que la question de son remboursement «décidera du caractère de notre politique pour les années à venir». Il lance l’avertissement que si cette question n'est pas abordée, «les dettes du coronavirus seront un bélier pour une nouvelle campagne d'austérité».

Il conclut à juste titre, après avoir rappelé le programme d'austérité lancé après 2010, que la politique de remboursement de la dette n'est pas une question nationale, mais une question de classe: qui va payer?

Mais sa conclusion est qu'il est possible d'éviter un conflit frontal en demandant à la banque centrale d'acheter la dette émise par les gouvernements, et qu'une campagne politique devrait être menée dans le but de «s'assurer que les banques centrales poursuivent leurs méthodes de lutte contre la crise pendant la période de reprise».

Il s'agit d'essayer d'empêcher la masse de la population de saisir la signification réelle de la désintégration en cours du système capitaliste à laquelle elle est maintenant confrontée. Les masses doivent être piégées dans une série d'illusions selon lesquelles une confrontation frontale peut être évitée, si seulement la Fed, avec la Banque centrale européenne et la Banque d'Angleterre, continue à injecter plus d'argent.

La politique d'un tel programme, que le «libéral de gauche» Tooze se soucie de le reconnaître ou non, est de donner aux classes dominantes plus de temps pour préparer leur offensive contre la classe ouvrière, qu'elles reconnaissent comme inévitable.

L'infusion d'argent numérique ne peut pas se poursuivre à l'infini car, à un moment donné, tôt ou tard, elle sapera l'ensemble du système financier, dans un contexte où les avertissements se multiplient déjà.

Un article de l'Australian Financial Review du 27 avril, par exemple, rapporte les avertissements de Paul Singer, le chef du fonds spéculatif Elliott Management, d'une valeur de 60 milliards de dollars. Dans sa dernière lettre aux investisseurs, Singer écrit que si la «politique monétaire d'urgence» est peut-être la bonne décision à prendre aujourd'hui, elle ne le sera plus dans deux ans.

Il y a dix ans, les décideurs politiques ont eu recours à «l'extrémisme monétaire» et l'ont accéléré même après que l'urgence soit passée, écrit-il. Le résultat n'a pas été l'hyperinflation. Mais cette perspective, qu'il a définie comme «un rejet de la fausse monnaie et des faux banquiers centraux bien informés, peut fort bien se cacher au prochain tournant».

Il a averti que l'assouplissement quantitatif et les taux d'intérêt négatifs n'étaient pas judicieux «parce qu'ils reposent, pour leur efficacité magique, sur la foi naïve des citoyens, des investisseurs et des entreprises en la fiabilité de la monnaie papier, quelle que soit la quantité de celle-ci et quel que soit le rendement... de la détention de créances sur celle-ci».

Le monde, a-t-il dit, «s'est rapproché d'un point de basculement après lequel l'impression de la monnaie, les prix et la croissance de la dette sont dans une spirale ascendante dont les autorités monétaires réalisent qu'elle ne peut être brisée qu'au prix d'une profonde récession et d'un effondrement du crédit».

La forme de ce qui va suivre dans une période que l'on pourrait appeler «politique de la dette» peut être discernée en examinant ce qui s'est passé après la première et la deuxième guerre mondiale: les deux périodes précédentes où la dette avait atteint les niveaux actuels.

La dette contractée lors des combats de la Seconde Guerre mondiale a pu être réduite au fil du temps, surtout parce que l'économie capitaliste mondiale, après trois décennies de carnage, est entrée dans une phase ascendante. Cela était dû principalement à l'extension des méthodes plus productives de l'industrie américaine aux autres grandes économies, assurant une hausse du taux de profit et une augmentation de la croissance économique.

La situation était totalement différente après la Première Guerre mondiale. L'économie mondiale était déjà entrée dans une longue phase de ralentissement avant que la guerre n'éclate – à bien des égards, comme Léon Trotsky l'a fait remarquer à maintes reprises, la guerre elle-même était ancrée dans ce développement – et la classe ouvrière en est sortie pour être plongée dans une série de conflits dans lesquels la tâche de prendre le pouvoir politique était directement posée.

Cette tâche n'a pas été accomplie parce que la classe ouvrière n'avait pas à sa tête un parti révolutionnaire du calibre du parti bolchevique qui a conduit la classe ouvrière russe au pouvoir lors de la révolution d'octobre 1917. La conséquence de ces défaites a été deux décennies de chômage, de dépression, de fascisme et ensuite de guerre.

Toute tentative de comparaison avec la réduction de la dette après la Seconde Guerre mondiale est complètement bidon. Il n’existe plus d’économie américaine qui serait prête à donner un coup de pouce au système capitaliste mondial. Le capitalisme américain est l'expression la plus flagrante de la pourriture et de la déchéance du système dans son ensemble.

L'économie mondiale est entrée dans une phase d'effondrement, déclenchée, mais pas fondamentalement causée, par la pandémie, dans des conditions de ralentissement prolongé: une période qui avait déjà été caractérisée bien avant que le coronavirus n'arrive sur la scène comme une période de stagnation séculaire.

C'est ce qui détermine l'économie politique de la période qui s'ouvre maintenant. La classe ouvrière ne peut faire face à cette nouvelle situation qu'en tirant les leçons du passé et, en se basant sur celles-ci, entreprendre la construction du parti révolutionnaire pour mener la lutte pour le pouvoir politique afin d'entamer la tâche de reconstruction de l'économie mondiale sur des bases socialistes.

(Article paru en anglais le 5 mai 2020)

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