Trump attaque le Dr Fauci pour avoir mis en garde contre une ouverture prématurée du pays

Le témoignage du Dr Anthony Fauci lors de l’audition de mardi au Sénat a contrarié les efforts bipartites visant à ouvrir prématurément le pays, donnant des sueurs froides aux marchés boursiers ; l’indice Dow Jones des valeurs industrielles a chuté de plus de 300 points.

Figure de proue du Groupe de travail de la Maison Blanche sur le coronavirus, Fauci a averti les sénateurs qu’une réouverture rapide du pays pourrait entraîner une résurgence spectaculaire des cas nécessitant le retour à un second verrouillage. Il a averti que s’attendre à ce qu’un vaccin ou une forme d’antiviral soit disponible au moment où les écoles et les collèges rouvriront en août et septembre n’est qu’un vœu pieux.

«Le risque réel existe que vous déclenchiez une épidémie que vous ne pourrez peut-être pas contrôler, ce qui, paradoxalement, vous fera reculer, non seulement en provoquant des souffrances et des décès qui pourraient être évités, mais pourrait même vous repousser en arrière sur la route de la reprise économique», a-t-il déclaré sans détours.

Mercredi, dans une tentative de limiter les dégâts, le président Trump est passé à l’offensive contre son propre expert respecté en maladies infectieuses. «Il veut jouer sur tous les tableaux», a déclaré le président, interrogé par la Fox Business Network sur les commentaires de Fauci. «J’ai été surpris de sa réponse. Pour moi, ce n’est pas une réponse acceptable, surtout quand il s’agit d’écoles… nous devons ouvrir les écoles, nous devons ouvrir notre pays, il faut que nous ouvrions notre pays».

Tump doit encore s’attendre à d’autres retombées. Le Dr Rick Bright, l’ancien directeur évincé de l’Autorité de recherche et développement biomédical avancé, une importante unité du ministère de la Santé, est sur le point de dire au Congrès que la Maison Blanche n’était absolument pas préparée à la pandémie lorsqu’elle a frappé le pays. Surtout, la présidence avait rejeté les avertissements d’experts en maladies comme lui.

Dans un témoignage préparé et obtenu par CNN, le Dr Bright écrit: «Notre fenêtre d’opportunité se ferme. Si nous échouons à élaborer une réponse nationale coordonnée, fondée sur la science, je crains que la pandémie ne s’aggrave et ne se prolonge, causant des maladies et des décès sans précédent. Sans une planification et une mise en œuvre claires des mesures que d’autres experts et moi-même avons exposées, 2020 sera l’hiver le plus sombre de l’histoire moderne».

Un peu plus de quatre mois se sont écoulés depuis que le monde a entendu parler pour la première fois du nouveau coronavirus, provisoirement appelé 2019-nCoV, plus tard SARS-CoV-2. La maladie causée par le virus, COVID-19, est définitivement inscrite dans le lexique mondial. Au cours de cette courte période, le monde a connu près de 300.000 décès et plus de 4,4 millions de cas, dont 2,5 millions de patients actuellement infectés. La dévastation causée par la pandémie dépasse de loin les chiffres effroyables cités. L’impact sur l’ensemble de la vie économique et sociale de la planète est massif. Elle exige une réponse internationale urgente pour endiguer les catastrophes imminentes que sont le chômage, la faim, la maladie, la pauvreté de masse et la guerre.

Lors de la conférence de presse de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) mercredi, son directeur général Tedros Adhanom Ghebreysus a déclaré que l’inégalité était le moteur de la pandémie du COVID-19. Non seulement en causant d’importantes pertes en vies humaines mais aussi en menaçant les progrès réalisés en particulier dans la prévention et le traitement des maladies infantiles, des infections paludéennes et du VIH. Les objectifs de développement durable sont un ensemble de 17 objectifs mondiaux conçus pour améliorer la santé des habitants de la planète et devant être atteints d’ici à 2030. Les statistiques sanitaires de l’OMS publiées avant-hier montrent que le monde n’atteindra pas ces objectifs en 2030 et que le COVID-19 continuera de les entraver.

«Le monde n’a pas fait assez pour tenir la promesse de la santé pour tous», a déclaré Ghebreysus, «la meilleure défense contre cette épidémie et d’autres menaces sanitaires est la préparation. Les systèmes de santé et la sécurité sanitaire sont les deux faces d’une même médaille. Si nous n’investissons pas dans les deux, nous ferons face non seulement aux conséquences sanitaires, mais aussi aux retombées sociales, économiques et politiques que nous connaissons déjà dans cette pandémie».

La Dr Soumya Swaminathan, scientifique en chef de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), a présenté une évaluation de la pandémie rappelant à la réalité, au deuxième jour d’une conférence mondiale en direct, co-organisée par le Financial Times, sur la réponse du monde au COVID-19. Elle a déclaré qu’il fallait prendre de nombreux facteurs en compte pour déterminer combien de temps le monde ferait face aux défis de la lutte contre la pandémie. Parmi eux, il y avait une réponse mondiale pour contenir le virus et la menace permanente qu’il représente, et la question de savoir si un vaccin sera finalement mis au point.

«Je dirais que dans un délai de quatre à cinq ans, nous pourrions envisager de contrôler la situation. Nous n’avons pas de boule de cristal… la pandémie pourrait potentiellement s’aggraver», a-t-elle déclaré. Un vaccin semblait pour l’instant la meilleure solution, ont convenu tous les participants, qui ont cependant émis des réserves considérables ; l’une des préoccupations soulevées était que si le virus mutait suffisamment, le vaccin pourrait cesser de fonctionner. Il y avait encore d’autres questions comme le renforcement de ces vaccins et leur distribution équitable. Le Dr Peter Piot, directeur de l’École d’hygiène et de médecine tropicale de Londres, a corroboré cette évaluation, ajoutant qu’en attendant, «nous devrons trouver un moyen, en tant que sociétés, de vivre avec cela et de passer d’un verrouillage à des types d’interventions plus granulées et ciblées».

Dans une tentative infâme de «corriger» le nombre épouvantable des décès, qui s’élève actuellement à 85.000, le président Trump tente de pousser le CDC à changer sa méthodologie de comptage des décès dus au COVID-19. La chef de son Groupe de travail, la Dr Deborah Birx, a demandé d’exclure les personnes pouvant être mortes du COVID-19 mais sans qu’il y ait eu confirmation par des tests et celles atteintes du COVID-19 qui pourraient être mortes de facteurs sans rapport. Le Washington Post a écrit la semaine dernière: «Birx et d’autres gens se trouvaient frustrées par le système archaïque du CDC pour le suivi des données sur le virus, qui, craignaient-ils, gonflait certaines statistiques – comme le taux de mortalité et le nombre de cas – jusqu’à 25 pour cent». Birx était absente à l’audition du Sénat, où a parlé Fauci.

Bob Anderson, le chef des statistiques de mortalité du CDC, a défendu sa méthodologie pour déterminer les décès dus au COVID-19 dans une interview au Daily Beast, en disant: «Nous sous-estimons presque certainement le nombre de décès.» Le Dr Fauci a également assuré, lors de l’audition de la sous-commission sénatoriale de mardi, que les chiffres réels étaient bien plus élevés que ceux que Trump a cherché à discréditer.

Selon Anderson, le CDC dispose de deux systèmes parallèles pour suivre les décès signalés dus au COVID-19. Il utilise les données qui lui sont envoyées par les départements de santé des États, et les informations obtenus par le biais d’un système de codage numérique des certificats de décès. Ces deux chiffres restent cohérents bien que le décompte des certificats de décès soit généralement décalé de deux à huit semaines. Une perturbation de ce processus entraînerait une importante sous-estimation, a-t-il déclaré.

Un rapport publié cette semaine par le CDC note qu’au 2 mai, le Département de la santé et de l’hygiène mentale de la ville de New York avait confirmé 13.831 décès et 5.048 décès probables dus à la COVID-19, mais avait exclu les décès des personnes qui n’avaient pu être testées, ou avaient eu des tests faussement négatifs, ou dont le médecin traitant ne voyait pas l’infection virale comme la cause du décès.

Le CDC écrit: «Les 5.293 décès excédentaires non identifiés comme des décès associés au COVID-19 confirmés ou probables pourraient être directement ou indirectement attribuables à la pandémie». Dans sa tentative sociopathique de forcer une réouverture prématurée du pays, Trump n’a aucun scrupule à voler à ces victimes la dignité de la vérité sur la cause prématurée de leur décès.

Pire encore, NBC News a rapporté que la Maison Blanche refusait de divulguer un rapport de son Groupe de travail qui détaillait plusieurs communautés métropolitaines et d’autres plus petites dans le pays connaissant de brusques hausses des cas de COVID-19. Lors du briefing de la Maison Blanche lundi, Trump avait déclaré que «dans tout le pays, les chiffres baissent rapidement». Pourtant, selon le rapport, les dix premières zones ont connu des montées de 72,4 pour cent ou plus en sept jours par rapport à la semaine précédente. Ces zones comprenaient Nashville, Des Moines, Amarillo (Texas) ; la petite ville de Central City (Kentucky) a connu 467 cas confirmés dont 356 détenus du complexe correctionnel de Green River.

Les États-Unis ont connu plus de 20.000 nouveaux cas de COVID-19 et plus de 1.600 décès en 24 heures. Une charge d’infection massive reste ancrée dans les communautés américaines. Un tiers de tous les décès aux États-Unis ont été attribués aux résidents des maisons de retraite.

Selon Mike Ryan, chef des urgences à l’OMS, «Si vous rouvrez en présence d’un taux élevé de transmission du virus, cette transmission peut s’accélérer. Si la transmission du virus s’accélère et que vous n’avez pas les systèmes pour le détecter, il faut attendre des jours ou des semaines avant de savoir que quelque chose n’a pas marché ; et le temps que cela se produise, vous vous retrouvez dans une situation où votre seule réaction est un nouveau confinement… Nous ne devrions pas attendre de voir si la levée du confinement a fonctionné en comptant les cas dans les unités de soins intensifs ou les corps à la morgue. Ce n’est pas là la façon de savoir que quelque chose n’a pas marché».

Le gendre de Trump, Jared Kushner, a donné dans une interview à Times l’évaluation la plus concise et la plus franche de l’objectif du gouvernement lorsqu’il a déclaré: «Je crois vraiment qu’une fois que l’Amérique s’ouvrira, il sera très dur pour l’Amérique de jamais retourner à un verrouillage».

(Article paru d’abord en anglais 14 mai 2020)

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