Les travailleurs canadiens de l’usine de conditionnement de viande Cargill contraints de reprendre le travail malgré 935 infections

Des centaines de travailleurs de la gigantesque usine de conditionnement de viande Cargill à High River, en Alberta, ont repris leur travail lundi matin avec crainte, après que les fonctionnaires provinciaux aient rejeté les tentatives visant à empêcher la réouverture de l’entreprise à la suite d’une épidémie massive de COVID-19.

Dans ce qui est la plus importante épidémie localisée en Amérique du Nord, 935 des 2000 travailleurs de l’usine ont déjà été infectés par le coronavirus, hautement contagieux et potentiellement mortel. Six cents proches contacts des conditionneurs de viande ont également été testés positifs. À ce jour, une travailleuse, l’immigrante vietnamienne Hiep Bui, est morte de la maladie, ainsi qu’un contact proche. Sept travailleurs ont été hospitalisés, dont cinq en soins intensifs.

Néanmoins, au cours du week-end, Cargill a publié une déclaration ordonnant à tous les travailleurs «en bonne santé et admissibles» de se présenter au travail à l’usine fonctionnant avec deux quarts de travail.

Suite à un sondage mené auprès de ses membres, le syndicat des Travailleurs unis de l’alimentation et du commerce (TUAC) affirme que 85 % d’entre eux ont peur de retourner à l’usine. Environ 80 % des employés de production de Cargill sont des travailleurs immigrés à bas salaire originaires des Philippines, du Vietnam et de la Chine, et beaucoup sont titulaires d’un visa de travailleur étranger temporaire. Les travailleurs ne craignent pas seulement d’être éventuellement infectés. Ils craignent également que le refus des directives de l’entreprise ne mette en danger leur permis de travail au pays.

En dépit de ces craintes, les TUAC ont refusé d’organiser une quelconque action pour contrecarrer l’ordre de retour au travail de Cargill. Le président de la section locale du syndicat, Thomas Hesse, s’est exprimé ouvertement sur le refus de l’entreprise d’intégrer les propositions de sécurité du syndicat dans ses protocoles de retour au travail, déclarant: «C’est absurde que des centaines de travailleurs puissent être obligés de se rendre à l’usine pour tuer 4 000 à 5 000 bovins par jour, alors que si vous grimpez sur les jeux pour enfants dans votre parc local, vous allez recevoir une contravention.»

Bien que Cargill ait installé des parois de séparation en plexiglas pour les ouvriers de la chaîne, les emballeurs travaillent au coude à coude et face à face avec leurs collègues. Le niveau de bruit dans l’usine force les travailleurs à se rapprocher très près pour pouvoir communiquer avec leur superviseur ou leurs collègues de travail. Les masques deviennent rapidement inutiles dans un environnement humide et mouillé. Avec un aussi grand nombre de travailleurs en arrêt de travail, le besoin de donner de la formation de très près aux nouveaux employés dans un environnement où tout va très vite favorise les pratiques dangereuses.

Alors que les tentatives du syndicat pour convaincre les fonctionnaires provinciaux de maintenir l’usine fermée jusqu’à ce que de nouvelles mesures de sécurité soient mises en place sont ignorées, Hesse a tenu à dire aux journalistes qu’aucun arrêt de travail ne serait organisé. «Nous examinons les options juridiques. Nous ne demandons pas un arrêt de travail. Un arrêt de travail ne serait pas légal», a-t-il déclaré.

Laissés à eux-mêmes, et à en juger par le nombre de gens présents dans l’usine lundi matin, plusieurs travailleurs au moins ont choisi l’absentéisme en réponse à la menace d’infection.

Le fait que le syndicat des TUAC se fie aux commissions du travail et de la santé et de la sécurité de l’Alberta – supervisées par le gouvernement de droite et propatronal du Parti conservateur uni de Jason Kenney – constitue une abdication flagrante de sa responsabilité de protéger le bien-être des travailleurs vulnérables de Cargill. Les bureaucrates syndicaux se préoccupent davantage de rassurer les employeurs et le gouvernement sur le fait qu’ils sont des partenaires responsables, qui feront respecter les lois et les contrats de travail capitalistes, plutôt que de se battre pour la vie même des travailleurs qu’ils prétendent représenter.

Le rôle joué par les autorités albertaines pour forcer les travailleurs de Cargill à reprendre le travail et à suivre les diktats des mêmes dirigeants qui ont ignoré leurs plaintes précédentes concernant l’absence de mesures de sécurité contre le COVID-19 est scandaleux. Mais cette situation est loin d’être une exception.

Un rapport récent de l’Ontario a montré que sur 200 refus de travail liés au COVID-19 en protestation contre des conditions dangereuses, aucun n’a abouti à un ordre d’arrêt de travail délivré par les inspecteurs provinciaux. Lorsque le travail a été interrompu à l’usine de montage de Fiat-Chrysler à Windsor au début du mois de mars, c’est parce que les travailleurs de l’automobile ont spontanément refusé de travailler.

Les événements qui se sont produits à l’usine Cargill sont un exemple de la volonté des entreprises du monde entier, soutenues par des gouvernements de toutes tendances politiques, de faire passer le profit avant les vies humaines.

L’usine de High River conditionne chaque jour 40 % de tous les produits bovins canadiens. La maison-mère de Cargill est aux États-Unis, pays où elle est la plus grande entreprise privée avec 115 milliards de dollars de revenus annuels déclarés en 2018. La famille Cargill est classée comme la quatrième famille la plus riche des États-Unis.

Depuis l’explosion de la pandémie de COVID-19 en mars, aucune inspection préventive de l’usine Cargill n’a été effectuée par les autorités sanitaires ou du travail, même après que des travailleurs aient commencé à tomber malades. Lorsqu’une inspection a finalement été effectuée le 15 avril, le fonctionnaire désigné pour la mener n’a même pas voulu entrer sur le plancher principal de l’usine, préférant scandaleusement rester à l’extérieur de l’installation et d’effectuer son inspection au moyen de l’application FaceTime. L’établissement a par la suite reçu son certificat d’inspection sanitaire réussie.

Toutefois, lorsque plus de travailleurs encore sont tombés malades et que Hiep Bui a perdu la vie le 19 avril à cause du COVID-19, trois jours après son dernier jour de travail à l’usine, celle-ci a été fermée pendant deux semaines à compter du 20 avril.

Le COVID-19 est rapidement réapparu dans plusieurs usines américaines de conditionnement de la viande qui ont connu des réouvertures similaires à celle de l’usine Cargill de High River, car le travail y est organisé de façon à extraire jusqu’à la dernière once de productivité des travailleurs au détriment de leur santé, de leur sécurité et maintenant, de leur existence même.

(Article paru en anglais le 5 mai 2020)

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